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Y a-t-il un syndicalisme de services pour sauver les syndicats ?

À la une | publié le : 01.01.2023 | Benjamin d’Alguerre

Les centrales se vident, les élections professionnelles ne mobilisent plus les foules, les salariés des TPE ne se sentent pas concernés… Alors que le syndicalisme « de classe et de masse » ne semble plus faire recette, certaines organisations syndicales veulent remettre leur dimension de service à l’adhérent au goût du jour, selon les modèles germanique, nord-américain ou scandinave. Mais le changement de braquet culturel n’est pas aisé. (Crédit photo: Bruno Lévy)

Le désamour des travailleurs pour les organisations syndicales se confirme. Les résultats des élections 2022 de la fonction publique, tombés début décembre, sont éloquents : sur les 5,1 millions d’agents appelés aux urnes du 1er au 8 décembre dernier, seuls 2,2 millions ont participé, en présentiel ou à distance puisque pour la première fois, possibilité leur était offerte de voter en ligne. Total : 43,7 % de participation, soit un recul de 6,1 points par rapport aux précédentes élections en 2018 (49,8 %) dans un secteur public habituellement plus prompt à se mobiliser que le privé dans la désignation de ses élus au sein des instances représentatives du personnel.

Cette désaffection des agents publics pour les élections professionnelles constatée depuis une dizaine d’années n’a pas empêché les organisations syndicales arrivées dans le peloton de tête (CGT, FO, FSU et Unsa) de multiplier les communiqués triomphalistes pour claironner leur succès. La baisse de participation de ces élections 2022 ? Seulement la double conséquence des réformes des instances de dialogue social de ces dernières années et la mise en place d’un vote électronique mal compris par les fonctionnaires, expliquent les centrales. En clair : circulez, y’a rien à voir. En interne des organisations syndicales, toutefois, on a la victoire plus modeste. Mezzo voce, plusieurs secrétaires nationaux expliquent ce recul électoral par le creusement du fossé entre des organisations syndicales devenues distantes et une base de plus en plus indifférente. « Les syndicats donnent l’impression de n’exister qu’au moment des élections professionnelles. Il y a urgence à recréer des liens de proximité au quotidien », susurre-t-on chez FO.

 

« Les syndicats sont mortels »

Comme pour confirmer, la Dares, dans l’une de ses études Reponse (Relations professionnelles et négociations d’entreprise) publiée fin 2022, enfonce le clou. Au cours de la dernière décennie, le nombre de salariés ayant une perception positive du syndicalisme a diminué. Entre 2011 et 2017, le taux de salariés estimant que les syndicats leur rendent des services était passé de 58,2 % à 44,3 %. Sur la même période, le pourcentage de salariés considérant que « les syndicats jouent un rôle irremplaçable dans la représentation des salariés » avait, lui, baissé de 52,9 % à 37 %.

Dans le privé comme dans le public, le divorce n’est pas encore consommé… mais pas loin. « Quand la CFDT ou l’Unsa martèlent que les syndicats sont mortels, ils ont raison », assène Jean Grosset, directeur de l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès. Portés de 1966 à 2008 par la présomption irréfragable de représentativité et par un financement public au titre de leurs missions de gestion du paritarisme (confirmé en 2015 par la création de l’Association de gestion du fonds paritaire national ou AGFPN appuyé sur une cotisation obligatoire des entreprises égale à 0,016 % de leur masse salariale), les cinq grandes centrales (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC et CFTC) se sont longtemps reposées sur leurs acquis sans réellement partir à la chasse à l’adhérent alors que dans le même temps, l’engagement militant et idéologique s’étiolait dans le grand public.

« La présomption irréfragable a fait beaucoup de mal au syndicalisme français », poursuit Jean Grosset, « en décidant qu’un syndicat pouvait être présent dans une entreprise sans base électorale, elle a bloqué les grands changements qui auraient dû être réalisés au sein des centrales pour recréer de la proximité, aller chercher des militants et les former au travail syndical. Si personne n’y avait mis fin, nous n’aurions plus aujourd’hui que des squelettes syndicaux ». Remplacée en 2008 par une mesure d’audience minimale de 10 %, la fin de la présomption irréfragable a constitué une forme d’électrochoc pour certaines organisations conscientes que le militantisme de revendication ne suffisait plus à gonfler les effectifs des troupes. à commencer par la CFDT.

Dès son congrès de Tours de 2010, l’organisation réformiste a engagé son virage serviciel en transformant sa Caisse nationale d’action syndicale (Cnas), un confortable trésor de guerre de près de 130 millions d’euros accumulé depuis 1973 et destiné à assurer les revenus des militants cédétistes non rémunérés lors des grèves de longue durée. Un souvenir du passé autogestionnaire de la Centrale. « La Cnas peut toujours être mobilisée en cas de non-versement des salaires par l’employeur en situation de débrayage, mais les grèves longues sont devenues rares et plus personne n’attend la « Révolution » aujourd’hui. Il fallait bien trouver une autre utilité à cet argent », confesse Lydie Nicol, secrétaire nationale chargée du développement des services à l’adhérent. En quelques années, cette cagnotte du Grand Soir s’est transformée en organisme de financement pour la formation syndicale des élus, assurance-santé pour les militants victimes de dommages corporels du fait de leur activité syndicale, complémentaire-santé pour les cédétistes retraités ou même en centrale d’achat pour les œuvres sociales proposant aux adhérents voyages et loisirs à prix négociés.

Ce genre d’initiatives n’est évidemment pas spécifique à la seule centrale de Belleville. Chez les syndicats plus contestataires, la caisse de grève est un dispositif répandu. La CGT Info’Com, qui regroupe salariés des médias ou de la publicité, la CGT Cheminots de Versailles ou Sud-PTT 92 disposent aussi de leurs caisses de grève alimentée par les contributions des militants ou de leurs soutiens pour tenir le coup en cas de conflits longs. FO entretient de longue date son Association Force ouvrière consommateurs (Afoc), un service de conseil juridique aux consommateurs et aux locataires en bisbille avec leurs propriétaires. La CFTC a lancé, fin 2021, une appli permettant aux adhérents (ou non) de disposer d’informations juridiques ou syndicales, de petites annonces entre militants, et d’accéder à un service de centrale d’achat faisant office d’œuvres sociales pour les militants dont l’entreprise ne bénéficie pas d’un CSE. La CFE-CGC a développé sa mutuelle « + Santé » avant que celle-ci ne tombe en désuétude du fait de son coût difficile à assumer pour la seule Centrale de la rue du Rocher et ses 140 000 adhérents, mais aussi de l’ANI sécurisation de l’emploi de novembre 2013 qui a imposé une complémentaire santé à tous les employeurs, rendant donc l’initiative du syndicat des cadres obsolète. Ce qui n’empêche pas, aujourd’hui, quelques fédérations de la CFE-CGC, à l’image de celle de la métallurgie, à réfléchir à l’idée d’une nouvelle complémentaire – retraite cette fois – comme amortisseur de la réforme à venir à destination de leurs adhérents.

 

Le bénéfice des accords aux seuls adhérents syndicaux

Pour autant, cette activité au service des salariés se traduit-elle par une affluence de nouveaux encartés dans les organisations ? Pas vraiment. Avec 8 % de taux d’adhésion, le syndicalisme français se traîne en lanterne rouge des pays de l’OCDE. Et les crises des Bonnets rouges en 2013, ou des Gilets jaunes, en 2019-2020 ont montré que les mouvements sociaux pouvaient s’auto-organiser en laissant les syndicats traditionnels sur le banc de touche.

« L’attachement à une organisation syndicale est moindre qu’il y a vingt ans. Le changement régulier d’entreprise ou de statut est devenu la norme et n’incite pas les gens à l’adhésion si le syndicat ne montre pas qu’il peut apporter une vraie plus-value pour l’adhérent », explique Cyril Chabanier, président de la CFTC. « La crise du syndicalisme français se traduit par un effondrement des adhésions. Or, faute d’adhérents cotisants, les organisations syndicales se retrouvent bien en peine aujourd’hui de financer les services ambitieux qu’il faudrait » ajoute Guy Groux, directeur de recherche émérite au Cevipof de Sciences Po.

A côté de leurs homologues allemands (19,9 % de taux de syndicalisation), belges (52 %) ou suédois (72 %), les syndicats français sont à la peine. Dans ces pays, qui ont adopté le « modèle de Gand », les syndicats sont en charge de la gestion d’un nombre conséquent d’institutions, allant des caisses d’assurance-chômage à la gestion des complémentaires santé, dont le bénéfice n’est ouvert qu’aux adhérents des organisations syndicales ayant signé les accords constitutifs. En France, François Hommeril a jeté un pavé dans la mare à ce sujet en février dernier. Lors de la présentation du programme « Restaurer la confiance dans la démocratie sociale », le tonitruant patron de la CFE-CGC a relancé l’idée d’accords ne bénéficiant qu’aux adhérents syndicaux (toutes centrales confondues). Une idée que suggéraient déjà plusieurs cercles de réflexions comme le Conseil d’analyse économique, l’Ifrap ou, plus récemment, l’Institut Montaigne (voir https://urlz.fr/ktqn).

Au sein du syndicat des cadres, la proposition n’est cependant pas nouvelle. Au tournant des années 2000, l’ancien président de la CFE-CGC Jean-Luc Cazettes portait déjà cette idée. « Puisque le Gouvernement nous objecte le faible nombre d’adhérents pour contester le droit des syndicats à construire la norme sociale, alors il faut réformer les conditions de cette adhésion ! », assure aujourd’hui François Hommeril. Quitte à susciter une concurrence entre organisations syndicales en appâtant l’adhérent grâce à des services plus avantageux que le voisin. Pour l’instant, la CFE-CGC est un peu seule sur ce créneau. « On ne s’interdit pas d’y réfléchir, mais on n’est pas pour le syndicalisme obligatoire », glisse pour sa part Cyril Chabanier. À la CFDT, l’initiative est rangée dans le tiroir des fausses bonnes idées, juste à côté du chèque syndical proposé par l’employeur. Et à la CGT ou chez FO, on y oppose un « niet » absolu au nom du syndicalisme de revendication et de lutte des classes. Entre les centrales, difficile de dégager une position commune. La prochaine révolution portée par les organisations syndicales sera-t-elle culturelle ?

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre