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Pascal Lokiec : De l’obligation de négocier ne nait pas celle de s’accorder

Idées | Juridique | publié le : 01.02.2023 |

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Pascal Lokiec : De l’obligation de négocier ne nait pas celle de s’accorder

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Alors que le pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des salariés, les négociations salariales constituent actuellement un sujet central dans nombre d’entreprises, avec des demandes syndicales d’augmenter significativement les salaires. Ces demandes s’inscrivent généralement dans le cadre de la négociation obligatoire, autrement dit de ce qu’on a coutume d’appeler les « NAO ».

Une négociation obligatoire

La négociation salariale constitue l’archétype de l’obligation de négocier, technique très utilisée par le législateur depuis les années 1980 pour obliger les partenaires sociaux à se pencher sur un sujet. Chaque année, à moins qu’un accord collectif ne prévoie une autre périodicité, l’entreprise est ainsi tenue d’ouvrir des négociations sur deux thèmes. D’une part, la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ; d’autre part, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et la qualité de vie et des conditions de travail. À cela s’ajoute l’obligation, tous les trois ans, d’ouvrir une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels. Sans nul doute les salaires effectifs, notion large puisqu’elle inclut tant le salaire de base que les compléments de salaires, constituent-ils, de surcroît dans le contexte actuel, le cœur de la NAO !

Quels acteurs ?

Avec qui négocier ? Pour répondre aux difficultés qu’ont les syndicats à s’implanter dans les PME, le législateur a ouvert, depuis une vingtaine d’années, avec un succès mitigé, la négociation collective en dehors de toute implantation syndicale dans l’entreprise. Si rien n’empêche ces acteurs non syndicaux – que ce soient les élus du CSE ou les salariés directement dans le cadre d’un référendum – de négocier sur les salaires avec l’employeur, la négociation obligatoire est, quant à elle, réservée aux entreprises comprenant un ou plusieurs délégués syndicaux. La préparation à la négociation obligatoire constitue d’ailleurs, par ses enjeux, l’un des pivots de la formation syndicale. C’est à l’employeur qu’incombe l’initiative de la négociation annuelle obligatoire, en convoquant les délégués syndicaux à une première réunion. En cas d’inaction de l’employeur, l’initiative change de côté. Les syndicats peuvent demander le déclenchement de la négociation, auquel cas l’employeur est obligé de convoquer les parties sous quinze jours. S’ensuivent toute une série de réunions qui déboucheront, ou non, sur un accord, puisque l’obligation de négocier n’est pas une obligation de conclure. Sur le thème spécifique de l’égalité professionnelle, y compris salariale, entre les femmes et les hommes, l’absence d’accord doit toutefois déboucher sur un plan d’action unilatéral faute de quoi l’entreprise s’expose à des pénalités.

Une négociation sur la négociation

Depuis une dizaine d’années, la négociation collective a pris tellement d’importance dans le fonctionnement des entreprises que le législateur est favorable à ce que les partenaires sociaux puissent définir eux-mêmes la méthode et les modalités de la négociation. Ils ont désormais la main non seulement sur le calendrier de la négociation, ce qui est logique, mais aussi, ce qui est nouveau, sur la périodicité et, même si les marges sont limitées, sur le contenu de chacun des thèmes évoqués plus haut. La négociation obligatoire dans l’entreprise est ici le siège d’un nouveau triptyque, dont il peut être utile de rappeler la logique, car il irrigue aujourd’hui toute une partie du Code du travail, à commencer par le droit du temps de travail. Ce triptyque distingue l’ordre public, le champ de la négociation collective et les dispositions supplétives. Si l’on prend l’exemple de la périodicité des négociations obligatoires, le triptyque fonctionne de la façon suivante : le Code du travail prévoit tout d’abord que les trois thèmes obligatoires (ceux évoqués plus haut) doivent faire l’objet d’une négociation au minimum tous les quatre ans (« ordre public ») ; il habilite ensuite les partenaires sociaux à définir eux-mêmes la périodicité des négociations, dans la limite des quatre ans (« champ de la négociation collective ») ; il fixe enfin les règles applicables faute d’accord, c’est-à-dire, un an pour les deux premiers thèmes de négociation, trois ans pour le troisième (« dispositions supplétives »).

La loyauté dans la négociation

L’importance de la négociation salariale fait qu’un certain nombre de règles périphériques en garantissent l’effectivité. Tout d’abord, la négociation obligatoire sur les salaires effectifs doit concerner la situation de l’ensemble des salariés ; il n’est donc pas question de refuser d’ouvrir la négociation à une catégorie de salariés, parce que, par exemple, ils sont moins performants. Ensuite, l’entreprise, tenue par une obligation de loyauté dans la conduite des négociations, ne peut pas isoler un syndicat récalcitrant en organisant des négociations séparées avec les autres. En troisième lieu, l’employeur n’a pas le droit, tant qu’on est en cours de négociation, de court-circuiter celle-ci en décidant unilatéralement une augmentation générale de salaires et, plus largement, de prendre toute mesure susceptible d’impacter, de manière globale, les salaires effectifs. Le Code du travail prévoit en effet que tant que la négociation obligatoire est en cours, « l’employeur ne peut, dans les matières traitées, arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, sauf si l’urgence le justifie ». Cela va jusqu’à interdire à une compagnie d’assurances de décider, en cours de négociation, de la mise sur le marché d’un nouveau contrat collectif qui a pour effet de modifier le montant des salaires effectifs des agents chargés de le commercialiser. Les augmentations individuelles sont, en revanche admises, puisqu’elles ne concernent pas, pour reprendre les termes du Code du travail, « la collectivité de salariés ». On notera que, si l’interdiction tombe une fois achevée la négociation, l’entreprise ne peut pas, dans le procès-verbal de désaccord qui acte, le cas échéant, l’échec des négociations, prévoir d’augmentations (générales) de salaires qui iraient au-delà de ses dernières propositions car, en décidant unilatéralement ce qu’il a refusé de mettre dans la négociation, l’employeur manquerait ici également à son obligation de loyauté.

Salaire ou dividende ?

Un nouveau sujet de débat a surgi, depuis quelques semaines, en lien avec le projet du Gouvernement de mettre en place un dividende salarié. L’idée est d’obliger les entreprises qui distribueraient des dividendes à leurs actionnaires d’en distribuer une part équivalente à leurs salariés, suivant des modalités qui restent à définir. Envisagé pour répondre aux problèmes de pouvoir d’achat rencontrés par les salariés, ce dispositif est explicitement présenté comme une alternative à l’augmentation obligatoire et systématique des salaires, défendue par certains syndicats qui souhaitent que les salaires soient indexés sur l’inflation. Si cette indexation par l’effet de la loi a peu de chances d’aboutir, l’adoption d’un dividende salarié peut-elle avoir un impact sur la négociation sur les salaires dans les entreprises ? Tenues de verser un dividende salarié, les entreprises pourraient répondre qu’elles n’ont plus de grain à moudre dans le cadre des NAO ! Si l’on prend l’exemple de 2022, les statistiques du ministère de l’Économie prévoient ainsi une hausse moyenne des salaires en 2022 de 2,5 %, pour une inflation annoncée à 5,3 %. Des demandes d’augmentation sont donc prévisibles du côté des organisations syndicales, au regard des évolutions des années précédentes et de l’inflation 2022. Il y a là une considération à prendre en compte, car l’octroi d’un dividende ne remplace en aucun cas une augmentation de salaires. Outre qu’elle n’assure pas le financement de la sécurité sociale, la rémunération du capital ne compte pas pour déterminer le montant de la pension de retraite, de l’allocation-chômage, de l’indemnité de licenciement ou encore du budget du comité social et économique. Difficile, voire impossible, en somme, de concevoir un tel dispositif sans traiter la question salariale, ce qui devrait rendre la tâche des partenaires sociaux particulièrement délicate. La question du dividende salarié constitue l’un des éléments centraux de la négociation nationale interprofessionnelle sur le « partage de la valeur », mais pas celle du salaire !