Il n’est pas question de comparer la situation en France et en Ukraine tant la guerre intolérable menée par la Russie génère la mort, les dangers multiples et les destructions. Comparaison n’est pas raison, mais, toutes choses étant égales par ailleurs, nous allons oser voir comment la logique économique libérale pèse ici comme là-bas, à des degrés différents, sur le social, aujourd’hui et demain.
En Ukraine, en 2020, le Gouvernement avait dû reculer sur une réforme du Code du travail face à l’opposition des deux syndicats et des critiques internationales. Cette année il reprend le dossier en le saucissonnant en plusieurs textes, toujours contre l’avis des syndicats et au-delà de la loi d’état d’urgence liée à la guerre. Il s’agit en effet d’une libéralisation exacerbée des relations du travail qui conduit par exemple à la non-application des conventions collectives dans les entreprises de moins de 250 salariés (70 % des travailleurs), à des contrats individuels à la main des employeurs, à la mise en place de contrats « zéro heure » où le salarié est obligé d’attendre l’appel de l’employeur pour travailler. Les syndicats, soutenus par les confédérations internationales, craignent une future loi qui s’attaquerait à eux, notamment sur leurs biens et locaux. Autant d’éléments contraires aux normes internationales du travail et aux valeurs européennes.
Apparemment deux pays seraient à la manœuvre : Le Royaume-Uni dont la structure »UK Aid Direct« du ministère des Affaires étrangères pousse à la libéralisation et où Alexander Rodnyansky, un économiste d’origine ukrainienne, formé à Princeton et enseignant à Cambridge, qui conseille depuis 2019 la présidence ukrainienne sur les questions économiques et sociales. Les États-Unis ensuite, par le biais de la Chambre américaine du commerce, qui est d’ores et déjà en ordre de bataille pour réserver les efforts de reconstruction aux entreprises américaines.
Pendant que les autorités et le peuple ukrainiens sont confrontés à la guerre, d’autres sont sur le business d’après. En France, la situation est certes moins grave. Il n’en reste pas moins que le dialogue social, notamment dans sa dimension concertation avec l’exécutif, se porte mal. On le voit avec le dossier de l’assurance-chômage où le Gouvernement agit comme s’il était le seul maître à bord, bafouant le paritarisme. Ou avec le dossier des retraites où la question de l’âge et de la durée de cotisation est rejetée par la totalité des syndicats de salariés, d’étudiants et de lycéens, ce qui dénote une volonté de passage en force.
Or, il ne faut pas être grand clerc pour savoir que dans une période d’inquiétude, voire de colère, avec une inflation qui perdure, des problèmes énergétiques et industriels, des dysfonctionnements de services publics, il y a d’autres urgences à traiter sans mettre de l’huile sur le feu, en respectant les interlocuteurs sociaux et en privilégiant la recherche du consentement. Ces recherches forcées d’économies visent bien entendu à pouvoir afficher 3 % de déficit public en 2027, mais on ne gagne rien à ne pas entendre, ce qui est la pire surdité. On ne peut ainsi que favoriser le populisme politique, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays européens. Ce qui révèle une autre urgence : transformer l’Union européenne pour que ses valeurs ne s’étiolent pas et pour peser, en particulier face aux États-Unis et à la Chine, ce qui suppose notamment que la zone euro puisse avancer plus vite sur l’économique, le fiscal et le social. Europe first en quelque sorte.