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Pascal Moulette : La gestion des compétences numériques et des situations d’illettrisme, pourquoi en faire une priorité ?

Idées | Recherche | publié le : 01.02.2023 |

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Pascal Moulette : La gestion des compétences numériques et des situations d’illettrisme, pourquoi en faire une priorité ?

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Les difficultés rencontrées par un grand nombre de salariés dans la maîtrise des compétences numériques (phénomène qualifié d’illectronisme) ou dans la maîtrise des compétences de base (lire, écrire et compter principalement, quand on parle d’illettrisme) posent aujourd’hui la question de l’adaptation de leurs compétences à des environnements professionnels de plus en plus mouvants. Cette forme de « handicap invisible » que constitue par exemple le manque de capacité à utiliser les outils informatiques et numériques, ou à intégrer des écrits sur la sécurité, impacte pourtant la performance économique et sociale de toutes les entreprises et les organisations.

Sur l’illettrisme en entreprise et l’illectronisme, que savons-nous ?

Les données les plus récentes de l’Insee-ANLCI nous indiquent que, bien qu’ayant été scolarisées en France jusqu’à 16 ans, 6 % des personnes en emploi sont en situation d’illettrisme, et que 10 % des demandeurs d’emploi sont concernés. Le livre blanc sur l’illectronisme paru en 2019 nous indique par ailleurs que 23 % des Français s’estiment « victimes de fracture numérique et en difficulté face aux technologies ». Ces personnes n’auraient donc pas toutes les clés pour accéder en autonomie aux savoirs ou à la formation, et pour être actrices dans la gestion de leur parcours professionnel.

Les données de l’Insee-ANLCI (2012) nous apportent également de nombreux éclairages sur les secteurs d’activité qui semblent les plus touchés par ces problématiques d’illettrisme ou plus largement par les difficultés liées à un manque de maîtrise, en français, des savoirs de base1. Des secteurs sont très touchés par la problématique de l’illettrisme comme l’agroalimentaire, l’agriculture, la pêche, l’industrie ou encore le BTP avec des taux qui dépassent la moyenne nationale. D’autres secteurs sont aussi fortement impactés, si on considère plus globalement la difficulté à utiliser le français, comme l’hôtellerie ou la restauration ou encore le transport. Un outil mis à disposition gratuitement par l’ANLCI permet de faire un diagnostic rapide de sa situation face à ces problématiques, sur www.evagill.fr.

Quels en sont les enjeux ?

Différents niveaux d’effets et d’impacts sont mis en évidence quand il s’agit d’identifier les enjeux d’une meilleure gestion des problématiques d’illettrisme ou d’illectronisme. On parle d’enjeux pour les performances économiques, sociales et psychosociales.

Un salarié en difficulté dans la maîtrise des compétences numériques ou des compétences de base est d’abord un salarié qui manque de confiance en lui. Cela se manifeste par exemple par un manque de prise d’initiatives, par de l’absentéisme, ou par un refus de rentrer dans des dispositifs de formation.

C’est aussi un salarié qui va chercher à contourner ses difficultés et montrer des insuffisances face aux exigences de son poste. Cela se manifeste concrètement par des sollicitations excessives de ses collègues ou de son environnement, ou par des erreurs ou des périodes de sous-productivité.

Enfin, c’est un salarié qui va chercher à s’aménager une « zone de quasi-sécurité » avec différentes routines pour éviter d’être repéré ou stigmatisé face à ses difficultés. Cela se manifeste par la création d’outils ou de référentiels propres, ou par des refus de toute forme de changement.

L’ensemble de ces situations génère à la fois des coûts, pour l’ensemble du collectif, qui s’évaluent entre 2 et 6 % de la masse salariale ; il génère également des effets sur la performance sociale avec parfois des climats sociaux dégradés au sein des équipes, ou une forte altération du bien-être des salariés (fortes situations de stress par exemple).

Quelles sont les pistes d’action envisagées ?

Plusieurs invariants reviennent dans les actions de remédiation réussies face aux problématiques d’illettrisme et d’illectronisme. Un point déterminant est de travailler autour de la question de la confiance : donner confiance en soi à ce salarié, et lui donner confiance en son employeur à l’accompagner dans son parcours. Dans ce contexte, il est important d’apporter des ressources nouvelles à ce salarié (une formation adaptée par exemple), pour combler son manque de capital. Et important de l’aider à exploiter et à valoriser ses « ressources énergétiques ». Elles correspondent à toutes les agilités que ce salarié a déployées depuis ces dernières années pour contourner ou pour dissimuler ses lacunes. Ce climat de confiance est d’autant plus important pour inciter à la révélation de ses manques face aux exigences du numérique et de la digitalisation des activités.

Un autre élément semble faire l’unanimité : partir des situations de travail comme situations d’apprentissage et utiliser la méthode des petits pas. Pas de grandes ambitions dans un premier temps, pas d’entrée par la « porte » de l’illettrisme. Mais fonctionner avec des succès rapides, des échéances courtes, des actions ayant un effet direct et quotidien sur l’activité professionnelle et la capacité du salarié à tenir son poste. Pour que le dispositif soit gagnant-gagnant, pour que la (re)prise de confiance dans sa capacité à réapprendre soit au rendez-vous, pour que le collectif de travail puisse bénéficier des effets de l’action de remédiation. En bref, donner des « clés motivationnels » pour que le salarié voie un intérêt direct à son engagement dans un dispositif coûteux psychologiquement. Le constat est le suivant. Grâce à cette phase de formation sur des problématiques professionnelles concrètes (comme « utiliser une tablette pour faire mon reporting d’activité »), le salarié diminue ses facteurs de stress et de souffrance au travail, devient plus performant, et peut faire des ponts avec sa situation personnelle et familiale (la formation en entreprise devient aussi utile pour mieux gérer mes outils informatiques domestiques). Ce qui crée des « effets déclic » intéressants : envie de continuer à progresser, de s’inscrire dans un dispositif de relèvement des connaissances de base plus classiques, de s’inscrire dans un programme associatif de remédiation en dehors du temps de travail, etc.

Enfin, un dernier élément semble déterminant dans la qualité de la réponse apportée : mobiliser un réseau de professionnels compétents pour traiter la problématique détectée par l’employeur ou révélée par le salarié. Rien de pire qu’une action mal préparée, qu’un formateur peu compétent, qu’une réponse inadaptée aux besoins, alors que les tabous étaient tombés sur la situation vécue par le salarié. Des acteurs sont mobilisés sur tout le territoire pour apporter des réponses et des éclairages sur différentes questions (comment repérer, comment en parler, comment agir…). Il s’agit des chargés de mission régionaux de l’ANLCI récemment nommés, et des centres ressources illettrisme (CRI) présents en région ou en département. Des acteurs associatifs, comme des missions locales, peuvent aussi être associés aux réflexions. Les Opérateurs de compétences (OPCO) sont enfin des acteurs importants à mobiliser pour être informé par exemple des dispositifs de financement existants2.

(1) Si on intègre les personnes relevant du FLE – français langue étrangère – ayant été scolarisées dans leur pays d’origine mais ne maîtrisant pas le français.

(2) L’outil Evagill précédemment mentionné permettant, à l’issue des résultats obtenus, d’être mis en contact avec un référent illettrisme de son OPCO d’appartenance (www.evagill.fr).