Depuis quelques décennies, élus, entrepreneurs, experts et agents d’influence affirment dans des journaux, à la télévision, à la radio ou sur des réseaux sociaux que les emplois seraient particulièrement difficiles à pourvoir en France, observe Hadrien Clouet, sociologue du travail, député Nupes et auteur de cet ouvrage. Cette litanie des centaines de milliers d’emplois non pourvus est classiquement opposée aux difficultés de recrutement et au nombre de chômeurs. Pour dénouer ce paradoxe apparent, les porte-parole de cette thèse des emplois non pourvus privilégient une dérégulation du marché de l’emploi. Pour Hadrien Clouet, il s’agit d’un « discours éminemment idéologique mobilisé pour justifier un programme politique libéral ». Et l’auteur de s’inscrire en faux contre cette thèse qu’il réfute tout au long des 160 pages de cet essai. Selon lui, le débat public se trouve saturé de distorsions statistiques ou de confusions méthodologiques. Par exemple, « les porte-parole du sujet substituent régulièrement les emplois “vacants” aux emplois “non pourvus” pour la bonne raison que ces derniers n’ont aucune définition stable et acceptée […] ».

En réalité, notre pays connaît une pénurie chronique d’emplois et la quasi-totalité des offres trouvent rapidement preneur. Le volume des emplois non pourvus demeure résiduel et s’explique dans les rares situations où on le constate autrement que par l’oisiveté. Utilisé par des acteurs publics et patronaux pour réviser à la baisse les droits sociaux des salariés, « le non-pourvoi est une question sociale, pas une défaillance individuelle de la part des chômeurs ». Clouer au pilori les emplois non pourvus (et donc, par analogie, ceux qui les refuseraient) disculpe automatiquement les employeurs, pointe le sociologue, alors qu’une partie d’entre eux préfèrent ne pas embaucher que d’ouvrir les profils recherchés. Bel et bien présents en nombre sur le marché, les candidats au recrutement sont pour certains évincés des processus de recrutement, et pour d’autres empêchés de postuler par leurs conditions de vie – sans que le patronat n’y soit ici pour quelque chose. Les cas avérés de non-pourvoi ont donc des causes sociales. Ils n’opposent pas des patrons diaboliques et des chômeurs fainéants, mais révèlent des schémas de recrutement discriminatoires et des difficultés matérielles à postuler, conclut l’auteur. D’ailleurs, la roue tourne : « Pensé par ses initiateurs comme une arme contre le salariat, le discours des offres non pourvues est simultanément une opportunité qu’ont su saisir des organisations syndicales pour contraindre les employeurs à améliorer la qualité des emplois. »

Hadrien Clouet, éditions du Croquant, 12 euros.