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Débat

Comment mettre en place les 35 heures dans la fonction publique ?

Débat | publié le : 01.09.2001 |

Dans moins de quatre mois, le 1er janvier 2002, les quelque 4,5 millions de fonctionnaires sont censés passer aux 35 heures. Si la discussion se focalise sur les créations d'emplois, dont l'État-patron ne veut pas entendre parler (sauf à l'hôpital), la vraie question est ailleurs : parviendra-t-on à concilier aspirations des agents, attentes légitimes des usagers du service public et nécessaire productivité ? Le sentiment de trois experts.

« Les 35 heures ouvriront une réflexion sur la manière de faire mieux avec moins. »

NICOLAS TENZER Chef du service de l'évaluation et de la modernisation au Commissariat général du Plan.

La mise en place des 35 heures dans la fonction publique au 1er janvier 2002 doit affronter deux difficultés majeures. Dans l'immédiat, les négociations doivent résoudre une sorte de quadrature du cercle. D'une part, elles doivent respecter l'égalité des agents devant le temps de travail – d'où la norme de 1 600 heures travaillées sur une base annuelle –, ce qui conduira à mettre fin aux discordances non justifiées que constatait le rapport Roché. Cela implique que tous ne pourront être également «gagnants » dans le nouveau régime du temps de travail. D'autre part, il convient qu'elles prennent en compte la spécificité de chaque situation, ce qui implique une réflexion sur l'organisation du travail, son rythme dans l'année, les contraintes liées au service rendu au public, etc.

Cela exige un dialogue social au niveau adéquat qui n'aboutisse pas aux « facilités » fréquentes de la période précédente, mais aussi par lequel ne pourra être accordée aucune contrepartie, les 35 heures à rémunération inchangée constituant par elles-mêmes un avantage important.

On ne peut comprendre cette mécanique de mise à plat des missions et des modalités de leur exécution, à laquelle doivent conduire les négociations, indépendamment de perspectives à plus long terme, qui restent encore un tabou du discours public, même si quasiment tous les responsables, gouvernementaux et syndicaux, depuis notre rapport, en reconnaissent en privé le caractère inéluctable : la fonction publique de demain sera plus réduite en nombre, pour partie intégrée au jeu concurrentiel, obligée de satisfaire des exigences plus fortes du public. En effet, la réduction du temps de travail se combine au choc démographique des prochaines années, lié au départ à la retraite d'ici à quinze ans d'environ la moitié des fonctionnaires et à l'arrivée de générations moins nombreuses sur le marché du travail. Donc, non seulement le passage aux 35 heures ne se traduira pas globalement par des recrutements supplémentaires, mais il se fera dans un contexte de réduction des effectifs : indépendamment même des considérations budgétaires, nous ne pourrons pas remplacer tous les fonctionnaires qui partent à la retraite. Les 35 heures ouvriront donc une réflexion sur la manière de faire mieux avec moins et, concrètement, de hiérarchiser les priorités, de regrouper certains services, d'officialiser la saisonnalité des tâches dans l'organisation du travail, mais aussi de mutualiser les moyens, au niveau déconcentré, entre administrations, de développer, lorsque c'est possible, la polyvalence des services accueillant le public pour répondre aux exigences d'une durée d'ouverture plus longue.

Chacun peut y trouver son compte. Plutôt que d'avoir des temps morts au bureau, les agents utiliseront ce temps gagné pour eux. Ils ne perdront rien en termes salariaux puisque, au contraire, si demain il y a moins de fonctionnaires et plus de mobilité, ils pourront bénéficier de meilleures carrières. Quant aux cadres qui ne sauraient être les oubliés de la RTT, ils devraient profiter de possibilités accrues d'ouverture sur le monde extérieur, voire, il faut l'espérer, de véritables années sabbatiques.

Encore faut-il savoir penser la nouvelle organisation, ce qui suppose d'être lucide sur l'avenir.

« On ne peut se contenter de modifier le compteur de la badgeuse. »

CLAUDINE ALEZRA Directrice du pôle management chez Bernard Brunhes Consultants.

Même si les négociations ont progressé durant l'été, il est trop tôt pour établir un bilan des 35 heures dans la fonction publique. Cependant, on peut déjà dire que le processus a été chaotique et inégal. L'objectif affiché était de conjuguer les aspirations des agents et les attentes des usagers en termes de qualité de service. Au fil des mois, on s'est rendu compte que concevoir la réduction du temps de travail dans ce sens et revoir les fonctionnements existants n'était pas aisé. Plusieurs ministères ont entrepris un diagnostic, indispensable à l'élaboration d'une nouvelle organisation du temps de travail. Dans certains établissements publics dépendant du ministère de la Recherche, ce diagnostic a ainsi permis de repérer les attentes des salariés, les améliorations en termes d'organisation du temps et de développement des compétences, les gains de temps possibles. Cette phase a aussi été l'occasion de faire s'exprimer les salariés sur leurs aspirations et sur la manière dont ils concevaient le fonctionnement du service. Ils ont marqué une nette préférence pour l'obtention de jours de repos supplémentaires par rapport à une réduction quotidienne de la durée du travail.

Dans d'autres ministères, cela a été beaucoup moins facile, sans doute parce qu'on a manqué de souplesse des deux côtés. Les directions ont souvent pratiqué une démarche descendante sans information ni préparation préalables suffisantes. On n'a pas fait assez jouer au management intermédiaire un rôle de relais et d'animation de la réflexion. Les syndicats, eux, ont pu s'appuyer sur l'absence d'un accord préalable au niveau de la fonction publique pour rester sur des positions traditionnelles. N'est-on pas passé à côté d'une bonne occasion d'approfondir le dialogue social tout en participant à la rénovation du service public ? Il est vrai que l'annonce d'un blocage sur les créations d'emplois a été un élément de rigidité alors qu'il s'agissait de dégager des souplesses dans un processus gagnant-gagnant. Tout n'est pas perdu. Il reste des marges de manœuvre avec la déclinaison des arrêtés dans les unités : les règles du jeu de la RTT peuvent être inscrites dans les règlements intérieurs, élaborés en concertation avec les équipes et les instances représentatives locales. Ce sera l'occasion pour l'encadrement de jouer tout son rôle et de reprendre la main sur le terrain de l'organisation temporelle du service, qu'il avait partiellement perdue lors du développement des horaires variables.

On pourra ainsi adapter les temps de présence et d'ouverture aux spécificités du service et aux attentes des usagers. Et, plus largement, réfléchir aux fonctionnement, aux objectifs, aux compétences et à leur complémentarité.

Les salariés veulent des jours de repos en plus ; les usagers souhaitent un service public adapté à leurs besoins. Satisfaire les premiers en n'oubliant pas les seconds n'est pas impossible, à condition que chacun y mette du sien pour saisir cette opportunité de modernisation de l'organisation du travail. Sinon, la RTT dans la fonction publique se limitera à régler le compteur de la badgeuse sur 35 heures.

« Il faudra de grandes capacités de réorganisation pour passer sans casse aux 35 heures. »

MARCEL POCHARD Professeur associé à Paris I Panthéon-Sorbonne, ancien directeur général de l'Administration et de la Fonction publique.

C'est une véritable «boîte de Pandore », selon l'expression des organisations syndicales, que le gouvernement a ouverte en décidant d'institutionnaliser les 35 heures dans la fonction publique. Et les négociations dans les différentes administrations n'ont d'autre solution que d'essayer de conjurer les maléfices échappés de cette boîte.

Premier maléfice à exorciser : biaiser avec les réalités, notamment dans la mise à plat de la situation actuelle en matière de durée du travail dans la fonction publique. La mission Roché a commencé à clarifier la situation pour ce qui est de la durée théorique, mettant en évidence l'hétérogénéité des situations et la multiplicité des régimes spécifiques qui se sont instaurées dans les administrations au fil des ans, notamment pour le nombre de jours de congé. Mais il y a ensuite la durée pratique, beaucoup d'agents se constituant un régime à eux. Or mettre en place les 35 heures, c'est pour le moins remettre en cause toutes ces dérivés. Sinon, la négociation risque de n'en rester qu'à la surface des choses et de déboucher sur une construction fragile et incertaine.

Deuxième maléfice à conjurer, celui de la méthode. Comment, en effet, conjuguer une approche normative nécessairement unique et une adaptation à la multitude des situations à traiter ?

Troisième maléfice, celui de la faisabilité même de la mise en œuvre de la réforme dans les délais et conditions prévus. Il serait faux de croire qu'il suffira de quelques adaptations dans l'organisation du temps de travail pour aboutir et que, pour le reste, les réserves de productivité y pourvoiront. Certes, il y a d'évidents gisements de productivité au sein de l'administration ; mais de là à imaginer que l'ensemble des services va pouvoir se réorganiser aisément pour absorber sans heurt le choc des 35 heures, il y a un pas difficile à franchir. Il faudra en réalité de grandes capacités de réorganisation et d'anticipation pour pouvoir passer sans casse aux 35 heures.

Le quatrième maléfice est d'ordre financier. Paradoxalement, il est prévu que la RTT dans la fonction publique n'entraîne pas de création nette d'emplois publics et que les besoins susceptibles d'apparaître soient couverts par simple redistribution. C'est une pure spéculation : devant les difficultés qui ne manqueront pas de se produire, il faudra bien admettre de créer des emplois. Les 35 heures dans la fonction publique auront des incidences en matière d'emplois et un coût financier.

Le cinquième maléfice tient à la qualité du service rendu au public. Il n'est en effet pas à exclure que, dans divers cas, la solution, pour réduire le temps de travail à effectifs constants, consiste à réduire le contenu ou l'amplitude du service rendu aux usagers.

Le dernier maléfice est le plus grave ; il est lié au risque, si tous les problèmes inventoriés ne sont pas correctement traités, d'aboutir, non à la modernisation si recherchée de la fonction publique, mais à son maintien à l'abri de l'effort d'adaptation et de productivité demandé au reste du pays. Le grief de «privilégiature » ne ferait qu'être renforcé. Il va donc falloir aux négociateurs beaucoup de compétence, de fermeté et d'inventivité pour réussir.