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Le « conseil d’entreprise » : pour une codétermination à la française

Idées | Juridique | publié le : 01.01.2023 | Jean-Emmanuel Ray

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Le « conseil d’entreprise » : pour une codétermination à la française

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Plus de la moitié de nos 90 000 Comités sociaux et économiques doit être renouvelée au cours de l’année 2023. Moment refondateur car la création des premiers CSE s’était faite dans l’urgence. Donc une renégociation en forme de nouveau contrat social car, après le nécessaire bilan partagé de ce premier mandat dominé par la pandémie, les nouvelles règles traceront le chemin pour les huit ou douze ans à venir. Seront-elles plus créatives que celles des années 2018-2020 ? Car après soixante-dix ans de dispositions très détaillées et d’ordre public, les partenaires semblent avoir été saisis de vertige face à leur nouvelle liberté conventionnelle.

Ainsi, les deux institutions les plus novatrices des ordonnances du 22 septembre 2017 n’ont guère rencontré le succès : un CSE sur dix a créé des « représentants de proximité », et moins de… quarante « Conseils d’entreprise » ont vu le jour en cinq ans, souvent dans des PME à forte culture communautaire (ex. : associations).

Rappel : ce « Conseil d’entreprise », dont la création relève d’un accord d’entreprise signé par des délégués syndicaux, conserve toutes les attributions d’information-consultation du ci-devant CSE. Mais en acquiert une autre de taille : le monopole de la négociation dans l’entreprise : soit « 4 en 1 » par rapport aux DP + CE + CHSCT + DS d’avant 2017. Les DS ne conservant alors plus que leurs attributions spécifiquement syndicales : locaux, tracts, affiches. Une auto-rétrogradation comme simple représentant de la section syndicale n’incitant guère à se jeter à l’eau.

Mais dans la pratique, comme le remarque Christian Thuderoz montrant qu’il existe des sociologues non dogmatiques faisant honneur à leur métier (« Le conseil d’entreprise : dispositif et pratiques sociales », France Stratégie, novembre 2021), il semble que certains CE soient justement nés du souhait de l’unique délégué syndical de ne plus négocier seul face à l’employeur, et/ou de porter seul la lourde responsabilité d’accords collectifs socialement difficiles. Avec, des deux côtés de la table, « des partenaires ayant une appétence au dialogue social avec une pratique régulière et décomplexée, autonomes vis-à-vis de l’autorité publique et/ou de la branche professionnelle, et une volonté d’inventer des solutions appropriées à une situation locale spécifique ».

Alors que les Assises du travail doivent faire en mars 2023 des propositions en matière de « démocratie au travail », le ministre du Travail indiquait le 2 décembre dernier : « Il faut prendre en compte l’aspiration des salariés à être associés plus étroitement aux décisions de l’entreprise, y compris à certaines décisions stratégiques. » Qui peut contester ce constat, à notre époque où des salariés de plus en plus diplômés (14 % de diplômés du supérieur dans la population active en 1986, 48 % en 2030) veulent se faire entendre, voire « avoir droit au chapitre » ? Car fonctionne de moins en moins le modèle taylorien de l’homme-robot (« Sois salarié et tais-toi ! »), tout comme le bon vieux principe de l’ancien colonel devenu directeur du personnel : « Quand on est fort on décide, quand on est faible on négocie. »

Dès 1946, parmi « les principes nécessaires à notre temps », l’article 8 du Préambule constitutionnel indiquait que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Cette participation est restée pour l’instant surtout financière, et le débat actuel sur le « dividende salarié » va dans le même sens. Mais les choses sont en train de changer : la loi Pacte de mai 2019 a par exemple renforcé la présence des salariés dans les organes de gouvernance.

Une double révolution

Le Conseil d’entreprise percute en effet deux totems français.

1. Le monopole syndical de négociation, déjà bien écorné dans les nombreuses entreprises dépourvues de délégué syndical : 39 % de celles de plus de 50 salariés en 2017, mais 46 % en 2020. Et depuis 2018, les PME peuvent faire ratifier les propositions patronales par référendum : pas moins de 42 % des accords en 2021 dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Composé d’élus, ce nouveau « CE » ne pouvant être créé que par accord collectif majoritaire avec des délégués syndicaux détient le monopole de la négociation dans l’entreprise considérée. Ce renforcement de l’évitement des syndicats (cf. le préambule de l’accord Tetra Pak Processing, voulant « permettre aux élus d’être directement partie prenante à la négociation des accords d’entreprise, de façon à assurer une meilleure représentativité des salariés ») ne peut que déplaire aux structures syndicales. Comme le dénonce par exemple FO qui, contrairement aux autres centrales, n’a signé aucun accord sur les CE : « Il s’agit d’un dispositif visant à affaiblir le rôle des organisations syndicales en les privant de leurs prérogatives en matière de négociation collective. »

S’il n’est pas évident que la présidence du CE légalement donnée au chef d’entreprise soit vraiment dirimante, demander un avis (même conforme) n’est pas à négocier. Et le Pouvoir qui négocie avec le Contre-pouvoir présidé par le Pouvoir fait beaucoup rire à l’étranger.

2. Une ébauche de co-détermination, alors qu’une majorité de nos confédérations sont pour le moins réservées à l’égard de toute « collaboration de classe » : « Nous dénions le progrès que présenterait, du point de vue des salariés, tout système s’apparentant à de la cogestion directe ou indirecte et donc de la co-responsabilité, alors même qu’ils n’auront jamais le pouvoir de direction et que les salariés sont soumis au lien de subordination » (FO)…Tout en signant plus des trois quarts des accords d’entreprise là où elles ont désigné un DS. En 2021, FO : 89 %, CGT : 84 %, et SUD 69 %.

La loi évoquant ici un « avis conforme » à côté (pas à la place) des classiques « avis consultatifs » qui demeurent, le « CE » dispose en réalité d’un droit de veto sur les projets patronaux, du moins sur le(s) thème(s) fixé(s) par l’accord d’entreprise : au minimum en matière de formation, le sujet unique pour la majorité des accords. Mais le législateur a aussi évoqué l’égalité hommes/femmes, et le ministre du Travail les problèmes d’insertion ou d’emploi des handicapés. Thèmes nettement moins sensibles que la gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels, et a fortiori les orientations stratégiques de l’entreprise.

Car nous restons loin du « Betriebsrat » avec sa « coopération confiante entre l’employeur et le Conseil », bien dans la culture allemande de recherche d’un consensus où les deux parties sont sur un pied d’égalité. Et qui peut prendre des initiatives, ou avoir recours à une instance d’arbitrage en cas de désaccord.

Mais la traduction de « l’avis conforme » en « droit de veto » est bien dans la culture française : voir des oppositions partout, alors que dans l’esprit du législateur il s’agit de co-construction.

Une dynamique imprévue

Car comme le montre Christian Thuderoz suite à son enquête de terrain, cette double compétence du nouveau CE (information-consultation + négociation) génère dans la vraie vie d’intéressantes interférences dépassant notre chère summa divisio : « Tout se passe comme si les élus n’étaient pas vraiment « consultés », au sens juridique du terme, ni qu’ils « négociaient » vraiment, au sens usuel du terme. Mais qu’ils sont à la fois consultés et négociateurs, l’accord collectif qui résulte de cette interaction étant le produit singulier de ce mélange, sans qu’on puisse deviner, de l’extérieur, comment les règles qu’il stipule ont été édictées, et par quel concours d’opinions contrastées. »

On voit mal par exemple un employeur braquer son CE sur le plan de formation, par ailleurs son négociateur obligé pouvant lui apporter la flexibilité interne dont il a besoin : APC, durée du travail. Ce qui peut expliquer le peu de succès du CE, les entreprises ne voulant pas se trouver dans la situation de devoir refuser la multiplication des avis conformes.

Last but….Si l’on est très, très optimiste, on peut espérer : 1. Que cette institution proche des salariés et donnant davantage de pouvoir aux représentants du personnel pourrait enrayer leur actuelle « Grande Démission », physique ou morale. Voire attirer certains (jeunes) collaborateurs ne voyant aujourd’hui pas grand intérêt à passer beaucoup de temps pour rendre un simple avis : passer à la vitesse supérieure serait susceptible d’intéresser les meilleurs d’entre eux. 2. Qu’elle stoppe la chute tendancielle de la participation aux élections : dans le privé, – 5 % à chaque cycle interprofessionnel. Idem dans la fonction publique : de 50 % en 2018 à 45 % en 2022. à la SNCF : de 80 % en 2004 à 65 % en 2022… La crise de la représentation ne se limite pas à la sphère politique.

Mais face à son succès pour le moins relatif, il serait dommage d’enterrer le CE. Et souhaitable de donner une place à l’expérimentation : qu’il soit possible de signer un accord à durée déterminée (par exemple de 18 mois), avec retour aux pouvoirs du CSE classique en cas d’échec.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray