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Dans les Geiq, des candidats de plus en plus éloignés de l’emploi

Décodages | Insertion | publié le : 01.01.2023 | Lucie Tanneau

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Dans les Geiq, des candidats de plus en plus éloignés de l’emploi

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Il existe environ deux cents groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification en France. Ces structures d’insertion par la qualification et l’emploi permettent aux entreprises de former des candidats, en partenariat avec le groupement qui assure le suivi des salariés. À Angers, le Geiq Pro forme une centaine de salariés par an.

Pour parvenir au plein-emploi en France, objectif affiché et répété par Emmanuel Macron, l’insertion est un passage obligé, et ce afin de toucher tous les publics. Le pacte d’ambition, créé en 2019 par la ministre du Travail de l’époque, Muriel Pénicaud, doté d’un budget porté à 1,3 milliard d’euros jusqu’en 2022 a permis la création de plus de 320 entreprises sociales inclusives en trois ans, pour un total de 2 070. Le nombre de personnes accompagnées a augmenté de 40 %, passant de 71 000 en 2019 à 101 000 en 2022. En dehors de ces structures, les Geiq, pour groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, permettent aux entreprises de recruter et de former de nouveaux salariés, comme un tremplin vers l’emploi. Constitués sous forme associative, les Geiq « regroupent des entreprises qui, pour résoudre leurs problèmes de recrutement, parient sur le potentiel des personnes en difficulté d’accès à l’emploi », explique le ministère du Travail sur son site Internet.

Nassim Moustakim, 35 ans, en fait partie. Originaire des Comores, et arrivé en France depuis Mayotte le 16 mars 2020, au moment du confinement, le jeune homme est désormais salarié en contrat de professionnalisation au sein de l’entreprise de peinture Frémy, à Angers. Il raconte son parcours, entre « difficulté à utiliser Internet » pour obtenir un rendez-vous à la préfecture afin de régulariser son titre de séjour, le logement obtenu pour lui, sa femme et leurs trois enfants grâce à l’association France Horizon, le permis de conduire, décroché en septembre dernier et le soutien de son conseiller Pôle emploi… qui l’a orienté vers le Geiq Pro. Créé en 2016, ce groupement rassemble quatre-vingt-douze entreprises du Maine-et-Loire.

Occupé à peindre des bancs pour la Ville d’Angers, en un beau bleu, Nassim se dit « très content » de sa situation. « Grâce aux associations, j’ai aujourd’hui mon permis, un logement et un travail », raconte-t-il. Lors de son premier contact avec le Geiq, son interlocutrice lui propose un stage de deux semaines. « C’est le principe : nous ne refusons jamais les stagiaires il faut bien faire découvrir nos métiers », explique Éric Frémy, le chef d’entreprise, qui l’accueille désormais. « Si le stage se passe bien, on échange avec le Geiq sur les possibilités, si on a des besoins, on réfléchit à former la personne, pour nous ou pour des collègues », poursuit le dirigeant. C’est ce qui s’est passé avec Nassim Moustakim. « Il est très motivé. On ne pouvait pas le laisser sans rien », continue son patron, installé dans les locaux de l’entreprise, en veste de costume noir. Depuis mai et pour dix-huit mois, le jeune homme alterne donc entre l’Afpa, « une ou deux semaines par mois » et l’entreprise de peinture. « Je ne connaissais pas les outils. J’avais déjà fait de la peinture aux Comores, mais c’était une méthode traditionnelle. Là, j’ai découvert l’enduit, la perche… C’est intéressant », dit-il, même s’il voit déjà plus loin. « Quand j’aurais obtenu mon titre professionnel, j’essaierai de me former à l’informatique, car aujourd’hui on en a besoin pour tout. Quand je vois comme j’ai galéré pour mon titre de séjour, je crois qu’il faut que j’apprenne », imagine déjà l’apprenti. « Il est très motivé », confirme Éric Frémy » qui est très ouvert à l’accueil de travailleurs étrangers, dont il loue la mentalité. Lui, grand défenseur de l’apprentissage : « J’y suis passé et la plupart de mes salariés aussi », répète-t-il. Le chef d’entreprise veut laisser leur chance à tous, et a noué pour cela de bonnes relations avec le Geiq. Chaque année, il forme quatre ou cinq apprentis « classiques », c’est-à-dire « des jeunes mineurs via le CFA » et, quand l’occasion se présente, des profils différents « souvent plus âgés », en partenariat avec le Geiq Pro. « On a reçu un gars la semaine dernière qui veut devenir solier, il a une spécificité : il n’a qu’un bras. On va le prendre en stage et voir ce qui est possible », raconte le dirigeant. « Ces candidats ont une certaine maturité, leur intégration en entreprise est souvent plus facile que des jeunes de 15 ans, car ils connaissent les codes », apprécie-t-il.

Pour la comptable de l’entreprise, ce partenariat avec le Geiq, depuis 2015 « est un bonheur ». Car le groupement gère à la fois le recrutement, la formation, mais aussi la gestion administrative de ces apprentis. Ces contrats permettent aussi de répondre aux clauses d’insertion stipulées dans la plupart des marchés publics, contrairement aux apprentis classiques, et représentent donc un atout au niveau du business. Depuis 2015, Éric Frémy a accueilli plusieurs salariés en contrat tripartite avec l’Afpa (ou le CFA), l’entreprise et le Geiq.

« Nous gérons l’ingénierie de formation et accompagnons nos salariés dans le développement de leurs compétences et d’un point de vue social », détaille Lucie Grellié, la directrice du Geiq Pro 49, un des six Geiq du département de Maine-et-Loire et le plus ancien, qui compte quatre salariés en interne (et une alternante) et emploie 78 apprentis placés chez les adhérents. La directrice vante ce modèle d’insertion qui permet aux entreprises de trouver des candidats que le Geiq « suit ». « Nous sommes, comme les entreprises, impactés par la pénurie de main-d’œuvre. Avec un taux de chômage proche du chômage structurel, les publics que nous rencontrons sont de plus en plus éloignés de l’emploi et sans projet professionnel, mais les entreprises recrutent des personnes pour faire un travail, pas pour assurer leur accompagnement social. Nous leur permettons de se libérer de cette partie », assure Lucie Grellié. En plus de la formation, le Geiq s’entoure en effet d’associations afin de résoudre les problématiques de logement, de mobilité… « Il y a quelques années, un quart de nos salariés étaient concernés par ces problématiques, aujourd’hui c’est la moitié », comptabilise-t-elle. Si les parcours de formation durent en moyenne 18 mois, la directrice vient d’imaginer un parcours en trois ans pour un jeune arrivé de l’étranger, avec une première année d’apprentissage du français. « Nous identifions des candidats avec les régies de quartier et les entreprises de travail temporaire d’insertion (Etti), qui ont déjà travaillé sur les projets. Mais, de plus en plus, ce sont aussi les entreprises qui nous envoient des personnes, qu’elles ont connues en mission d’intérim, par exemple », constate Lucie Grellié. Pour faire face à cette difficulté à trouver de candidats le Geiq Pro 49 imagine des actions communes avec les autres groupements du département. Un escape game a par exemple eu lieu en octobre. « On est sur des secteurs d’activités différents, nous avons tout intérêt à travailler ensemble », se réjouit la directrice.

Pour les Geiq comme pour les autres structures d’insertion, cette période difficile pour le recrutement rime aussi avec appréhension quant au financement. La Fédération des entreprises d’insertion (FEI) a appelé le Gouvernement à revoir à la hausse le budget de l’insertion par l’activité économique (IAE) prévu dans le projet de loi de finances 2023. Techniquement, l’enveloppe de l’IAE devrait grimper d’1,29 à 1,33 milliard d’euros en début d’année. Mais les acteurs du secteur dénoncent « une fausse augmentation » puisque ce coup de pouce financier sera totalement absorbé par la hausse du Smic. Si deux mille entreprises d’insertion bénéficient de cette aide de l’État en France, ce n’est pas le cas des Geiq, qui se financent en grande partie grâce à leurs entreprises adhérentes. Le Geiq Pro 49 par exemple, s’autofinance à 82 %. « Les 18 % restants sont les aides à l’embauche de 8 000 euros que nous touchons de l’État pour les sorties positives », explique Lucie Grellié, inquiète, alors que les aides à l’embauche d’alternants sont passées le 1er janvier de 5 000 euros pour un apprenti mineur et de 8 000 pour un majeur ou un handicapé à une prime unique de 6 000 euros pour l’employeur versée une seule fois, qu’importe l’âge ou le diplôme préparé par le jeune. Une réforme dont les petites boîtes risquent de faire les frais. À cela s’ajoute le casse-tête du nombre de places en formation disponibles. Une crainte qui s’ajoute à un contexte local : l’arrêt du chantier du tramway va entraîner une baisse des besoins dans certaines des entreprises adhérentes. « Je crains une réduction du nombre de chantiers, cumulée avec les difficultés d’approvisionnement et la hausse du coût de l’énergie… Mais nous verrons : chaque année peut nous surprendre, je veux rester positive et voir le moment venu avec nos entreprises ce que nous pouvons faire », balaie-t-elle dans un sourire.

Pour les adhérents, le Geiq représente en effet un lieu de discussions et un réseau privilégié. « On échange beaucoup avec les autres chefs d’entreprises sur nos difficultés de recrutement », reconnaît Éric Frémy. « On passe le mot à des entreprises en panne de candidats aussi : tournez-vous vers le Geiq », conseille-t-il, ravi de ces apprentis plus âgés, « parfois plus simple à gérer que des jeunes de 16 ans », sourit le chef d’entreprise, également père de famille.

Auteur

  • Lucie Tanneau