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[REDIFF] Emploi des seniors: l’urgence à agir

Dossier | publié le : 01.01.2023 | Dominique Perez

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L’urgence à agir

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Mise une nouvelle fois sur le devant de la scène avec la réforme des retraites, la question de l’accès et du maintien dans l’emploi des seniors reste un nœud gordien qui ne se résoudra pas avec des seules injonctions. Au-delà de la question sensible de la pénibilité au travail, des freins demeurent, même si des avancées se font – doucement – jour.

« Votre expérience et vos compétences correspondent tout à fait au poste, mais vous n’avez pas 25 ans… » Pour cette femme de 52 ans, comme pour bien d’autres, le couperet tombe, une fois de plus. Manager de projet dans le milieu associatif à Marseille, elle a choisi de ne pas indiquer son âge sur son CV, qui par ailleurs cochait toutes les cases. Mais l’entretien de recrutement, une fois de plus, se termine par une fin de non-recevoir. Plus que de la déception, elle ressent une colère. Reconnue travailleu handicapé, issue de la « minorité visible », elle s’attendait, dans cette association qui accompagne des personnes en situation de handicap justement, à un accueil favorable. « Il va falloir vous bouger, il y a des postes vacants dans certains secteurs. » Face à Valérie Grégoris, cadre au chômage de 56 ans, la conseillère Pôle emploi tourne l’écran de son ordinateur pour lui présenter des métiers en tension : agent de sécurité, boulanger, plombier… Pour elle, qui a exercé plus de 30 ans dans le service marketing d’un groupe automobile et qui a vu son poste supprimé en 2019 « sans proposition autre », la désillusion est forte. Ayant créé son entreprise d’évènementiel en 2020, après avoir suivi une formation dans ce domaine pour se reconvertir, elle doit, suite aux effets désastreux de la crise sanitaire pour son activité, trouver un nouvel emploi. « Je suis confrontée systématiquement à une absence de réponse des recruteurs, témoigne-t-elle. Est-ce dû à mon CV, à mon étiquette »automobile« ? Je ne sais pas. Je travaille à plein temps sur ma recherche, je suis des ateliers, travaille mon réseau… Mais personne ne prend même la peine de me faire un retour. » Sans même attendre 60 ans, donc avec encore parfois 10 ans ou plus de vie professionnelle avant la retraite, les seniors ayant vécu une rupture dans leur carrière rencontrent encore bien des difficultés à accéder de manière « simple » à un marché de l’emploi que l’on dit paradoxalement tendu. Même si les difficultés rencontrées interviennent de plus en plus tard dans la carrière.

De réforme des retraites en réforme des retraites depuis le début des années 2000, le taux d’emploi des 55–64 ans a certes grimpé, passant de 37 % en 2003 à 56 % en 2021, selon la Dares. Mais ce sont d’abord les « jeunes seniors » qui ont bénéficié de cette hausse : 83,3 % des 50-54 ans étaient en emploi en 2021. Pour les plus de 60 ans, la situation est plus préoccupante : 35,5 % des 60-64 ans seulement sont en emploi, et 8,6 % des 65-69 ans. De plus, les seniors sont les plus affectés par le chômage longue durée, sept sur dix le vivant un an ou plus.

Les premiers à partir ?

Trop chers, peu adaptables, peu préparés à la digitalisation… les clichés ont la vie dure, et la propension « historique » à les faire sortir en premier des effectifs en cas de coup dur semble perdurer. Il suffit d’un retournement de conjoncture pour le constater. En 2020, les plus de 50 ans ont représenté 60 % des salariés concernés par les plans sociaux. Concernant la population cadre, « l’entrée au chômage est pour 81 % des cadres seniors la conséquence d’une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur » selon une étude de l’Apec publiée en 2021. Si les cessations anticipées d’activité, très en vogue avant les années 2000, ne sont plus ou de façon minoritaire (pour les travailleurs de l’amiante) financées par des fonds publics, une autre utilisation, difficile à mesurer statistiquement, permet à des grands groupes de privilégier l’emploi des jeunes tout en offrant des possibilités dites « d’aménagement de fin de carrière ». Chez Orange, un accord intergénérationnel signé par trois syndicats (CFDT, FO et Sud-PTT) pour la période 2022-2024, vise ainsi, en contrepartie des départs en retraite et départs anticipés de seniors, à recruter a minima 8 000 CDI, en « accordant une attention particulière au recrutement de salariés de moins de 30 ans dans les fonctions opérationnelles et dans les métiers du numérique ». Pour les seniors, est institué un temps partiel spécifique, qui permet aux salariés éligibles d’aménager leur temps de travail sur une période de 18 à 60 mois précédant leur départ en retraite. Pour la CFE-CGC, qui n’a pas signé l’accord, l’objectif principal est bien de réduire les coûts en baissant encore et toujours plus la masse salariale de la maison-mère par le biais d’un rééquilibrage entre les fonctions support/état-major jugées pléthoriques et les fonctions opérationnelles. On pousse les anciens vers la sortie et l’on réembauchera peut-être, un peu, mais dans les filiales. Pour Éric Chevée, de la CPME, ces pratiques, coûteuses, concernent avant tout les grandes entreprises. « Certaines, qui sont pourtant dans des situations florissantes, mettent un PSE sur la table tous les trois ou quatre ans, et proposent des sommes d’argent importantes pour le départ des seniors. Les PME n’ont pas ces moyens, elles gardent leurs salariés jusqu’au bout. »

Les entreprises ont-elles encore le choix ?

« Toutes les 37 secondes, une personne atteint l’âge de cinquante ans, et toutes les 48 secondes, un enfant naît, résume Jean-Emmanuel Roux, fondateur de la plateforme d’emploi destinée aux personnes de 50 ans et plus, TeePy Job. On voit arriver un monde de seniors, et c’est la seule tranche d’âge qui va être en augmentation jusqu’en 2070. » Incitées, notamment par le renouvellement des aides à l’apprentissage depuis la crise sanitaire, à recruter plus de jeunes, les entreprises n’auront pourtant pas d’autre choix que de se pencher sur la question intergénérationnelle, selon Franck Morel, avocat associé chez Flichy Grangé, auteur d’un rapport de l’Institut Montaigne intitulé « Emploi des seniors : agir sur tous les leviers ». Parmi les propositions du think tank, une modulation du taux des cotisations patronales en fonction de l’âge des salariés, avec une diminution de 2,5 points des cotisations vieillesse et chômage des moins de 30 ans et des plus de 55 ans, et une augmentation d’un point des cotisations des salariés entre 30 et 55 ans. « Si on crée un tel système présentant un intérêt pour les entreprises, il y aura un réel impact sur l’emploi des seniors, j’en suis convaincu », estime Franck Morel. Une proposition portée également antérieurement par la CPME, qui proposait par exemple à partir de 57 ans, une exonération de la cotisation d’assurance chômage pour les salariés de plus de 57 ans.

Aider plutôt que taxer ? La question est au cœur du sujet de la réforme des retraites, mais est loin de faire l’unanimité. Le souvenir cuisant de la contribution Delalande, taxe que devaient régler les entreprises qui licenciaient les plus de cinquante ans, mise en œuvre en 1987 et abandonnée en 2008, a eu pour effet l’inverse des attendus, en amplifiant la crainte des employeurs quant à l’embauche des seniors. Favoriser la transmission entre générations ? Le peu de succès du contrat de génération, créé en 2013 et abandonné en 2017, « partait d’une idée intéressante, mais était très complexe dans sa mise en œuvre », commente Franck Morel. Idem pour le CDD seniors « qui n’a pas vraiment trouvé son public ». Ayant abandonné la quasi-totalité des dispositifs visant à améliorer la situation de l’emploi des seniors, le gouvernement est amené à se repencher d’urgence sur sa copie. « Le relèvement du taux d’emploi des seniors est une condition de réussite de la réforme des retraites », a précisé Olivier Dussopt lors d’un point d’étape sur la réforme des retraites le 15 décembre dernier. Mais comment ? Retenant la possible mise en œuvre d’un « index pour l’emploi des seniors » porté notamment par la CFDT mais violemment combattu par le Medef, la question de la contrainte revient sur le devant de la scène. Fin décembre, à l’heure où nous écrivons ces lignes, la question brûlante de la pénalité qui pourrait être appliquée aux entreprises de plus de 50 salariés qui refuseraient de publier l’index n’était pas définie.

Un « principe de réalité » qui va faire bouger les lignes ?

Les réticences des entreprises à embaucher des seniors peuvent-elles évoluer durablement « à la faveur » d’une pénurie de main-d’œuvre certes conjoncturelle, mais qui pourrait être durable dans certains secteurs ? « Nous sommes dans un paradoxe, estime Marc Lesueur, délégué régional de l’Apec Normandie. Un recrutement sur deux rencontre aujourd’hui des difficultés, plus même dans certains domaines. De l’autre côté, on a des cadres complètement disponibles, dont plus des deux tiers sont en démarche très active de recherche d’emploi. » Problème : « des stéréotypes bien ancrés, qui voudraient que le cadre senior soit moins adaptable, alors que l’on sait très bien que ce critère ne dépend pas de l’âge. On le soupçonne également d’être moins « durable dans l’entreprise, d’y rester moins longtemps, du fait de son âge. Avec les perspectives d’allongement de la durée du travail, c’est évidemment de moins en moins vrai. Et ils ont, de plus, une fidélité beaucoup plus grande à l’entreprise. » Faire bouger les lignes est une mission de l’Apec, vis-à-vis des entreprises incitées « à faire un pas de côté et des cadres amenés à faire un projet professionnel réaliste. » L’association propose, entre autres, depuis 2019 un dispositif intitulé « Talents seniors », qui organise un mentoring entre cadres et chefs d’entreprise et demandeurs d’emploi, « pour faire bouger les lignes », explique Marc Lesueur. L’espoir, pour lui, est cependant permis. « Nous avons organisé en partenariat notamment avec Pôle emploi, un salon, intitulé Génération Emploi, qui réunissait une dizaine d’entreprises inclusives. Par capillarité, nous constatons que les bonnes pratiques commencent à se diffuser. » Côté non-cadres, les responsables de plateforme d’emploi dédiées aux seniors, qui fleurissent actuellement, constatent des évolutions certaines. « Pour certaines TPE, il n’y a même plus de barrières », constate ainsi Jean-Emmanuel Roux, fondateur de Teepy job, pourvu qu’elles puissent recruter. Même des personnes de 58 ou 60 ans… Fait nouveau, la part grandissante des PME-PMI (20 % des utilisatrices) et surtout des demandes « émanant des ETI et grandes entreprises, depuis le deuxième trimestre 2021, qui cherchent des comptables, des assistants RH, mais aussi des cadres… » Hôtellerie-restauration, distribution, services à la personne, santé, garde d’enfants, métreurs ou chefs de chantier, commerciaux dans les assurances et banque… « Même McDonald’s, numéro un de l’emploi des jeunes qui s’est d’abord adressé à nous pour embaucher ponctuellement des retraités recrute maintenant des managers de restaurant seniors. » Les cadres, qui n’étaient pas à l’origine le « cœur de cible » de la plate-forme, représentent aujourd’hui 18 % de ses utilisateurs, sur 100 000 candidats inscrits. Même écho du côté de la plateforme d’emploi « Seniors à votre service », qui s’adresse très majoritairement à des seniors au chômage ou en retraite pour les mettre en relation avec des entreprises et des particuliers. « Quand nous avons créé l’activité en 2008, les entreprises ne s’intéressaient pas aux seniors, constate Valérie Gruau, fondatrice de la plateforme. Mais depuis que l’on parle de la réforme des retraites, nous recevons de plus en plus de demandes de la part de sociétés jusqu’alors non concernées par le sujet, surtout depuis ces derniers mois. » Les entreprises vont-elles découvrir les atouts des seniors en étant presque « contraintes » de les recruter ? « Beaucoup de postes concernent par exemple le transport des personnes en situation de handicap ou des enfants, demandent un sens des responsabilités, une fiabilité, ou un sens de l’empathie… Mais aussi des secrétaires, pour recruter des salariés immédiatement opérationnels, ou des mandataires dans les assurances, postes qui demandent de l’autonomie… » poursuit Valérie Gruau. Des évolutions qui tardent cependant à se traduire dans les chiffres…

Auteur

  • Dominique Perez