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Agriculture : filière essentielle recherche candidats désespérément

Décodages | Emploi | publié le : 01.02.2023 | Valérie Auribault

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Agriculture : filière essentielle recherche candidats désespérément

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Les actifs recherchent de plus en plus un travail qui fait sens. En matière de valeurs, l’agriculture tient le haut du panier. Pourtant, les exploitants peinent à transmettre leurs terres. Et les candidats se font attendre.

« Après dix ans passés dans la finance, j’estimais en avoir fait le tour. Et puis, ce n’était plus en adéquation avec mes valeurs. J’étais de plus en plus préoccupé par les questions liées à l’environnement. Je souhaitais apporter ma pierre à la transition écologique. Dans l’agriculture, c’était possible. » En 2019, à 38 ans, Raphaël Macrez a effectué un virage à 180 degrés : il a quitté la capitale avec sa famille pour un petit village rural de l’Oise et intégré une classe de BTS Agronomie et production végétale au sein de l’Institut Charles-Quentin à Pierrefonds, près de Compiègne. « Plus de 60 % de nos étudiants sont issus du secteur agricole. Ce sont des passionnés, ils connaissent ces métiers. Pour autant, nous accueillons de plus en plus de personnes en reconversion. Deux anciennes aides-soignantes se sont inscrites en BTS », témoigne Nathalie Guillet, enseignante à l’Institut. Mais des places restent vacantes. Pour attirer les jeunes générations, les opérations portes ouvertes se multiplient ainsi que des journées en immersion pour faire découvrir les divers métiers – et ils sont nombreux dans la filière : culture, arboriculture, élevage, en passant par la transformation, la commercialisation, la maintenance et jusqu’aux postes d’ingénieurs.

70 000 offres d’emploi à pourvoir chaque année.

À Angers, dans l’ouest de la France, l’École supérieure des agricultures (ESA) fait le plein. « Nous avons explosé les demandes d’inscription, s’enthousiasme René Siret, directeur de l’ESA. Nous recrutons surtout au niveau BTS. Les entreprises ont besoin de jeunes, notamment sur des postes d’ingénieurs. » Filles et fils d’agriculteurs fréquentent l’ESA. « Dans un premier temps, ils font du salariat pour reprendre ensuite la ferme familiale », souligne René Siret. En 2021, le Gouvernement avait mis 15 millions d’euros sur la table pour inciter les jeunes à s’orienter vers les métiers du vivant. Chaque année, 70 000 offres d’emploi sont à pourvoir. Et les difficultés se chevauchent : dans moins de dix ans, 50 % des exploitants partiront à la retraite et devront transmettre leur exploitation. « C’est un enjeu majeur. Il va falloir améliorer encore l’attractivité des métiers, prévient Stéphanie Pageot, éleveuse bio et secrétaire nationale de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab). Les métiers de l’agriculture bio présentent déjà des avantages : sens de l’activité, réponse à des demandes sociétales, travail avec le vivant… Mais il y a des marges d’amélioration sur les conditions de travail, la pénibilité… » De son côté, Raymond Girardi, vice-président du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), rappelle : « Nous avons besoin d’un million de paysans. Donc beaucoup plus d’emplois agricoles pour assurer la souveraineté alimentaire. Il faudra trouver des solutions, sinon nous allons vers la pénurie de certains produits. Aujourd’hui, nous produisons à peine 50 % de nos besoins alimentaires. » Transmettre son exploitation devient difficile, recruter des salariés l’est tout autant. « Depuis cinq ans, certains agriculteurs sont obligés de limiter leurs parcelles et ne peuvent s’agrandir faute de main-d’œuvre », poursuit Raymond Girardi. Pour attirer et fidéliser, les agriculteurs ont mis en place des groupements d’employeurs. « Il y a 30 ans, un salarié pouvait signer un contrat de deux mois pour la cueillette des fraises avec un employeur, puis signer deux mois supplémentaires dans une autre exploitation pour la cueillette du melon. Aujourd’hui, c’est fini. Le salarié signe un contrat de six à huit mois avec le groupement d’employeurs. C’est plus lisible et il y a moins d’incertitudes. Seul le lieu de travail change », ajoute Raymond Girardi. Sauf que les salaires restent peu attractifs. Le 23 août 2022, organisations syndicales et patronales ne sont pas parvenues à un accord concernant l’augmentation des salaires après la revalorisation du Smic au 1er août. La proposition patronale était une augmentation des salaires de 0,11 ct/heure (de 0,5 % à 0,99 % en fonction des paliers), « loin de la dernière revalorisation du Smic de 2,01 % », avaient dénoncé quatre syndicats dans un communiqué commun. « Nous pouvons entendre les difficultés économiques évoquées par la FNSEA », déclaraient alors les syndicats qui soulignaient toutefois que « les salariés ne peuvent être la variable d’ajustement » ni accepter « une dégradation de leurs conditions de vie », dénonçant la « déstructuration complète de la grille des salaires » jusque-là « cohérente », avant de conclure : « L’échec des négociations (…) ne permettra pas de résoudre le problème récurrent de l’attractivité des métiers. »

Entre pénibilité et modernisation.

Car dans les grandes exploitations et dans certains domaines, comme l’arboriculture, le recrutement vire au casse-tête. « Nous constatons un contexte global de mutations et un déplacement vers des métiers différents », indique Mathilde Goetz, responsable du pôle entreprise au sein de la chambre d’agriculture de la Drôme. Les saisonniers européens dont la qualité de vie s’est améliorée dans leur pays boudent les vergers français. Et les locaux qui se tournent vers ces métiers proches de la terre et de la nature déchantent vite. « La vision des métiers n’est pas conforme à la réalité. Les emplois sont jugés trop pénibles. Ce ne sont pas des emplois bucoliques », rappelle Mathilde Goetz. « Dans la filière fruitière, le travail s’effectue en hauteur. Quand il fait chaud, il faut commencer tôt le matin, quand il fait très froid, il n’y a pas de serre pour se protéger. Aucune automatisation, aucune aide à la récolte n’existe en verger. Le rythme de travail peut être soutenu selon les fruits cueillis », indique Stéphanie Prat, directrice de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF). Malgré tout, les perspectives d’évolution existent : chef d’équipe, chef de culture, ingénieur « pour gérer le verger, le protéger, commencer la taille, programmer la récolte avec des outils d’aide à la décision, ou encore l’entretien par les tractoristes. Ce sont des postes bien rémunérés », conclut-elle.

Implication et évolution.

Certains misent sur l’implication des salariés. C’est le cas d’Alan Testard, maraîcher bio en Bretagne et membre de la Fnab : « Nous recrutons des locaux et des personnes en reconversion qui ont besoin d’expériences professionnelles en stage ou en salariat avant de se lancer à leur tour à la tête d’une ferme. » Des relations basées sur la confiance. Recruter des salariés mieux formés permet notamment à l’agriculteur de se faire remplacer et de partir en congés. « Déléguer des tâches, mettre en responsabilité les salariés permet de rendre le travail plus intéressant par rapport à un simple emploi d’exécutant payé au Smic. Cela permet de fidéliser le salarié qui peut aussi soulager la charge mentale de l’agriculteur. L’implication dans les choix stratégiques de l’entreprise et les perspectives d’évolution sont nécessaires pour donner envie au salarié de rester », explique Christophe Osmont, éleveur bio en Normandie et référent social à la Fnab. En 2020, la France comptait 53 255 fermes en bio ou en reconversion, soit 12 % des exploitations agricoles, selon les chiffres de l’Agence Bio. Minoritaire, le secteur du bio représentait, en 2020, 18 % des emplois agricoles directs hors emplois liés à la transformation, à la distribution et aux services. « Il faut promouvoir l’installation collective dans des fermes de taille raisonnable et plus nombreuses sur les territoires », prône Alan Testard.

La question des saisonniers.

En attendant, le recours à la main-d’œuvre étrangère explose. Fin novembre 2022, on recensait 16 000 saisonniers marocains de plus par rapport à 2021 acheminés vers les exploitations françaises, selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Des chiffres en constante augmentation. Bon nombre d’agriculteurs contactent les mêmes travailleurs d’une année sur l’autre. Très qualifiés, les saisonniers marocains œuvrent déjà dans le secteur de l’agriculture dans leur propre pays. Des accords bilatéraux de main-d’œuvre conclus en 1963 entre la France, le Maroc et la Tunisie prévoient notamment la prise en charge par la France d’une partie du transport des saisonniers, une visite médicale dans les bureaux de l’OFII et le signalement obligatoire des saisonniers à leur retour dans leur pays d’origine. Côté hébergement, pas d’obligation de la part de l’employeur, même si les travailleurs peuvent bénéficier d’hébergements collectifs. Des hébergements et des conditions de travail scrutés. La France procède à 20 000 contrôles par an sur son territoire. Les agents de l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) ont effectué de nombreuses opérations durant les périodes de confinements liés à la crise sanitaire. Pour la première fois, en 2021, des opérations conjointes d’inspection du travail entre la France et d’autres pays européens ont été menées. Sous l’égide de l’Autorité européenne du travail, conditions de travail, hébergements, rémunérations ont été vérifiés afin d’éviter toute infraction dont pourrait être victime cette main-d’œuvre précaire. Aujourd’hui, pour transmettre leurs savoir-faire et leurs fermes de façon durable, agriculteurs, syndicats mais aussi élus réclament le prolongement des aides financières à l’installation et à la formation au-delà de 40 ans. Cet âge limite entraîne une pénurie de main-d’œuvre, notamment féminine, pour celles et ceux qui souhaiteraient reprendre une exploitation. D’autres insistent sur la communication et l’image des métiers de l’agriculture. « La boue, les bottes, le tracteur… certes, convient René Siret. Derrière ces métiers, il y a surtout la notion de nourrir le monde. »

De plus en plus d’agricultrices

« J’avais 35 ans lorsque j’ai rejoint mon mari à la ferme. L’envie était là », explique Anne-Soizic Liger, agricultrice dans le département de l’Ille-et-Vilaine. Cette fille d’agriculteurs, ex-coordinatrice en insertion, a créé son propre poste au sein de l’exploitation laitière en mettant en place un atelier dédié à la transformation du lait et en développant les circuits courts. « Avant, nous ne maîtrisions pas les coûts. Nos produits partaient à la laiterie qui nous adressait notre fiche de paie, se souvient l’éleveuse. Grâce à l’atelier, nous avons pu facturer nos produits. » Et Anne-Soizic a lancé sa propre marque de yaourts labellisés bio, désormais vendus en grande surface et dans les collectivités. « Mon expérience professionnelle précédente m’a été bénéfique, souligne Anne-Soizic Liger. J’ai aujourd’hui un travail très prenant mais diversifié. » Alors que la présence des femmes à la tête d’exploitations diminuait légèrement entre 2010 et 2013 (passant de 24,1 % à 23,8 %, selon les chiffres de la Mutualité sociale agricole), celle-ci a atteint 24,3 % en 2020. Une présence qui n’a eu de cesse d’augmenter puisque les femmes ne représentaient que 8 % des chefs d’exploitation en 1970, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture. Elles représentent aussi 30 % des actifs permanents. Mais elles arrivent souvent plus tard que les hommes à la tête d’une exploitation (51,7 ans pour les femmes contre 48,5 ans pour les hommes) en raison des enfants. « En agriculture bio, il y a beaucoup de reconversions professionnelles chez les femmes, note Stéphanie Pageot. Souvent, ce sont elles qui impulsent le bio dans un couple d’agriculteurs. Elles sont sensibles à la production d’aliments sains et au fait de recréer du lien avec les consommateurs. Elles développent la vente directe et recherchent la diversification au sein des exploitations. Elles arrivent plus tard mais sont souvent très bien formées. » Aujourd’hui, se pose la question de la taille des fermes, leur transmissibilité, le matériel « construit par des hommes, pour des hommes, rappelle Stéphanie Pageot. Plus les femmes seront nombreuses dans la filière, plus la vision des choses changera. À terme, cela devrait permettre d’amoindrir la pénibilité de la profession et bénéficier également aux hommes. »

Auteur

  • Valérie Auribault