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Décodages

Travailleurs des plateformes : la construction du socle de droits à petits pas

Décodages | Plateformes d’emploi | publié le : 01.02.2023 | Peggy Corlin

La négociation sur le socle des droits sociaux des travailleurs des plateformes vient de déboucher sur un tarif minimal pour les chauffeurs VTC. Mais la construction d’un véritable corpus de protection sociale avance lentement…

Un premier pas encourageant. Lancée début septembre, la négociation dans le secteur des plateformes – VTC et livreurs à deux roues – a accouché d’un premier accord, le 18 janvier, en faveur d’un revenu minimum par course à 7,65 euros pour les VTC. Alors qu’Uber, qui domine le marché, pratiquait jusque-là un tarif minimal de 6 euros et que les représentants des chauffeurs en demandaient 8, la situation s’est décantée dans la dernière ligne droite de la négociation, moyennant un réexamen annuel de la rémunération en vue de sa réévaluation. « On revalorise la course minimum », commente Yassine Bensaci, vice-président de l’Association des VTC de France (AVC), l’organisation majoritaire dans le secteur côté chauffeurs. « Le tarif minimum d’un taxi étant à 7,30 euros, on montre que le VTC doit être quelque chose un peu plus haut de gamme. » Pour Uber, l’augmentation de 27 % se traduira à compter du 1er février par une course minimale à 10,20 euros pour le passager. Mais l’entreprise y trouve son compte, car les chauffeurs tendaient à rejeter les courses à 6 euros. « Les intérêts de tout le monde sont alignés : les chauffeurs ont des revenus plus élevés ; Uber, appliquant une commission sur la base d’un tarif plus élevé, est également gagnant ; et les passagers le sont aussi dans le sens où ils verront plus souvent leurs trajets acceptés », se félicite Laureline Serieys, directrice générale d’Uber France.

L’accord de méthode également signé par les représentants de ce nouveau dialogue social sectoriel lancé en septembre dernier met aussi au menu des négociations le revenu global des chauffeurs – soit les 90 % de courses restantes – dans un contexte économique tendu où les conducteurs se plaignent de voir leurs charges augmenter. AVF plaide pour un taux horaire garanti. « Il s’agit de pouvoir rémunérer le kilométrage à vide entre l’acceptation de la course par le chauffeur et l’entrée du client dans le véhicule », explique Yassine Bensaci. Difficile à avaler pour Uber, selon qui rien n’empêcherait un chauffeur de mettre à profit son temps d’attente pour effectuer une course pour la concurrence ou pour un client privé… Pour autant, la plateforme ne ferme pas la porte à des négociations sur le temps d’approche.

Opacité des plateformes de livraison.

Si le contenu des tarifications est connu côté VTC (Uber applique une commission de 25 % sur la course), il ne l’est pas pour les livreurs des plateformes, l’autre secteur où des négociations se sont engagées pour la première fois. Ici, les discussions sont moins avancées et les représentants des plateformes (Uber, Deliveroo, Stuart), réunis au sein de l’Association des plateformes d’indépendants (API), restent opaques sur leur modèle économique. Tout juste sait-on qu’elles appliquent un tarif commercial au client, quel que soit le coût du livreur, et qu’un pourcentage est prélevé sur le restaurateur. « On sent bien que c’est un marché plus fragile que celui des VTC, et qu’il va être difficile dans ces négociations de faire bouger les plateformes concurrentes entre elles », confie Grégoire Leclercq, président de la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE), représentative à 28 % du secteur, soit la première organisation chez les livreurs, suivi de la CGT à 27 %. Les discussions visent aussi la mise en place d’un revenu minimum. L’API propose le Smic horaire brut appliqué au prorata du temps de la commande, hors temps de trajet jusqu’au restaurateur où la livraison est prise en charge, ce que contestent les livreurs qui, eux, veulent voir ce temps de trajet rémunéré. Autre point d’achoppement, la FNAE demande l’application d’un barème au kilomètre à toute la course pour éviter tout ce qui pourrait se rapprocher d’une forme de salariat, contrairement à la CGT qui demande l’application du Smic horaire. « La CGT ne signera rien tant que la base de négociation n’est pas au moins le Smic horaire pour tout le temps de travail », prévient Ludovic Rioux, secrétaire général CGT Livreurs. « Le problème de cette négociation est qu’elle se fait sans base minimale, ce qui n’existe pas dans un dialogue social sectoriel normal où la loi sert de base. Là il n’y en a pas. Donc la négociation est forcément en défaveur de la partie la plus faible, à savoir les livreurs. »

Commissions de déconnexion.

Ces derniers sont plus unis quand il s’agit de demander la fin des doubles, voire des triples livraisons, ce système qui applique des tarifs minorés aux commandes successives prises par le livreur sur un même trajet. Sur le sujet, l’API temporise. Comme d’ailleurs sur la question des déconnexions en cas de signalements des consommateurs et des restaurateurs. À l’instar des chauffeurs de VTC, leurs homologues à deux roues demandent la mise en place de commissions composées de représentants des plateformes et des livreurs se réunissant à intervalles réguliers pour apprécier ces suspensions (définitives ou suspensives) qui se traduisent par une perte de revenu pour les deux professions. Chez Uber existent ainsi des comités d’appels que les chauffeurs souhaitent voir généralisés à toutes les plateformes VTC. Ces derniers demandent même une compensation financière, sous forme de caisse d’indemnisation, pour les chauffeurs privés de revenus en cas de déconnexion abusive.

Du côté des livreurs, on n’en est pas encore là. La FNAE, soucieuse de préserver leur statut d’indépendant aux livreurs, n’est pas favorable aux procédures qui peuvent se rapprocher du statut salarié. « Il faudrait surtout que les plateformes acceptent d’en dire plus sur la culture de leur algorithme et les règles qui s’appliquent à la déconnexion. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », précise Grégoire Leclercq. D’autres rounds de négociation doivent se tenir au moins une fois par mois en 2023. « Il faut aller vite et que l’on trouve des accords cette année. On est en train d’écrire l’histoire du dialogue social dans ce secteur. Si ça ne marche pas cette année, ce sera trop tard », conclut le représentant des livreurs. Mais tous ne voient pas cette innovation sociale d’un même œil, ni les autres organisations syndicales ni les représentants des plateformes…

Auteur

  • Peggy Corlin