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[REDIFF] Emploi des seniors: miser sur les alternatives au CDI

Dossier | publié le : 01.01.2023 | Dominique Perez

Le CDI ne serait-il plus le Graal recherché par les seniors, surtout après 55 ans ? Face aux difficultés qu’ils rencontrent dans leur accès à l’emploi, d’autres modes de travail se développent pour les cadres confirmés, qu’ils soient subis ou choisis.

À 60 ans, Patrice Tiolet vient de signer un CDI pour prendre un poste de direction dans une entreprise familiale du sud de la France. Depuis l’âge de 43 ans, ce cadre alterne missions de management de transition et périodes de salariat, en France et à l’international mais a aussi accompagné des start-up… Sur son CV, il a inscrit : « Directeur achats international/Supply Chain/ Transformation/ Digital/ Services Partagés », illustrant des compétences diversifiées. « La forme actuelle du travail n’a, pour moi, plus vraiment d’importance, estime-t-il. CDI, CDD… mission… Je suis d’abord un homme de projets. » Pour lui, tout dépend d’abord de l’ampleur et de la durée du travail à mener. C’est à la suite d’une mission de transition qu’il a été rappelé pour occuper un poste créé sur mesure, de directeur de systèmes d’information et d’organisation. « Il s’agit d’une entreprise familiale, qui prépare la prise de poste d’ici quelques années, d’un des fils, qui, âgé de 24 ans, devrait devenir, à terme, directeur. » La structuration de l’entreprise prendra plusieurs années, sans doute jusqu’à la retraite de Patrice Tiolet, peut-être après, « en temps partagé, tout est possible… Pour moi, c’est une forme de CDI en mode mission… » Utilisé dans des situations d’urgence dans des entreprises qui ont un besoin immédiat et stratégique (redressement d’une activité, restructuration, remobilisation d’une équipe…), le management de transition devient une des voies privilégiées pour des cadres seniors pour poursuivre ou reprendre une activité professionnelle. En se faisant ainsi connaître et surtout reconnaître, certains finissent par signer un contrat de travail. Un élément fondamental pour certains, mais pas pour tous. Signe des temps, beaucoup prennent goût à l’indépendance… Comme Yves de Beauregard, cadre senior spécialisé dans des missions de directeur pays pour des entreprises étrangères de haute technologie, essentiellement des start-up. Il a créé sa propre société, signant des contrats renouvelables tous les six mois « de manière tacite », et qui peuvent durer même plusieurs années. « Il m’est arrivé également d’être ponctuellement embauché par des sociétés qui souhaitaient, pour se vendre, présenter un directeur interne à l’entreprise, plutôt qu’un intervenant extérieur. »

Le piège : se référer au passé

Ces choix de flexibilité sont pourtant loin de représenter une voie évidente pour tous les seniors. Marqués par une, voire plusieurs expériences professionnelles qui se sont terminées parfois de manière traumatisante, ils peuvent avoir peine à se projeter dans un avenir différent. « Après 25 ans dans la même entreprise, des directeurs financiers par exemple, n’ont souvent jamais eu l’occasion de parler d’eux, de se vendre. Beaucoup ont tendance à se référer au passé, mais ils doivent aussi se demander ce qu’ils veulent faire demain, quelles sont leurs envies, leurs qualités différenciantes… », estime Yves de Beauregard. Faisant partie du réseau Oudinot, qui réunit quatre cents cadres seniors, il conseille vivement notamment les « speed networking » qui y sont organisés et permettent de se préparer, grâce à des entretiens avec des chasseurs de têtes à peaufiner son positionnement et à apprendre à se présenter.

Un changement de posture « vraiment nécessaire » pour Michèle Daumas, spécialiste DSI et management digital, également membre du réseau Oudinot. Après 25 ans de vie professionnelle chez un opérateur télécom qu’elle a choisi de quitter à l’âge de 51 ans dans le cadre d’un plan social pour cause de conflit de valeurs, elle a vécu une période difficile. Après six mois de recherche d’emploi, elle signe un CDD dans le secteur public, tout en restant sur l’espoir de décrocher un CDI dans le secteur privé. « Mais quand on a vécu une rupture forte, il faut du temps. » Elle choisit de suivre un Executive Master en management des systèmes d’information parallèlement à sa recherche. « J’ai fini par laisser tomber l’idée du CDI, c’était trop compliqué. » Utilisant l’entreprise qu’elle avait créée au moment de quitter son employeur, elle tente le management de transition. Bingo. Au bout de trois semaines, elle est appelée pour une mission de trois mois, puis pour une deuxième de dix-huit mois dans sa spécialité. Un mode de travail qui la séduit aujourd’hui, pour la liberté d’action et la diversité des projets à mener. « Je vis des aventures que je n’aurais jamais pu vivre en CDI », se réjouit-elle. Elle a cependant choisi le portage salarial : « Pour moi c’est super important de rester salariée et d’avoir, au besoin, la sécurité du chômage. » Même si la crainte d’intermissions trop longues est présente.

Changer l’image

Reconnaissant les qualités et compétences des seniors pour redresser un service ou conduire une transformation, les entreprises « sont parfois prêtes à acheter des compétences avec des honoraires, mais pas forcément sous forme de salariat », constate Patrice de Broissia, directeur général du cabinet Oasys Consultants, qui accompagne les transitions professionnelles. « Je conseille souvent aux seniors de ne plus se focaliser sur le CDI, qui n’est finalement pas une garantie d’emploi. Il suffit de donner un chèque quand on veut se séparer de quelqu’un. Si les entreprises doivent changer leur regard sur les seniors, eux-mêmes peuvent faire évoluer leur approche, sans essayer à toute force de se vendre eux-mêmes mais en analysant d’abord le besoin de l’entreprise et la manière dont on peut y répondre. » Un changement d’image, c’est ce que promeut Frédérique Jeske, qui a créé Seniors for Good, « mouvement citoyen dédié à la visibilité, la valorisation, la défense des droits et l’accompagnement des pros de 50+ » au printemps 2022 après une expérience personnelle de recherche d’emploi où on lui a expliqué, en substance, qu’elle était « trop vieille » pour un poste. Pour elle, la désespérance des cadres seniors rejetés violemment du marché de l’emploi nécessite de les « visibiliser », en présentant une vision « positive » et en les incitant à mettre en valeur leurs compétences – aussi – hors du salariat classique. « Management de transition, missions d’expertise, rapprochement avec des start-up »… Il est temps de montrer ce dont ils sont capables, » estime-t-elle, incitant les pouvoirs publics à agir dans ce sens. « Le gouvernement aborde la question de l’emploi des seniors sous un angle essentiellement technique, alors qu’il faut un véritable changement culturel, nous participons actuellement à la rédaction d’un plaidoyer avec le réseau Oudinot pour faire bouger les choses. »

Decathlon : seniors bienvenus

L’enseigne d’articles de sport recrute une cinquantaine de salariés de plus de 55 ans par an, notamment dans ses magasins et centres de logistiques. « Les effectifs de collaborateurs seniors sont en constante augmentation, souligne David Maillard, responsable RH spécialement dédié à la politique « seniors »de Decathlon. Les collaborateurs seniors représentent 4,5 % de la masse salariale globale au sein de Decathlon France (contre 3,4 % en 2020). Dans trois ans ce chiffre va augmenter à 7 %, et dans dix ans nous avons une projection à 12 %. » Vendeurs, techniciens d’atelier, magasiniers, experts techniques exigeant des compétences très précises… 55 % des postes proposés sont en CDI. Pour les accompagner, l’enseigne allie programme de formations (gestes et postures, nouvelles technologies…) et dispositifs d’aménagement de fins de carrière, formalisés dans des accords d’entreprise dont le premier a été signé il y a dix ans. Possibilité de passer d’un temps complet vers un temps partiel tout en maintenant les cotisations vieillesse à taux plein, bilan de compétence offert en cas de demande de reconversion, parrainage de seniors vers les juniors, démarrage du mécénat de compétences, développement du dispositif de la retraite progressive à partir de 60 ans…la palette des propositions s’étoffe, y compris pour faciliter l’accueil des seniors en interne. « Nous avons mis en place des formations spécifiques destinées aux managers afin de réduire les freins à l’embauche et les aider à animer les équipes avec des personnes de plus de 55 ans », précise David Maillard.

BBC Bircher Smart Acess : « éduquer », une nécessité

Pour Hafid Houchène, le directeur général France de BBC Bircher Smart Acess, PME Suisse spécialisée en matériel de détection, la recherche de profils seniors pour des postes de commerciaux en particulier se heurte à une difficulté spécifique : « Nous challengeons les chasseurs de têtes pour pouvoir les identifier, et nous avons beaucoup de mal. Ils ne m’envoient en général que des candidatures d’hommes, âgés de 30 à 40 ans, avec les mêmes profils. Donc nous devons faire appel à notre réseau, nos clients, d’anciens collègues… » Favoriser la diversité relève ainsi parfois du parcours du combattant. Les derniers recrutements en France ont concerné deux personnes, l’une de plus de 50 ans et l’autre de 22 ans. « Je ne connaissais même pas l’âge (52 ans) de la dernière personne que j’ai recrutée, témoigne Hafid Houchène. Je ne demande plus de CV, mais évalue les personnes uniquement sur leurs soft skills. » éduquer à la question de l’emploi et de l’intégration des seniors est une vraie nécessité pour lui. « Il est vrai que même au sein des équipes ce n’est pas toujours évident, il faut communiquer, expliquer par exemple les différences de rémunération, veiller à valoriser tout le monde en interne… Je crois beaucoup plus à cela qu’à des aides financières pour inciter les entreprises à recruter ces profils, il faut juste changer les regards. C’est un sujet que l’on aborde régulièrement dans nos réunions trimestrielles avec tous les représentants de l’entreprise. »

Auteur

  • Dominique Perez