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Le travail émotionnel chez les professionnels de la gestion RH

Idées | Recherche | publié le : 01.01.2023 |

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Le travail émotionnel chez les professionnels de la gestion RH

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Les émotions font aussi l’objet d’un travail : certaines sont demandées par l’entreprise et d’autres offertes par le salarié. Ce « travail émotionnel » est particulièrement intense chez les professionnels des ressources humaines et mérite l’attention notamment pour la prévention d’un risque psychosocial.

Les émotions, un travail

Les émotions surgissent dans le cadre du travail et les études sont nombreuses à ce sujet1. Il est moins connu que les émotions peuvent être des attentes organisationnelles alors produites en ce sens par les travailleurs2. Par exemple, les hôtesses de l’air et les policiers doivent apprendre à maîtriser la peur et les infirmières le dégoût. Un vendeur doit savoir simuler la joie, etc. Ces émotions peuvent être standardisées et explicites pour l’animateur d’un parc d’attractions ou plus implicites pour un médecin. Le travail émotionnel consiste ainsi à transformer une émotion, à montrer une émotion socialement acceptable, à rendre publique une émotion attendue alors qu’elle peut être ressentie différemment par le professionnel qui l’exprime3.

Le cas des professionnels des ressources humaines (PRH)

Certaines professions sont étudiées sous ce prisme, ce n’est pas le cas des PRH. Ces métiers semblent pourtant exposés puisqu’ils remplissent les conditions requises du travail émotionnel : être au contact d’un public (gestion des collaborateurs), produire un état émotionnel chez un tiers (recrutement, évaluation), être soumis à une certaine surveillance des activités émotionnelles par l’entreprise (discrétion) et être confronté à des dilemmes éthiques (plan social).

Nous avons ainsi évalué le travail émotionnel des PRH dans le cadre d’une enquête quantitative menée auprès de 291 répondants4. Selon les recommandations de la Dares et du collège d’expertise Gollac, nous leur avons demandé si l’exercice de leur métier nécessitait de maîtriser, de modifier ou de cacher leurs émotions aux personnes avec qui ils interagissent (mesurée par une échelle de Likert en 7 points).

Cette étude révèle que 83,8 % des répondants sont confrontés à du travail émotionnel (l’intensité est plutôt forte avec une moyenne de 4,7). Les tests montrent qu’il existe des différences significatives de travail émotionnel selon le poste c’est-à-dire que les responsables des ressources humaines y sont davantage confrontés que les postes spécialisés et que les assistants ressources humaines.

En France, 31 % des actifs occupés déclarent exercer un travail émotionnel5. Notre étude témoigne que les professionnels de la GRH sont beaucoup plus exposés que les autres. Cette catégorie professionnelle rejoint le rang des « travailleurs émotionnels », comme les infirmiers, les magistrats ou les réceptionnistes.

Un risque psychosocial

Le travail émotionnel crée des ressentis de valence négative et dégrade ainsi le bien-être individuel6. Mais le risque principal est d’ajouter une dissonance émotionnelle qui correspond à un décalage entre l’émotion feinte et l’émotion réellement ressentie car elle provoque un épuisement émotionnel qui peut conduire à l’engourdissement, au mal-être et au burn-out. Elle est douloureuse psychologiquement et physiologiquement. De plus, le travail émotionnel peut se cumuler et interférer avec celui réalisé dans le cadre domestique. Par ailleurs, la gestion des émotions, surtout répétée dans la durée, rend les travailleurs plus vulnérables au stress. Les risques psychosociaux ont six origines dont l’exigence émotionnelle qui comprend la nécessité de maîtriser ou de cacher ses émotions7.

Des recommandations managériales

Les conditions de travail sont concernées. La prise en compte de l’ampleur du travail émotionnel contribue à reconsidérer la charge de travail en incluant cet effort supplémentaire fourni par ces professionnels. Elle permet également les échanges ; la communication au sujet des émotions est efficace pour éviter la somatisation, apporter des ressources et de la reconnaissance aux salariés.

Les candidatures aux emplois de PRH sont également touchées. Cette étude apporte une information qui peut conduire à une auto-sélection des candidats qui pourraient ne pas s’engager dans cette voie quand ils ne possèdent pas cette capacité de travail émotionnel. Par ailleurs, il convient de s’interroger sur la pertinence d’en faire un critère de recrutement et sur sa modalité d’évaluation.

La formation est à prioriser. L’ampleur de la pratique du travail émotionnel par les PRH peut être abordée en formation initiale, continue et/ou par le coaching.

Enfin, une autre dimension à introduire porte sur la mesure des risques psychosociaux qui pèsent sur les PRH. Le travail émotionnel nuit au bien-être de ces salariés et provoque une fragilisation qu’il convient de prendre en considération. Les exigences émotionnelles portent atteinte au bien-être des actifs qui y sont exposés.

Notre étude a été menée avant la crise sanitaire, il est probable que cette dernière ait accru l’intensité du travail émotionnel des PRH. Il est possible qu’ils aient dû davantage masquer leur peur, leur colère, leur culpabilité, leur surprise, leur tristesse, face à cette nouvelle situation.

1. Ashkanasy N.M., Zerbe W.J., Hartel C.E., 2002, Managing Emotions in the Workplace, ME Sharpe, New York

2. Hochschild A. R., 1983, The Managed Heart : Commercialization of Human Feelings, University of California Press, Londres (traduction française : 2017, Le prix des sentiments, La Découverte, Paris).

3. Jeantet A., 2018, Les émotions au travail, CNRS éditions, Paris.

4. Berthe B., Chédotal C., 2021, « Émotions et bien-être au travail des professionnels des ressources humaines », In Berthe B. (dir.), Bien-être, questions de gestion, L’harmattan, pp. 129-149.

5. Mauroux A. (coord.), 2016, « Chiffres clés sur les conditions de travail et la santé au travail », Synthèse.Stat’ DARES, 22, novembre.

6. Dickason R., 2017, Le travail émotionnel des professionnels de santé à l’hôpital : caractérisation et leviers d’action organisationnels, Thèse, Université Bretagne Loire.

7. Gollac M., Bodier M., (coord.), 2011, « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail », Rapport du collège d’expertise sur le suivi des RPS au travail.