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Décodages

Pierre Ferracci, expert alpha

Décodages | Portrait | publié le : 01.02.2023 | Irène Lopez

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Pierre Ferracci, expert alpha

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« C’est le Raymond Soubie de gauche », se plaisent à dire ceux qui le connaissent. Indispensable expert du social depuis quatre décennies, Pierre Ferracci s’apprête à passer les rênes du Groupe Alpha. L’occasion de revenir sur un parcours où social rime parfois avec… football.

Le 19 janvier aurait dû avoir lieu un grand raout à la maison de la Mutualité, à Paris : celui des 40 ans du Groupe Alpha, groupe qui conseille les entreprises, les CSE et les acteurs publics sur les thématiques économiques, sociales et environnementales. Pierre Ferracci, son président, avait invité tous les acteurs de l’écosystème du social en France. De Philippe Martinez, leader de la CGT, à Olivier Dussopt, ministre du Travail. Grande mobilisation contre la réforme des retraites oblige, l’événement sera finalement reporté au 19 septembre 2023.

Ce n’est que partie remise pour ce Corse né le 11 juin 1952 à Ajaccio d’un père responsable du Parti communiste insulaire, grande figure de la Résistance, et d’une mère syndicaliste enseignante. C’est en janvier 1983, à la faveur des lois Auroux promulguées en 1982, que cet expert-comptable de formation, diplômé en sciences économiques et en économie appliquée, crée la première entité, Secafi, qui donnera plus tard naissance au Groupe Alpha. 1982 ? « C’est une date importante pour la démocratie en entreprise. Avec les lois Auroux, les représentants du personnel et les organisations syndicales doivent être pourvus d’experts, à l’instar de la direction. Je me suis dit qu’il y avait un coup à tenter. Avec Secafi, j’ai souhaité que les représentants du personnel et les comités d’entreprise puissent bénéficier d’une expertise d’un niveau au moins équivalent à celui dont disposaient les directions d’entreprise. Parce que pour avancer, il fallait que le jeu soit plus équilibré. » Et il l’est, selon François Hommeril, président de la CFE-CGC. Vers le milieu des années 1990, alors cadre à l’usine de Gardanne chez Péchiney, il se souvient d’une réunion de direction en présence de tout un panel de cadres : « La direction se droguait à l’idée que les participants partagent les options stratégiques prises. Entre le monde virtuel et idéalisé de la direction et le nôtre, il y avait un écart. Seule l’analyse économique apportée par les cabinets d’expertise auprès des CE permettait une vision critique de la façon dont l’entreprise était dirigée. Pour le cadre que j’étais, c’était très libérateur. Cette expertise apportée par de tels cabinets fait la force de l’analyse syndicale. »

« Un business pro-syndical et pro-patronal ».

Conseil des salariés, Pierre Ferracci est alors considéré comme proche des milieux de gauche, notamment de la CGT, son premier client. C’est à cette époque qu’il croise Jean-Dominique Simonpoli, secrétaire général de la fédération cégétiste des banques… et Corse comme lui. « Il s’est beaucoup développé à partir de la CGT. Mais il a eu l’intelligence de comprendre qu’il fallait qu’il diversifie ses clients. Il s’est rapproché d’autres organisations, comme la CFDT, la CFE-CGC… », confie ce dernier. De fait, le Groupe Alpha fait évoluer son métier historique d’assistance auprès des CE et des CHSCT pour investir tous les champs de la chaîne de l’emploi avec l’acquisition et le développement de Sémaphores (dédiée à l’accompagnement des organisations, publiques et privées, dans leurs stratégies et projets, leurs transformations). Une branche qui a pour clients LCL, Goodyear, Canal+ ou Conforama. Suivront l’acquisition d’autres entités telles que TH Conseil (management des singularités, handicap, parcours de vie inhabituel), GVA (expertise comptable, audit et gestion financière), etc. Cette évolution du groupe ne se fera pas sans susciter quelques inimitiés. « Il a développé un pôle « restructuring » pour accompagner les patrons qui voulaient se réorganiser et faire des charrettes, explique Marc Landré, ancien journaliste chargé du social au « Figaro », il est alors devenu l’ennemi de la cause, un traître du point de vue des syndicats. Il a développé un business pro-syndical et pro-patronal ! » Bruno Mettling, ancien DRH d’Orange, tempère : « Une entreprise qui veut tailler dans les effectifs sans recul ne fera pas appel à Sémaphores, qui est au service des entreprises qui veulent privilégier un équilibre. »

Aujourd’hui, le Groupe Alpha compte 900 salariés, réalise 130 millions d’euros de chiffre d’affaires et revendique un « ADN qui fait en sorte que l’entreprise se développe de telle façon que l’ensemble des parties prenantes s’y retrouvent », selon les mots de Pierre Ferracci. Il tient à l’articulation entre l’écologie (« ce qui nous attend, le retard que nous avons pris »), le social (« en préservant la compétitivité ») et l’économie (« la valeur, ce sont les salariés. Il faut les former ») et fustige « les intégristes écologistes qui oublient que le social doit suivre et les syndicats qui sous-estiment les enjeux de compétitivité. »

Un homme de débat.

Dans les années 2000, Pierre Ferracci fait partie de la commission sur les accords collectifs et le travail, présidée par Jean-Denis Combrexelle, alors directeur général du Travail, qui a débouché sur la réforme de la négociation collective et la loi El Khomri. Celui qui est aujourd’hui directeur du cabinet du garde des Sceaux se souvient : « Pierre Ferracci est quelqu’un qui est capable de concilier une approche théorique et pratique du monde du social. On a besoin de passeurs comme lui qui ont une approche intelligente, abstraite et qui sont reliés au réel. Il y a peu de gens comme cela. » Ses diagnostics sont unanimement appréciés. Jean-François Pilliard, ancien délégué général de l’UIMM, le décrit comme un homme de raison : « Il n’est pas sur le registre de l’émotion. Il a de fortes convictions et fait partie des quelques personnes qui développent des arguments à partir d’analyses détaillées et la connaissance de faits. Il fait partie des sages. C’est un homme de débat. Il accepte que l’on puisse avoir des idées différentes des siennes et accepte de les partager. »

Lors de la crise des suicides à France Telecom, Bruno Mettling fait appel à Pierre Ferracci comme tiers de confiance entre syndicats et direction. Il se réjouit de cette coopération : « Je loue la capacité de la DRH de s’être adjoint les conseils de Pierre Ferracci. Nous lui avions confié une enquête sur le stress pour prendre le pouls, l’état d’esprit des collaborateurs. La démarche était partagée avec les partenaires sociaux. Nous avons pu identifier les zones de progrès, réexaminer les conditions de travail… » Concernant l’homme, l’ancien DRH est également dithyrambique : « Le pire dans le métier du social est d’être restreint. Lui est “grand angle”. Il fait converger les intérêts économiques et sociaux. »

Avec le temps, l’homme se pose en appui des politiques publiques. De gauche, comme de droite, même s’il demeure fidèle à sa famille politique d’origine. En 2007, il participe à la commission Attali pour la libération de la croissance en France. Il y fera la connaissance d’un jeune inspecteur des finances, rapporteur adjoint de la commission. Un certain Emmanuel Macron… En 2008, il prend la tête du groupe multipartite sur la formation professionnelle à la demande de la ministre de l’Économie Christine Lagarde. En 2014, c’est Benoît Hamon, alors ministre de l’Éducation nationale, qui lui confie la présidence du Conseil national éducation-économie. « C’est le Raymond Soubie de gauche », attestent tout autant Jean-Denis Combrexelle, Jean-François Pilliard, Bruno Mettling et Marc Landré, en référence à l’ancien conseiller social de Raymond Barre, puis de Nicolas Sarkozy, et patron du groupe de conseil Alixio.

On le dit proche d’Emmanuel Macron, qu’il connaît depuis longtemps. Son fils Marc Ferracci, économiste, ancien conseiller social de Muriel Pénicaud au ministère du Travail, puis de Jean Castex à Matignon et aujourd’hui député Renaissance, révisait les oraux du concours de l’ENA avec le futur président, dans l’appartement familial parisien. Cette familiarité ne l’empêche pas de se montrer critique avec la politique sociale du président de la République… Même lorsqu’elle est aiguillée par son fils ! « Sa proximité avec le pouvoir n’a pas empêché le Gouvernement de mettre en place les ordonnances. Les cabinets experts-comptables s’étaient, par exemple, opposés à la disparition des CHSCT au profit d’une instance unique. » Sur les plateaux télé et dans la presse, Pierre Ferracci n’a jamais caché tout le mal qu’il pense des ordonnances Travail de 2017 ou, plus récemment, d’une réforme des retraites qui fait trop peu de place à la question de l’emploi des seniors.

La relève, hors famille.

Pierre Ferracci, c’est le Groupe Alpha, mais c’est aussi le Paris Football Club, le Paris FC. « Sa danseuse », sourit Marc Landré. Administrateur de l’association depuis 2007, il en devient cinq ans plus tard président et principal actionnaire, et s’attelle à le structurer. Son projet, dans un bassin francilien considéré comme le meilleur pourvoyeur de talents au monde ? Faire de la formation le moteur économique et sportif du club. Le social, même dans le foot… « Mon club était réputé comme un des tout meilleurs clubs formateurs dans le monde amateur, chez les garçons et chez les filles. Il aspire à le rester dans le monde professionnel. Sept joueurs formés au Paris FC ont participé à la récente Coupe du monde dans trois équipes nationales. » Le Paris FC emploie aujourd’hui cent salariés et les filles y jouent en première division. Si les garçons étaient au pied du podium et très proches de la montée en Ligue 1 la saison dernière, le deuxième club de la capitale a remis le couvert cette saison en Ligue 2. « Le football, c’est beaucoup de mes loisirs », confie-t-il, associant volontairement les enjeux du Groupe Alpha et ceux du foot. « Je fais des passerelles. »

Le 1er janvier 2025, il laissera officiellement les rênes du Groupe Alpha à Estelle Sauvat, un pur produit du groupe puisqu’elle y a travaillé de 2010 à 2017. Après avoir cédé aux sirènes du haut-commissariat à la transformation des compétences en novembre 2017, elle est revenue dans le giron du groupe en 2020 en tant que directrice générale. Quid de la reprise du groupe par son fils Marc ? « La question s’est posée », répond le député. « Mais vu mon orientation professionnelle, ce serait difficile dans l’immédiat. Néanmoins, au vu des thèmes sur lesquels je travaille comme la gestion de l’emploi, les sujets liés aux compétences, il y avait une certaine cohérence à réfléchir à un tel avenir. » Aujourd’hui, Pierre Ferracci aspire à passer davantage de temps sur son île natale, à s’occuper du Paris FC, et il a pour ambition de créer une fondation pour aider les jeunes qui en ont besoin à s’exprimer sur le marché de l’emploi. Il précise : « Pour aider ceux qui ont été licenciés ou mal formés par l’Éducation nationale. » L’appétit pour le social est toujours là.

3 dates clés

1983

Fondateur de Secafi

2007

Administrateur de l’association Paris FC

2023

Les 40 ans du Groupe Alpha

Auteur

  • Irène Lopez