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“Le reste à charge peut barrer l’accès à la formation”

Actu | Entretien | publié le : 01.02.2023 | Benjamin d’Alguerre

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“Le reste à charge peut barrer l’accès à la formation”

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S’ils se réjouissent de l’assainissement progressif du marché du CPF, Arnaud Portanelli et Guillaume le Dieu de Ville, cofondateurs de l’organisme de formation Lingueo et du collectif CPF4GOOD, regrettent le projet de mise en place d’un « reste à charge » sur l’usage du CPF qui pourrait nuire à son succès.

Comment se porte le marché du CPF en ce début d’année 2023 ?

Arnaud Portanelli : Il est en cours d’assainissement. On a connu ces deux dernières années une explosion du recours au CPF par les usagers. Aujourd’hui, on compte environ deux milliards d’euros de dépense pour former près d’un million de personnes. Ces chiffres s’expliquent sans doute par la popularité du dispositif associée à sa facilité d’accès et accentuée par la pratique du démarchage à outrance qu’ont pratiqué certains organismes dont l’offre de formation – je ne parle pas des escrocs purs et durs – était parfois de mauvaise qualité. C’est à cause de ces derniers que l’État et la Caisse des dépôts et consignations ont eu la volonté de rendre le marché plus sain.

Guillaume le Dieu de Ville : Le succès massif du CPF a entraîné de bonnes et de mauvaises pratiques. Et dès 2022, les pouvoirs publics ont dû commencer à intégrer davantage de régulation. Fin janvier, France compétences a donné plus d’outils de contrôle aux certificateurs pour réguler le marché. Puis, c’était au tour de la Caisse des dépôts de muscler ses contrôles. Enfin, la mise en place de l’identité numérique a permis de restreindre un peu plus les accès. Tout cela s’est traduit par une réduction de l’offre de certification et de formation, mais en éliminant en partie le moins-disant qualitatif. En tant que créateurs du collectif CPF4GOOD, qui rassemble un certain nombre de certificateurs et d’organismes militant pour une meilleure qualité de la formation, nous considérons que la prise de conscience est là. Mais il existe encore un certain nombre de certificateurs qui se moquent de la qualité des prestations des organismes de formation avec lesquels ils travaillent. Il y a encore beaucoup de travail à faire avec France compétences, le ministère du Travail ou la DGEFP afin d’améliorer la démarche « qualité ». Le problème est que tout le monde ne partage pas la même définition de ce que doit être cette qualité…

A. P. : Il existe différentes catégories d’organismes de formation et certains méritent vraiment l’appellation de « marchands de formation ». Ces deux dernières années, on a constaté une forte poussée de ces vendeurs peu préoccupés par la qualité de leur offre de prestations. D’ailleurs, on remarque que quasiment tous les organismes dont le catalogue propose à la fois des formations à la bureautique, aux langues, à la création ou reprise d’entreprises et au bilan de compétences ont moins de deux ans. Certaines entreprises, qui veulent juste profiter de la manne des fonds CPF, sont parfois peu regardantes et font appel à des sociétés qui leur vendent des formations « clé en main » peu qualitatives, juste pour muscler un catalogue qui se retrouvera ainsi inscrit sur la plateforme « MonCompteFormation ». Il faut impérativement combattre ces organismes peu qualitatifs !

L’exécutif a annoncé une nouvelle restriction qui passerait par la mise en place d’un reste à charge sur les formations accessibles par le biais du CPF. Un ticket modérateur dont on ne connaît actuellement pas le montant, même si les chiffres de 20 à 30 % du montant de l’achat de formation ont pu circuler fin 2022. Cela vous effraie-t-il ?

G. D.-V. : En tout cas, cette annonce a entraîné le mécontentement des organismes de formation, des usagers et même celui d’anciens membres du Gouvernement, comme Muriel Pénicaud, qui estiment que cette décision remet en question la liberté des individus de choisir leur avenir professionnel. Globalement, depuis la mise en place du dispositif de sécurité FranceConnect+, on estime que la baisse des commandes de formation par le CPF est d’environ 40. Avec cela, les économies attendues pour France compétences sont faites, alors quel est le projet derrière ce reste à charge ? Il existe sans doute d’autres moyens d’empêcher l’éparpillement des achats de formation à partir de MonCompteFormation, en donnant une meilleure lisibilité des parcours inscrits sur la plateforme, par exemple. Alors, oui, il est possible aux usagers de noter la formation suivie pour donner leur ressenti sur sa qualité, mais cette notation est remise à zéro à chaque fois que la certification connaît une modification. Ce n’est pas suffisant pour faire le tri entre les formations qualitatives et les autres. D’ailleurs, actuellement, ce que notent les anciens stagiaires sur la plateforme, c’est la formation elle-même, alors que la notation devrait porter sur l’établissement qui la dispense. C’est cela qui devrait constituer une priorité pour le Gouvernement plutôt que de restreindre l’accès au CPF en frappant au portefeuille. On pourrait imaginer des solutions alternatives comme stopper l’abondement annuel CPF d’un usager qui, sans motif valable, a quitté sa formation en cours de route ou qui n’a pas passé sa certification.

A. P. : Le cabinet de la ministre Carole Grandjean a promis une concertation avec les acteurs du secteur au sujet du décret dans les premières semaines de l’année 2023. Nous attendons avec intérêt cette occasion de dialogue.

G. D.-V. : Aujourd’hui, la logique du Gouvernement, c’est de dire qu’en rendant payant l’accès au CPF, les usagers se comporteront de façon plus responsable lors de l’acte d’achat. L’amendement au projet de loi de finances 2023 qui introduit le reste à charge en exempte les demandeurs d’emploi. C’est très bien, mais quid des ouvriers, des employés à qui le coût du reste à charge pourrait barrer l’accès à une formation ? Cela va à l’encontre de la philosophie de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L’un des derniers arguments avancés par l’exécutif, c’est de dire que la coconstruction d’un parcours de formation abondé par l’employeur ne sera pas non plus soumise à un ticket modérateur. Sauf que les salariés sont loin d’avoir le réflexe de demander à leur employeur de cofinancer leur formation. Et si cette dernière n’est pas liée à la politique de formation de l’entreprise, le refus est quasiment assuré.

Par ailleurs, à ce stade, les entreprises ne sont pas connectées avec la plateforme MonCompteFormation comme peuvent l’être les Régions ou Pôle emploi, par exemple. Alors, oui, on va sans doute demain enregistrer plus de demandes de cofinancement qu’avant, mais cela restera d’autant plus limité qu’actuellement le CPF n’est pas adapté aux usages des entreprises. Un exemple : aujourd’hui, les entreprises clientes de Lingueo peinent à cofinancer une formation puisqu’elles n’ont aucun regard sur la mobilisation des fonds CPF de leurs collaborateurs.

A. P. : Sans compter que les DRH n’ont pas toujours accès à certaines données. Pour coconstruire, il faudrait que le candidat laisse son DRH vérifier l’état de son compte. Or, le CPF est considéré comme un droit individuel qui n’a pas à être touché par l’entreprise. Actuellement, la fonction RH des entreprises ne dispose d’aucun moyen de piloter une politique de formation qui passerait par cet outil, même si cela peut évoluer dans le temps, bien sûr.

Les entreprises sont-elles si réticentes à la coconstruction de parcours de formation à partir du CPF de leurs salariés ?

G. D.-V. : Il y a eu une volonté de faire du CPF un objet de dialogue social dans les entreprises, pour permettre à celles-ci de construire leurs plans de développement des compétences, mais la Covid-19 est passée par là et son impact a été énorme. En conséquence, tout le travail d’amélioration du CPF a été décalé. Par ailleurs, il existe une vraie différence entre les besoins de l’entreprise et la réalité technique de son pilotage. Ce n’est pas que les entreprises ne jouent pas le jeu, c’est qu’elles n’ont pas les outils pour le faire. Je pense qu’il faut créer des modèles préétablis afin de faciliter le pilotage du CPF par les DRH.

Arnaud Portanelli et Guillaume le Dieu de Ville

Guillaume Le Dieu de Ville

Présent et impliqué dans l’écosystème tech et dans l’enseignement supérieur, il partage sa passion à travers deux programmes de création et d’accélération de start-up en France et à San Francisco, qu’il dirige pour HEC, Polytechnique et l’École 42.

Arnaud Portanelli

Ancien chroniqueur BFM et administrateur du FFFOD et des Acteurs de la Compétences, Il se passionne pour tout ce qui touche au monde de la formation professionnelle. Engagé dans le combat contre la fraude au CPF, il cofonde avec son associé Guillaume en 2022 le collectif de certificateurs CPF4GOOD.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre