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Enquête

POUR LA RÉFORME MAIS SANS TROP DE SACRIFICE

Enquête | publié le : 01.09.2001 | Denis Boissard

Réalistes mais peu disposés aux efforts nécessaires : c'est ainsi que se révèlent les salariés dans notre sondage exclusif « Liaison sociales »-Manpower. Bien conscients de la nécessité d'une réforme des retraites, ils préféreraient cotiser davantage que travailler plus longtemps, sauf au prix de sérieuses compensations.

À défaut d'inciter les gouvernements aux réformes nécessaires (exception faite de la réforme Balladur-Veil de 1993), l'abondante production – délivrée aux Français depuis une bonne vingtaine d'années – d'études, d'avis ou de rapports sur le déséquilibre financier à venir des régimes de retraite par répartition aura au moins atteint un objectif pédagogique : celui de sensibiliser l'opinion publique. Les résultats de notre sondage exclusif Liaisons sociales-Manpower, réalisé par l'institut CSA, sont édifiants : plus de quatre salariés sur cinq (85 % exactement) s'inquiètent de l'avenir financier des retraites. Une appréhension sans doute avivée par l'incurie, les reculades ou les demi-mesures des politiques qui nous gouvernent. L'inquiétude est aussi grande dans les rangs du public que dans ceux du privé. Elle est sensiblement plus forte chez les femmes que chez les hommes (90 % contre 83 %), chez les salariés votant à droite que chez ceux ayant le coeur à gauche (92 % contre 84 %).

Plutôt une hausse qu'un allongement

Plus significatif encore : plus de neuf salariés sur dix (92 %) jugent urgente une réforme des retraites. Et un sur deux l'estime même très urgente. L'impatience est plus vive chez les femmes que chez les hommes (95 % entre 18 et 34 ans, 92 % entre 35 et 49 ans, 86 % au-delà) et dans le secteur privé (93 %, contre 89 % dans le public). Convaincants sur le caractère inéluctable de la réforme, les experts n'ont en revanche pas totalement convaincu les salariés sur la pertinence des remèdes qu'ils proposent pour assurer la survie des régimes de retraite. Alors que la plupart des rapports préconisent en effet un allongement de la durée du travail (et donc de cotisation) requise pour toucher une pension à taux plein, cette solution ne remporte les suffrages que d'un petit tiers des salariés (33 % dans le public, 28 % dans le privé). Les cadres y sont nettement plus favorables que les employés et ouvriers (44 %, contre respectivement 29 % et 27 %), les sympathisants de la CFDT plus que ceux de la CGT ou de FO (40 %, contre respectivement 27 % et 30 %), et les salariés proches de la droite plus que ceux qui se situent à gauche (39 % contre 31 %). Ce qui n'empêche pas les salariés d'être réalistes : conscients que l'époque « bénie » des cessations anticipées d'activité est révolue, la moitié d'entre eux (51 %) se déclarent prêts à une remise en cause des préretraites. Une solution qui sied davantage aux cadres (55 %) et aux salariés des petites entreprises (58 % dans les entreprises de moins de 20 salariés) qu'aux ouvriers (48 %) et qu'aux collaborateurs des grandes entreprises (45 % dans les entreprises de plus de 500 salariés), qui sont traditionnellement les principaux bénéficiaires des mesures d'âge.

Mais, pour la grande majorité des salariés (54 %), la mesure à privilégier est une augmentation des cotisations payées par les entreprises et les salariés. Seuls les cadres sont minoritaires (41 %) à approuver cette solution, d'ailleurs écartée par de nombreux travaux en raison de l'impact négatif qu'elle aurait sur les salaires et l'emploi. La dernière mesure théoriquement envisageable pour rééquilibrer les comptes des régimes de retraite, une baisse du montant des pensions, est clairement écartée par les salariés : seuls 16 % d'entre eux (mais un quart des salariés de 18 à 24 ans) y sont favorables. Or l'indexation des pensions du secteur privé sur les prix entraîne d'ores et déjà un décrochage insidieux des pensions servies aux retraités par rapport aux salaires des personnes en activité.

Pour un alignement entre public et privé

Peu perméables aux arguments des experts sur les vertus de l'allongement de la durée de cotisation, les salariés le sont beaucoup plus sur la nécessité de traiter équitablement salariés du public et salariés du privé face à la retraite. Mais leur réponse est ambigüe. Les trois quarts des salariés (77 % exactement) pensent nécessaire d'aligner les conditions de départ à la retraite du public (trente-sept années et demie de cotisation) sur celles aujourd'hui moins favorables du privé (quarante années de cotisation). Une opinion plus largement partagée – ce qui n'est guère surprenant – dans les rangs du privé (87 %) que dans ceux du public (59 %). Mais que ce point de vue soit désormais largement majoritaire chez les agents du secteur public montre que la pédagogie fait son chemin. On notera également que ce sont les femmes, les ouvriers, les salariés les plus jeunes et ceux des entreprises les plus petites, les sympathisants de la CFDT et ceux de la droite qui sont les plus attachés à cet alignement du public sur le privé.

Le hic, c'est que lorsque l'on demande aux mêmes salariés s'ils trouvent réaliste la proposition de certains (comme la confédération Force ouvrière) d'en revenir à trente-sept années et demie de cotisation dans le secteur privé, une petite majorité (53 %) pense que oui. Avec toutefois un net distinguo selon le secteur d'appartenance : une majorité de salariés du privé (51 %) jugent une telle suggestion irréaliste, tandis que 63 % des agents du public pensent le contraire. Sceptiques aussi sur le réalisme d'une telle remise en cause de la réforme Balladur-Veil : une majorité de cadres, de professions intermédiaires, de sympathisants cédétistes ou de proches de la droite. L'interprétation de ces résultats apparemment contradictoires est délicate. Une certitude tout d'abord : le souhait d'un traitement égalitaire des salariés devant la retraite est clairement exprimé. Ensuite, tout se passe comme si le pragmatisme des salariés les conduisait à reconnaître la nécessité d'une généralisation au public des quarante années de cotisation du privé, tandis que leur difficulté à admettre de devoir travailler plus longtemps les incitait à rêver d'un retour en arrière. Encore une minute, monsieur le bourreau ! semblent dire les salariés. Autre leçon de notre sondage : la foire d'empoigne à laquelle se livrent partisans de la répartition et zélateurs de la capitalisation ne se reflète pas dans l'opinion des salariés. Pragmatiques, 71 % d'entre eux – pratiquement les trois quarts des salariés du privé (74 %) et plus des deux tiers des agents du public (67 %) – se déclarent favorables à la création de fonds de pension en complément des régimes par répartition. Un supplément d'épargne retraite que plébiscitent surtout les plus jeunes et les salariés des entreprises les plus petites.

Un sentiment d'éviction chez les plus âgés

Si les salariés sont amenés à cotiser – et donc à travailler – plus longtemps, encore faut-il que les employeurs changent d'attitude à l'égard des quinquas et sexagénaires. En effet 46 % des salariés ont aujourd'hui le sentiment que leur entreprise cherche plutôt à se séparer de ses collaborateurs les plus âgés, contre 37 % qui estiment au contraire qu'elle favorise leur maintien en activité, et 10 % qui observent que leur entreprise ne compte pas de salariés vieillissants dans ses rangs. Dans l'industrie, le BTP et les grandes entreprises – secteurs et entreprises qui recourent le plus massivement aux préretraites –, ce sentiment d'éviction du personnel âgé est, ce n'est pas étonnant, assez largement majoritaire. Plus précisément, si un salarié sur deux estime que leur entreprise maintient toujours des perspectives de carrière aux 50-60 ans (contre 45 % qui ne le pensent pas), un peu plus de la moitié jugent en revanche qu'elle ne forme plus les salariés de cet âge (52 % contre 44 % d'un avis contraire), qu'elle ne favorise pas les fins de carrière à temps partiel (52 % contre 43 %) et surtout qu'elle ne cherche pas à adapter les conditions de travail aux capacités physiques et psychiques de ces mêmes salariés (55 % contre 40 %). À en croire les salariés interrogés, le secteur public serait plus vertueux que le privé sur la carrière (respectivement 56 % et 47 % d'opinions positives), la formation (respectivement 47 % et 42 % d'opinions positives) et le travail à temps partiel (respectivement 53 % et 37 % d'opinions positives) du personnel âgé. Le public serait en revanche moins attentif que le privé aux conditions de travail des salariés aux tempes grises (respectivement 38 % et 41 % d'opinions positives).

Prêts au sacrifice financier

Au final, le comportement des entreprises n'encourage guère les salariés à reculer leur départ à la retraite. Si on leur laisse le choix entre cotiser plus pour avoir une meilleure retraite ou travailler moins longtemps quitte à avoir une pension moins élevée, près de six salariés sur dix (57 %) s'avouent prêts à un sacrifice financier pour mettre fin plus tôt à leur activité professionnelle. Et seulement quatre sur dix (39 %) choisissent de cotiser plus longtemps. Peut-être parce qu'ils s'inquiètent plus que d'autres du montant à venir de leur retraite, les mieux disposés à donner un coup de collier supplémentaire sont les femmes (42 %, contre 37 % des hommes), les plus jeunes (66 % des 18-24 ans et 43 % des 25-34 ans) et le personnel des petites entreprises (49 % des moins de 20 salariés et 43 % des 21 à 50 salariés).

Certaines contreparties peuvent enfin inciter les intéressés à travailler plus longtemps. Les deux tiers des salariés (65 %) s'avouent ainsi prêts à rester en activité au-delà de l'âge actuel de départ à la retraite si on leur donne la possibilité de transmettre leur savoir-faire aux plus jeunes. Quatre sur dix et près de la moitié des cadres (47 %) si leur temps de travail est fortement réduit. Un bon tiers (35 %) si leur travail est moins fatiguant physiquement et nerveusement. Et seulement deux sur dix (19 %), mais un quart des cadres (24 %), si l'entreprise continue de les former et de leur offrir des perspectives de carrière.

Bref, si c'est à reculons que – dans leur grande majorité – les salariés envisagent de prolonger leur période d'activité professionnelle, certaines compensations octroyées par les régimes de retraite (montant plus élevé de la pension) ou par les entreprises (évolution vers un rôle de tutorat, travail à temps partiel…) sont susceptibles de leur faire examiner cette perspective avec un peu moins d'appréhension.

59% des salariés du secteur public accepteraient de cotiser pendant 40 ans, comme dans le privé (au lieu de 37,5 ans actuellement), pour pouvoir prendre une retraite à taux plein 87 % des salariés du privé sont favorables à cet alignement

63% du public croient possible de revenir à 37,5 années de cotisation dans le secteur privé alors que 51 % des salariés du privé jugent la proposition irréaliste

57% des salariés préfèrent travailler moins longtemps, quitte à avoir une pension moins élevée, tandis que 39% préfèrent travailler plus longtemps pour avoir une meilleure retraite

Sondage exclusif «Liaisons sociales»-Manpower réalisé par téléphone par le CSA les 20 et 21 et les 27 et 28 juin 2001 auprès d'un échantillon de 948 salariés extrait de deux échantillons nationaux représentatifs de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d'après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et taille d'agglomération.

Auteur

  • Denis Boissard