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Les branches sens dessus dessous

À la une | publié le : 01.02.2023 | Gilmar Sequeira Martins

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Les branches sens dessus dessous

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Si le nombre de branches professionnelles a drastiquement diminué, les processus de fusion sont toujours en cours, soulevant nombre de difficultés qui augurent mal de la poursuite d’un mouvement de rapprochement… pourtant planifié.

La restructuration des branches professionnelles, entamée officiellement en 2015 mais dont les débuts datent des années 2000 (voir encadré) est-elle achevée ? Selon le décompte de la Direction générale du travail, le gros du travail est fait. Alors qu’elles étaient initialement près de sept cents, leur nombre s’est réduit à quelque deux cent trente. Le ministère constate même que des « accords de remplacement » commencent à être conclus au terme de la période de cinq ans fixée par la loi pour l’harmonisation de leurs textes conventionnels. Un bilan qui laisse dubitatives les organisations syndicales. « Fusionner les branches et harmoniser le corpus conventionnel sont deux sujets différents et l’un n’implique pas nécessairement l’autre », rappelle Karen Gournay, secrétaire confédérale de Force ouvrière. L’harmonisation des textes des branches fusionnées suscite un constat sévère : « Deux branches fusionnées, celle des bureaux d’études techniques (ingénieurs et cadres) et les associations de surveillance de qualité de l’air ont revu leurs corpus conventionnels et les deux conventions collectives initiales – ICC 1 486 et IDCC 2 230 – ont été remplacées par un accord le 15 juillet 2021. En région, les deux branches de la presse hebdomadaire et quotidienne ont abouti à une nouvelle convention collective nationale le 9 août 2021. Les branches de la production et de la transformation des papiers et cartons ont aussi créé une nouvelle convention collective le 29 janvier 2021. Il faut y ajouter la convention collective de la métallurgie, qui a regroupé essentiellement plus de soixante-dix conventions collectives territoriales et une convention collective nationale catégorielle des ingénieurs et cadres. Au total, le résultat n’est pas très important. Nous n’avons pas le sentiment que l’objectif initial affiché lors du lancement de la restructuration des branches, à savoir l’émergence d’accords de remplacement, soit atteint… »

Crispations dans les négociations

Le satisfecit de l’administration suscite d’autant moins de consensus que les difficultés ne manquent pas. L’imprécision des textes constitue une difficulté, estime ainsi l’avocat Michel Morand spécialisé dans le droit social : « Par exemple, la consécration de la branche de rattachement en cas d’échec des négociations pose la question de la situation sociale créée par ce principe, si les conventions rattachées sont « moins avantageuses » que la convention de rattachement. Les textes actuels laissent la possibilité d’une généralisation à tous les salariés des conditions de la convention collective de rattachement. Cela crée évidemment des crispations dans les négociations. »

Chez Force ouvrière, on déplore des pratiques de négociations très variées : « Dans la plupart des cas, malgré l’obligation d’harmonisation qui doit aboutir dans un délai de cinq ans, les interlocuteurs sociaux continuent de négocier dans le cadre d’annexes, textes dits de petit champ, tandis que les textes d’harmonisation, textes dits de grand champ, ont du mal à émerger », indique Karen Gournay. Une réticence très compréhensible selon la responsable syndicale : « Ces accords grand champ ne sont pas plus négociés car les interlocuteurs sociaux craignent de ne pas pouvoir conserver l’ensemble des spécificités des deux branches. La plupart des branches qui n’ont pas conclu d’accord grand champ sont restées sur des accords petit champ qui portent sur les domaines qui ont vocation à bouger, c’est-à-dire ce qui a trait aux salaires, aux questions catégorielles ou territoriales. »

L’identité remise en cause

Les conséquences de la fusion sont par ailleurs sujettes à interprétation. Initialement évidente, la conclusion d’un nouveau texte conventionnel unique finit par être sapée par la possibilité d’avoir des accords thématiques spécifiques sur le temps de travail, la protection sociale, etc. Des divergences sont par ailleurs apparues entre l’administration et la Cour de cassation sur le sort des futurs outils de négociation. Si la première considère qu’il ne doit y avoir qu’une seule commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI), tel n’est pas le cas de la chambre civile de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 21 avril 2022, elle admet qu’il puisse exister au sein d’un seul champ conventionnel fusionné plusieurs CPPNI dont les membres pourront négocier des accords… « Cela ne va pas dans le sens de ce que souhaitait le ministère du Travail puisque cela revient à faire vivre plusieurs conventions collectives avec des négociations spécifiques au sein d’une même branche », résume Michel Morand.

Autre difficulté, d’autant moins évoquée qu’elle touche aux prérogatives et au pouvoir des organisations syndicales et patronales : la représentativité des interlocuteurs sociaux dans la future branche unique. « Une convention collective constitue souvent une base forte de l’identité d’un syndicat professionnel, rappelle Michel Morand. Si elle perd sa capacité de négociation dans le champ de la nouvelle convention collective, c’est son identité qui est remise en cause. L’enthousiasme pour mener les fusions à leur terme est donc relatif. »

Toutes ces réticences ont-elles poussé le ministère du Travail à agir ? Toujours est-il que la loi sur le pouvoir d’achat du 16 août 2022 renforce le critère de « faiblesse de l’activité conventionnelle ». Il peut être invoqué pour lancer une fusion administrative de deux branches si le nombre d’accords collectifs signés ou la diversité des thèmes de négociations abordés sont en nombre trop réduit ou d’une étendue trop restreinte. Cette mesure a été présentée comme un outil pour « inciter les branches à tenir compte des revalorisations du Smic et mettre leurs grilles de salaires à jour », la loi précisant que « la faiblesse du nombre d’accords garantissant les minima conventionnels des salariés les moins qualifiés, au moins au niveau du Smic, devient un élément caractérisant la faiblesse de l’activité conventionnelle ».

Quatre-vingts branches ?

La mesure suscite la perplexité. « Nous sommes d’autant plus dubitatifs sur l’efficacité d’une telle mesure que le ministre lui-même a reconnu devant la CNNCEFP1 qu’elle n’avait pas vocation à être appliquée, indique ainsi Luc Matthieu, secrétaire national de la CFDT. Par ailleurs, pour fusionner des branches, encore faut-il qu’elles soient relativement proches en termes d’activité. Je rappelle que les branches ont pour rôle de réguler et d’impulser de la norme. C’est un lieu de dialogue économique et social centré sur le secteur d’activité. »

Selon le pré-rapport Ramain, diffusé en janvier 2020, « un schéma avec un peu plus de 80 branches professionnelles paraît concilier la recherche d’un paysage conventionnel significativement éclairci et la prise en compte des particularités de certains secteurs professionnels ». Dans un rapport déposé en juin 2021, la commission des affaires sociales du Sénat estimait que ce chantier devait être couvert durant la prochaine mandature. « Si aucun signe ne montre pour l’instant que c’est le cas, une telle éventualité soulèverait des difficultés d’un ordre inédit », s’inquiète Gilles Lecuelle, secrétaire national de la CFE-CGC : « Jusqu’à présent, ce sont surtout les structures des organisations patronales qui ont été affectées parce que l’existence d’une branche tient le plus souvent à l’existence d’un syndicat professionnel. Descendre sous la barre des 200 branches, cela va conduire à fusionner des branches dont les organisations syndicales ne sont pas dans la même fédération, ce qui conduira à des débats et une réorganisation interne. » Concrètement, cela impliquerait une perte d’adhérents pour une fédération, mais aussi une perte des fonds provenant de l’AGFPN2, ainsi que l’affaiblissement ou la perte d’une structure organisée… Tout en soulevant deux questions très délicates : d’abord, celle de savoir quelle fédération prendra en charge la gestion du nouvel ensemble et de l’éventuelle nouvelle convention collective ; ensuite, celle du montant des cotisations syndicales, qui peut varier suivant les fédérations. Une éventuelle poursuite de la restructuration des branches pourrait donc causer un affaiblissement des acteurs du dialogue social alors que l’un des grands objectifs de ce processus était précisément de les renforcer et ainsi mieux légitimer le résultat des négociations. Si aucun scénario ne peut être exclu, la résorption des difficultés inhérentes aux fusions déjà actées mobilise déjà l’essentiel des énergies.

Un levier pour avoir des minima supérieurs au Smic ?

Par quel moyen inciter les branches à conserver des minima de branches au niveau du Smic, voire supérieurs ? Michel Morand, avocat en droit social, rappelle l’existence d’une mesure plus efficace que la menace brandie par le ministère du Travail. « Il a existé sous la présidence de Nicolas Sarkozy un dispositif issu d’une loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail. Il prévoyait que dans une branche qui avait un salaire conventionnel inférieur au Smic, pendant deux ans les abattements Fillon ne seraient plus calculés par un multiple du Smic mais par la rémunération minimale de la branche inférieure au Smic. Le risque était évidemment de voir se réduire le taux de l’abattement. Ce dispositif n’a pas été appliqué et a été abrogé par une loi du 31 décembre 2010, mais il avait le mérite d’être incitatif, même s’il faisait dépendre le niveau des exonérations des cotisations sociales (abattements Fillon) de la réussite ou de l’échec des négociations de branche, ce qui pouvait avoir des effets pervers. »

Les intermittents du spectacle, premier champ de fusion des branches

Si la loi du 5 mars 2014 marque le lancement officiel du chantier de restructuration des branches, une première phase opérationnelle avait déjà été réalisée au début des années 2000. L’idée a germé avec des rencontres entre le ministère du Travail et des représentants patronaux de fédérations professionnelles, comme en témoigne Jean-Denis Combrexelle, alors directeur des relations du travail1 : « Il ressortait de ces entretiens que certaines branches n’avaient pas toujours les moyens d’assurer des négociations de qualité. Manifestement, elles n’avaient pas la taille critique pour négocier des accords et en assurer le suivi. Les accords qui étaient conclus au sein de ces branches versaient dans une forme de « juridisme ». Les textes évoquaient des points de droit ou le Code du travail, mais ne portaient pas une vision de l’avenir économique et social de la branche. L’attention portée à des points très techniques et juridiques était clairement un moyen de masquer le manque d’ambition sociale. » Une première expérimentation a porté sur la question des intermittents du spectacle. Gérard Larcher et Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la Culture, ont rencontré leurs représentants pour faire passer le nombre des conventions collectives les concernant de 40 à moins d’une dizaine. « Sur une période de trois ans, ce sont environ 800 réunions qui ont été réalisées, se souvient Jean-Denis Combrexelle. Nous avons essayé de mettre sur pied un système qui incluait des dispositions transversales, communes à tous les secteurs, et d’autres, verticales, spécifiques. Cette approche a permis de passer de 40 branches à 8 et ce fut une réussite. Les présidents des commissions mixtes paritaires, qui sont des fonctionnaires, ont joué un rôle important de go-between entre les partenaires sociaux et la direction générale du Travail. »

(1) CNNCEFP : Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle.

(2) AGFPN : Association de gestion du fonds paritaire national chargée de gérer le Fonds pour le financement du dialogue social. En 2021, l’AGFPN a distribué 134,4 millions d’euros aux organisations syndicales et patronales.

(1) La direction des Relations du travail, ancêtre de l’actuelle direction générale du Travail.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins