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L’enquête administrative, un outil précieux pour les employeurs publics

Dossier spécial | publié le : 01.02.2023 | Muriel Jaouën

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L’enquête administrative, un outil précieux pour les employeurs publics

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Peu connue, pas encadrée juridiquement, lourde à gérer… L’enquête administrative présente néanmoins de vrais avantages pour les employeurs publics. Éclairage croisé de Mathilde Icard, directrice générale du centre de gestion de la fonction publique territoriale du Nord, présidente de l’Association des DRH des grandes collectivités territoriales, et de Christophe Pichon, avocat associé au cabinet Vincent Cornet Segurel.

Qu’est-ce qu’une enquête administrative ?

Christophe Pichon : Il s’agit d’une démarche exploratoire permettant à un employeur public de prendre une décision concernant la réalité de faits qui lui sont signalés. Ces faits pouvant relever de violences, de discriminations, de harcèlement, de sexisme, d’un manquement aux dispositions de prévention des accidents du travail ou des risques professionnels. L’enquête administrative est actionnée dans le cadre d’un engagement de procédure disciplinaire ou du dispositif de signalement d’actes ou de comportements inappropriés d’agents prévu pour la fonction publique. Concrètement, elle consiste à réaliser une audition des protagonistes d’un fait ou d’un incident et à rédiger un rapport de synthèse à l’attention de l’employeur public, afin qu’il engage les suites qui lui semblent appropriées.

Mathilde Icard : Pour les collectivités, qui malheureusement ne sont pas concernées par l’Inspection du travail, il s’agit d’un outil RH très précieux. Il permet de prendre connaissance de situations plus ou moins critiques, de faire le point sur le fonctionnement d’un service, sur des tensions entre agents, sur des allégations – notamment de harcèlement moral –, sur la réalité d’un accident déclaré, d’une insuffisance professionnelle… Les enquêtes, outre le traitement de situations, contribuent non seulement à alimenter la prévention des risques, mais elles fournissent des éléments pour nourrir ou orienter les questionnaires de climat social et les baromètres sociaux.

Christophe Pichon : C’est est un vecteur d’aide à la décision pour les RH. Imaginons un service confronté deux fois de suite à des signalements concernant des faits de nature similaire. Voilà qui doit questionner la capacité de l’organisation à prendre les dispositions susceptibles de prévenir ces faits et de les traiter à temps. L’enquête administrative a une autre grande vertu : celle de montrer que l’employeur ne demeure pas inactif face aux sujets qui lui sont remontés. N’oublions pas qu’en cas de manquement, la responsabilité de la collectivité peut être engagée.

S’agit-il dans les collectivités territoriales d’une pratique en augmentation ?

Mathilde Icard : Nous manquons de données pour quantifier des tendances. L’Association des DRH des grandes collectivités territoriales souhaite à cet égard conduire une étude qui permettrait d’objectiver les pratiques et leur évolution. Spontanément, on serait tenté de confirmer une hausse du nombre de signalements. Mais il faudrait pouvoir l’analyser. Il est probable que nous sommes dans une période transitoire, où la libération d’une certaine parole a créé un appel d’air pour ce type de démarches. Il y a beaucoup de sujets aujourd’hui sensibles qui ne l’étaient pas il y a vingt ou même dix ans. Je pense en particulier aux questions de genre. Les propos et les comportements sexistes, sans parler du harcèlement et des violences sexuelles, sont aujourd’hui intolérables. Le fait de les prendre en compte, de les traiter, de les sanctionner est essentiel sur le plan de la responsabilité sociale. Mais c’est aussi très important pour des employeurs confrontés à de sérieux enjeux d’attractivité. Si elles veulent attirer les compétences aujourd’hui et demain, les collectivités territoriales doivent en effet « dégenrer » leur image et leurs métiers (par exemple, la police municipale pour les hommes et la petite enfance pour les femmes). Les enquêtes participent à cette dynamique.

D’un point de vue juridique, ce dispositif est-il strictement encadré ?

Christophe Pichon : Non seulement il n’est en aucun cas obligatoire, mais il échappe à toute disposition législative ou réglementaire. C’est à l’autorité compétente d’apprécier l’opportunité de réaliser une enquête administrative, dans quelles conditions et selon quelles modalités. Les autorités territoriales ne sont en outre pas tenues de suivre les préconisations des rapports produits et demeurent libres de donner ou pas suite. Libres à eux de ne pas agir, d’engager une médiation, de procéder à un rappel à l’ordre, d’engager une procédure disciplinaire, voire de faire un signalement auprès du parquet s’ils jugent que des faits relèvent du pénal. L’administration étant bien sûr tenue de respecter les droits de la défense lorsque, sur les fondements de l’enquête, elle prononce une sanction disciplinaire.

Mathilde Icard : Un décret du 15 mars 2020 oblige les administrations, collectivités territoriales et établissements publics à mettre en place un dispositif de signalement, également appelé cellule d’alerte et d’écoute, permettant aux employés de signaler toute forme de harcèlement, de violences, de discrimination et d’agissements sexistes commis sur leur lieu de travail. Mais, au-delà de cette obligation, il s’agit bien sûr d’accompagner l’ensemble des agents mobilisés et concernés par une procédure de signalement : mise en œuvre d’un protocole de recueil et de traitement des signalements, prise en charge des victimes. Les employés témoins ou victimes de faits déviants doivent savoir où et à qui s’adresser. Il s’agit donc aussi, en amont, de faire connaître l’existence de ces cellules, qui, il faut bien le dire, sont loin d’être repérées, encore moins identifiées. Elles sont même parfois confondues avec les dispositifs ouverts aux lanceurs d’alerte. Afin de clarifier ces démarches et de partager les bonnes pratiques, Émilie Nicot, vice-présidente de l’Association des DRH des grandes collectivités territoriales, et Stéphanie Six-Ludot, directrice de projets RH – égalité professionnelle femmes-hommes à la Ville de Lille, ont rédigé avec notre réseau un guide pour « prévenir les violences sexistes et sexuelles ».

Il y a donc autour de ces outils un réel enjeu de communication et de transparence…

Christophe Pichon : C’est pourquoi il est important de poser les règles du jeu en amont. En formalisant et de manière précise les contours et les modalités de fonctionnement des enquêtes et en les portant à la connaissance de l’ensemble du corps social (agents, management, instances représentatives), la collectivité fait de ces dispositifs des outils d’administration « normaux » et se prémunit contre des critiques, des débats et des procès d’intention qui pourraient vite – notamment dans le cas d’enquêtes sensibles – polluer les procédures.

L’externalisation des enquêtes peut-elle être une garantie de neutralité ?

Mathilde Icard : L’enquête peut être réalisée « en interne », c’est-à-dire confiée à des agents de l’employeur territorial, généralement deux ou trois, ou bien externalisée, soit auprès d’un cabinet d’avocats, soit auprès d’un centre de gestion de la fonction publique territoriale qui propose aux collectivités des conventions d’adhésion portant sur la réalisation d’enquêtes administratives. Il faut savoir qu’il s’agit d’une mécanique lourde en matière d’organisation, qui appelle une méthodologie bien rodée, soulève d’importants ajustements de coordination et expose les agents et services concernés à des enjeux émotionnels parfois non négligeables. Pour autant, entre externalisation et gestion interne, il n’y a pas de formule idéale car il n’y a jamais de réponse clé en main. La sensibilité des sujets traités, la lourdeur des démarches à engager plaident pour une approche au cas par cas. Chaque cas de figure (fait ou situation à analyser, nature et taille de la collectivité, culture managériale en place) fera pencher l’organisation dans un sens ou dans un autre. On peut légitimement penser que les grandes collectivités auront plus de moyens pour externaliser les enquêtes, mais aussi que les plus petites ne disposent pas forcément des ressources internes pour supporter des démarches de ce type.

Quels sont la place et le rôle des managers ? Sont-ils associés à ces enquêtes ?

Mathilde Icard : Au sein de l’Association des DRH de grandes collectivités territoriales, nous insistons sur l’importance de ne pas déresponsabiliser les managers dans leurs compétences et leurs prérogatives d’action. Les organisations du travail du secteur public, au moins autant que celles du privé, doivent aujourd’hui intégrer de nombreux dispositifs dédiés à des problématiques spécifiques : discrimination, handicap, égalité professionnelle, etc. Le risque de déposséder le management – notamment le management de proximité – de ses missions, n’est pas nul. Or, paradoxalement, la multiplication des référents dans les diverses dimensions des ressources humaines, parce qu’elle acte la prise en compte de sujets qui étaient jusqu’alors moins, voire peu identifiés, ne fait que renforcer la responsabilité du management dans sa capacité à les traiter. À ce titre, les enquêtes administratives, si elles renvoient opérationnellement aux ressources humaines, ne doivent pas être considérées comme un sujet strictement RH. Il est indispensable de mettre le management dans la boucle.

Auteur

  • Muriel Jaouën