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Pourquoi La Poste n’a-t-elle toujourspas de CSE ?

À la une | publié le : 01.02.2023 | Irène Lopez

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Pourquoi La Poste n’a-t-elle toujourspas de CSE ?

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La Poste a toujours disposé d’une représentation du personnel et d’un droit syndical dérogatoires, dus à son histoire singulière. À la suite des réformes du dialogue social dans le secteur privé et dans la fonction publique, la mise en place d’un CSE est devenue inéluctable. Ses conséquences, défavorables pour le dialogue social, provoquent la grogne des syndicats.

« La mise en place de CSE à La Poste constitue un chantier de grande ampleur. Elle est complexifié par la coexistence d’une pluralité de statuts, qui s’accompagne d’un changement culturel majeur avec le passage au droit syndical applicable aux entreprises privées », a annoncé la commission des affaires sociales au mois d’octobre 2022.

Pour comprendre la situation, il faut revenir à l’histoire de La Poste. Elle a longtemps été une administration publique, avant de devenir en 1990 un exploitant public (assimilé à une Epic) puis en 2010 une entreprise privée (SA) à capitaux publics. Alors qu’on ne recrutait que des fonctionnaires, ce sont des salariés de droit privé qui ont progressivement pris le pas, créant une organisation où cohabitent, encore jusqu’à aujourd’hui, plusieurs formes d’emploi. Ainsi, sur les 200 000 personnes employées par La Poste, les contractuels stables (CDI) représentent aujourd’hui la majorité des salariés (66 %), alors que la situation était inversée il y a vingt ans, où la part des fonctionnaires se portait à 70 %.

S’agissant des instances représentatives du personnel (IRP), cette histoire singulière a eu pour conséquence une sorte de millefeuilles, avec un mélange des instances de la fonction publique (commissions administratives paritaires (CAP) sur les questions et sujets d’ordre individuel concernant les fonctionnaires, commissions consultatives paritaires (CCP), comités techniques (CT) en charge les questions collectives et du secteur privé, comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). La gestion des activités sociales et culturelles est assurée par un conseil d’orientation et de gestion des activités sociales (Cogas).

La nécessité d’une intervention législative

Depuis, la législation a fait évoluer les IRP. L’ordonnance du 22 septembre 2017 a fusionné les CHSCT au sein des comités sociaux et économiques (CSE) et la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a substitué les comités sociaux aux CT. Cette dernière a prévu que les dispositions du Code du travail relatives aux CHSCT, abrogées en 2017, continueraient de s’appliquer à La Poste jusqu’au prochain renouvellement des instances. Or, ces mandats prenaient fin le 31 janvier 2023 !

À l’heure où, d’une part, La Poste relève du statut de SA et, d’autre part, que les deux tiers du personnel relèvent du statut de salariés de droit privé, il n’y a plus lieu que l’ancien modèle perdure. La Poste SA est amenée à faire évoluer sa représentation du personnel. Le passage au CSE est alors inéluctable.

Cette mise en place des nouvelles instances nécessite une évolution de la loi du 2 juillet 1990 ainsi qu’une prorogation des mandats en cours pour laisser le temps à la négociation. Le législateur s’empare alors du sujet. C’est la sénatrice centriste Denise Saint-Pé (Nouvelle Aquitaine) qui défend une proposition de loi. L’article 1er de la proposition de loi prolonge les mandats en cours des membres des CHSCT jusqu’aux élections aux CSE et, au plus tard, jusqu’au 31 octobre 2024. À cette date, la transformation du paysage des instances représentatives du personnel sera marquée par la disparition des CT, des CHSCT et du Cogas au profit d’un CSE central et de CSE d’établissement dont le nombre reste à déterminer par accord collectif.

Des négociations en cours

Une phase de transition (un régime transitoire selon l’article 3 de cette proposition de loi) permettra à l’entreprise de négocier des accords.

La préparation de cette transition a été initiée par La Poste, qui a engagé une concertation avec les organisations syndicales et proposé, le 7 septembre 2022, un accord de méthode portant sur le projet relatif aux nouvelles IRP au sein de La Poste. Il est aujourd’hui signé par une majorité de syndicats (CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO-COM, Unsa). Seul Sud s’est refusé à le faire et a assigné La Poste en justice le même mois pour faire interdire la poursuite des négociations, avant de se désister en décembre dernier. Le syndicat déclarait : « Issus des ordonnances travail en 2017, les CSE remplacent les comités techniques et les CHSCT, réduisant les prérogatives de résistances syndicales et limitant l’exercice du droit syndical. Une régression signée Macron. » Si Sud est le plus virulent, les autres organisations ne sont pas en reste et craignent « un important recul de la représentation des salariés, une perte de proximité des élus et un repli des questions de santé au travail dans les entreprises, comme en fait état, sans appel, le bilan de la fusion des IRP par la Dares, publié en juillet 2022.

Cathy Apourceau-Poly, sénatrice du Pas-de-Calais, membre du Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste au Sénat, a déclaré : « L’application aveugle des ordonnances Macron divisera par trois les instances sociales et les prérogatives des délégués du personnel.

L’application de la loi va entraîner la réduction de 632 CHSCT à 121 commissions santé, sécurité et conditions de travail. Elle va également entraîner le passage de 145 comités techniques à 28 comités sociaux et économiques dont un CSE unique pour l’ensemble des outre-mers. »

Un nouveau « France Telecom » ?

Pour chiffrer précisément l’impact de cette évolution, les organisations syndicales ont fait appel à des cabinets d’experts. Selon la coopérative d’experts Cedaet, « Avec le maillage actuellement envisagé par La Poste de 28 CSE, on peut s’attendre à avoir à l’échelle de l’entreprise, au national, un peu plus de 800 élus CSE. Parmi eux, entre la moitié et la totalité seraient également membres de CSSCT. Cela représenterait un peu moins de 24 000 heures de délégation mensuelles (soit plus de 150 ETP). » Le groupe C3E, collectif d’experts engagé aux côtés des représentants du personnel et des OS, cite les impacts sur les représentants du personnel de cette diminution des moyens : un trop-plein de consultations, une activité de représentation très lourde, avec de multiples questions et enjeux, qui entraîne une surcharge, souvent impossible à gérer. « L’étendue des périmètres des instances rend impossible la réalisation de visites de sites réguliers ou d’enquêtes à chaque fois que cela est nécessaire. […] L’ensemble de ces éléments font que certaines questions (les conditions de travail), certaines consultations (une réorganisation), certains événements (une nécessité de droit d’alerte), finissent mécaniquement par ne pas être traités. Enfin, des éléments contextuels, comme l’inflation, les poussent à se concentrer sur les enjeux relatifs aux conditions salariales, au détriment des questions du travail. » analyse C3E.

Cathy Apourceau-Poly renchérit : « Alors que le personnel subit des conditions de travail dégradées, l’explosion du recours à la sous-traitance, la prévention des risques professionnels devrait être la priorité de la transformation des instances du personnel.

La prévention des risques professionnels à La Poste a fait l’objet, entre 2007 et 2014, de 60 expertises qui ont conclu à un système qu’il est difficile de ne pas mettre en perspective avec celui de France Telecom tant on retrouve de ressorts identiques. Avec le remplacement des CHSCT par des CSSCT, vous allez réduire les prérogatives des représentants du personnel qui ne disposeront plus de la capacité de réaliser des expertises.

La situation sociale de La Poste, avec des pertes de milliers d’emplois par an et la restructuration permanente, nécessite la préservation d’instances du personnel de proximité et des CHSCT. Nous refusons de cautionner une organisation pour laquelle les experts mettent en garde des risques pour la santé des salariés. »

Malgré l’opposition du groupe CRCE, le vote sera prononcé au Sénat le 26 octobre, à l’assemblée le 14 novembre. La loi n° 2022-1449 visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste sera publiée au Journal officiel le 22 novembre 2022.

Elle met fin à l’exception de La Poste.

Aujourd’hui, la direction de l’entreprise se veut rassurante : « Les négociations se poursuivent. Nous avons 18 mois pour tout mettre en place. » De fait, une première phase de négociations dédiées à l’architecture des nouvelles IRP a déjà fait l’objet de douze réunions. En parallèle (phase 2), des négociations sont menées sur les activités sociales et culturelles et le droit syndical. La phase 3 portera sur la validation des parcours syndicaux. Etc.

Face à cette évolution, la direction assure qu’un plan de formation pour les managers et les organisations syndicales est prévu dans cet accord de méthode. Cet accompagnement suffira-t-il pour faire rentrer l’ensemble des parties dans le rang ?

Auteur

  • Irène Lopez