Du « deux en un ». Ce vieux slogan publicitaire résume bien l’état d’esprit qui règne dans la branche du reconditionnement, puisqu’économie et insertion y vont souvent de pair.
Mi-décembre, c’est le rush pour Sylvain Lefèvre. « Cela explose de partout, résume-t-il. On travaille toute la semaine, samedi et dimanche inclus. C’est la folie ! Et ce rythme va se poursuivre même au-delà du 24 décembre au soir. Les enfants qui vont avoir un peu d’argent de poche sous le sapin viendront aussi nous voir. » 40 % du chiffre d’affaires se réalisent en cette période de fêtes, et jusqu’à la fin du premier trimestre. Sylvain Lefèvre est à la tête de Recycl’Jouets, boutique de Guise, dans l’Aisne, portée par l’association ADF02, et qui donne une seconde vie aux jouets. Cette entreprise grandit. 300 kg de jouets en quête d’une nouvelle famille d’accueil arrivent chaque semaine. Un poids multiplié par cinq en quatre ans. Forcément, le chiffre d’affaires a suivi. Il a quadruplé pour atteindre, en 2021, pas moins de 22 000 euros. « La méfiance des consommateurs était de mise au départ, raconte celui qui est à l’initiative du projet. C’est toujours le premier achat qui est le plus compliqué. Aujourd’hui, le public est demandeur. On sent l’évolution. Les résultats sont excellents. » Et il n’est pas là question que d’euros en caisse. Sylvain Lefèvre évoque aussi l’équipe qui s’étoffe. Dix-huit collaborateurs au total réceptionnent, réparent, mettent en rayon… Ils étaient moins de dix il y a quelques mois encore. Chantier d’insertion, Recycl’Jouets accompagne des personnes éloignées du marché de l’emploi. Sylvain Lefèvre aime utiliser l’expression « en transition », avec 40 % de retour vers l’emploi à l’issue de leur parenthèse au sein de la structure. Quand le business joue sur deux tableaux vertueux, écologie et employabilité. En deux mots : développement durable. En un sigle : RSE, responsabilité sociétale et environnementale.
Jamais, le thème de la transition écologique n’aura autant occupé le terrain médiatique qu’en 2022. On note une évolution dans les discours, et dans les attitudes. Pour preuve, la progression du marché de la seconde main est l’une des déclinaisons possibles. Selon une étude signée par le cabinet KMPG et la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance publiée en septembre 2022, 91 % des Français ont acheté en 2022 un produit de seconde main. 71 % d’entre eux ont déjà consommé un produit de culture et de loisirs déjà utilisé. Et 51 % sont prêts à acheter un téléphone d’occasion. Le marché est en plein essor, estimé à 7 milliards d’euros en France. D’où le succès de Recycl’Jouets, notamment. Mais, le reconditionnement tend à se développer dans la mode, le luxe, la téléphonie, ou, plus largement, les appareils électriques ou électroniques. « Les entreprises font tout pour montrer qu’elles sont concernées par des problématiques de RSE », note Arnaud Lacan, professeur permanent à Kedge Business School, expert en management coopératif et en nouvelles pratiques managériales. « On va peut-être assister à une course à l’échalote en la matière. On parle d’impact aujourd’hui. Le regard change. Les entreprises cherchent à expliquer que le profit n’est pas leur seule finalité, signe du déplacement vers une économie de sens, sans être dans une forme d’enfer lucratif. »
230 salariés fin 2002, Murfy devrait dépasser les 300 collaborateurs en 2023. Créée fin 2019, cette entreprise surfe sur l’océan d’appareils en fin de vie qui ne sont pas reconditionnés ou réparés dans l’Hexagone. Avec 28 millions d’appareils électroménagers qui prennent le chemin des déchetteries, pour cinq seulement qui sont réparés, une réserve de croissance est à portée de main. Mais c’est sans compter le marché de l’emploi pénurique actuel. « L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie compte entre 3 000 et 5 000 réparateurs quand il en faudrait 25 000, souligne Aurélie Fircowiz, directrice du marketing de Murfy. D’où notre idée de développer une école de réparateurs, même si ce n’est pas notre métier de base. La volonté est là de créer une filière. Avant, tout était orienté vers le neuf. » Former des Columbo du lave-linge, des Docteurs House de l’électroménager, capables d’investiguer, de détecter la panne pour une myriade de marques et de modèles, puis essaimer sur tout le territoire, avec des contrats à durée indéterminée à la clé, et permettre le déploiement d’un réseau de franchisés, tel est le projet. Mais avec des chemins détournés. Un test a été réalisé avec un centre de formation d’apprentis. Il a été peu concluant. Aussi, les profils les plus présents dans cette école nouvelle manière, avec plus de pratique, et moins de théorie, pendant six mois (dont trois pris en charge par Pôle emploi) ? Entre 30 et 40 ans, qui ont déjà travaillé, en quête d’une reconversion. Ou comment créer un écosystème vertueux.
« La diversité est source de richesse. À compétences équivalentes, on donnera plus de chance à celles et ceux qui en ont moins. Ils ont plus de mal à trouver un emploi. On essaie simplement de rééquilibrer. On applique la discrimination positive », explique Aurélie Fircowiz. Par ces mots commence l’échange avec Sylvain Couthier, président du Groupe ATF, et à l’origine d’ATF Gaia, dont près de 70 % des collaborateurs sont handicapés. Le crédo depuis du groupe : collecte, réparation et revente de matériels informatiques, avec le développement d’un site Internet dès 2011. « Avec l’inflation, cela paraît normal d’aller dans cette direction, commente encore cet ancien rugbyman. Cela devient tendance. Et donc, ce marché attire de nouveaux concurrents. On a au moins la légitimité de ne pas être opportuniste. On a un coup d’avance. » ATF groupe existe depuis 1995.
Les chiffres se font assez rares sur les entreprises du reconditionnement, tous secteurs d’activité confondus. Toutefois, la filière déchets électriques et électroniques (DEEE) en France s’est constituée. Et selon un communiqué de presse d’octobre dernier, cosigné par des éco-organismes que sont Ecosystem, Ecologic et Soren, acteurs historiques, 14 500 personnes représentant 6 862 équivalents temps plein, travaillent désormais en France pour permettre à la filière de collecter et de recycler 873 974 tonnes d’équipements et de réemployer 633 425 appareils. Plus de 2 100 personnes bénéficient de contrats d’insertion, répartis chez les acteurs du réemploi et de la réutilisation (environ 700 personnes) et les opérateurs de gestion de déchets (environ 1 400 personnes). C’est dans l’ADN des entreprises. « Un modèle transférable à tous les secteurs d’activité, commente Sylvain Couthier. Il y a beaucoup de choses à y gagner. On peut être une entreprise de croissance, tournée vers la rentabilité, sans que cela soit antinomique avec l’impact social. Un tiers des Français seront confrontés au handicap dans leur vie. Cela n’arrive pas qu’aux autres. »
Philippe Le Bourbouach est chef de projet, au sein d’IGS, groupe d’établissements d’enseignement supérieur, en charge du programme baptisé « La conquête des possibles ». Les sans formation, sans emploi, il les connaît bien. Et, pour lui, « la filière du reconditionnement constitue un marché pour une reconquête sociale. Avec des compétences techniques de plus en plus pointues, elle démontre qu’un nouveau business éthique est possible. » Et l’État est là pour le soutenir, au travers de différents contrats (tremplin unique d’insertion ou contrat à durée déterminée d’insertion). « Quand l’absentéisme dans une entreprise classique est de 10 % en moyenne, il peut atteindre 20 % ici, détaille Sylvain Couthier. Un collaborateur avec un bras en moins ira forcément moins vite, par exemple. Des éléments qui viennent impacter la productivité et la rentabilité. C’est là qu’intervient le soutien de l’État. »
Du positif sur toute la ligne ? « Les entreprises de l’économie sociale et solidaire ne sont pas vertueuses par essence, souligne Arnaud Lacan. Il ne faut pas leur prêter une vertu RH par principe. La promesse est forte, mais la réussite n’est pas garantie, pas systématique. Il n’y a qu’à lire, pour s’en convaincre, « Souffrance en milieu engagé » de Pascale-Dominique Russo (éditions du Faubourg). »
Les chiffres sont éloquents. Avec 129,1 milliards d’euros, le chiffre d’affaires de l’e-commerce en France en 2021 a fait un bond de 15,1 % en 2021 par rapport à 2020. Et l’augmentation est de + 24,9 % par rapport à 2019. Aussi, scruter le comportement des cyberacheteurs permet d’en déduire le potentiel de développement du reconditionnement.