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Police : le syndicalisme de services sur le point de craquer ?

À la une | publié le : 01.01.2023 | Maxime François

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Police : le syndicalisme de services sur le point de craquer ?

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[Alors que deux syndicats de policiers (Unsa Police et Alliance) viennent de prendre des positions qui suscitent la controverse, nous rediffusons gratuitement cette enquête sur le syndicalisme policier de janvier 2023 détaillant - en partie - la puissance des organisations syndicales au sein d'un corps qui compte près de 80% d'adhérents, mais aussi les rapports de force existant entre elles qui les poussent parfois à la surenchère.]  

S’il est un secteur où le syndicalisme de services marche à plein, c’est bien la police nationale où les syndicats co-gèrent les carrières avec l’administration. Mais la récente victoire aux élections professionnelles d’un bloc regroupant plusieurs organisations relevant de catégories différentes pourrait remettre en cause un équilibre fragile à l’heure de la négociation sur la protection sociale.

Des manifestations inédites organisées devant l’Assemblée nationale ou l’Élysée, un activisme voyant – parfois virulent – dans la rue ou sur les réseaux, entre syndicalistes, mais aussi face à la justice et à l’exécutif… Rarement la machine syndicale policière n’aura été aussi démonstrative et puissante à l’approche des élections professionnelles. Après des années orageuses entre chapelles, la cuvée « élections 2022 » des élections professionnelles dans la police a débouché sur la recomposition du paysage syndical, désormais formé de treize organisations unies autour d’Alliance (CFE-CGC) et de l’Unsa Police (environ 50 000 adhérents chacune). élu le 8 décembre, avec 49,45 % des suffrages, ce nouveau bloc rassemble policiers, commissaires, officiers, personnels techniques, scientifiques et administratifs et même des psychologues. L’Alliance emporte huit sièges sur quinze au comité social d’administration interministériel, le centre névralgique du ministère de l’Intérieur en matière de dialogue social, où, jusque-là syndicat majoritaire, Unité – SGP Police – FO était parvenu à résister.

« Plus de 80 % des policiers ont une carte syndicale »

Entre les hommes en bleu et leurs syndicats, c’est une histoire d’amour qui dure. « Plus de 80 % des policiers ont une carte syndicale : même si la participation a légèrement baissé en quatre ans, son niveau est considérable », explique Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail. « Le syndicalisme de services de la police n’a jamais été aussi puissant. Il a une réelle capacité à mettre des mots d’ordre, des appels à la grève… » Et dans un contexte où chaque catégorie de policiers dispose de son syndicat, l’administration centrale se montre très à l’écoute de ces groupes de pression. Conséquence : dans cette profession, « le rattachement à une confédération est presque une nécessité pour tout policier. Un policier qui veut réussir sait qu’il doit avoir sa carte », résume Bernard Vivier. Car dans la maison Poulaga, les syndicats se posent en véritable co-gestionnaires des intérêts de la profession aux côtés de l’administration et du cabinet du ministre de l’Intérieur. Les organisations syndicales et leurs délégués gèrent les œuvres sociales, les centres de vacances… mais aussi les carrières, l’avancement, les rémunérations et les mutations au travers de commissions paritaires où chaque encarté sait qu’il disposera d’une oreille attentive et favorable.

Rapport de force préalable

Sans surprise, les résultats de ce scrutin sont donc systématiquement étudiés avec grande attention par la place Beauvau. Surtout dans un contexte de réforme des retraites qui devrait aussi concerner la police. Le climat est donc tendu entre Beauvau et la base. En 2019, lors de la précédente tentative de réformer les retraites, les agents s’étaient fortement mobilisés pour défendre leur droit à partir à la retraite à 52 ans dans certains cas. Après plusieurs jours d’actions (commissariats symboliquement fermés, grève du zèle…), les puissants syndicats policiers avaient obtenu du Gouvernement le maintien de leur régime spécifique. Qu’en sera-t-il cette fois ? Mystère. Mais un an après les conclusions du Beauvau de la sécurité, l’enjeu est éminemment politique pour le numéro trois du Gouvernement, tout comme pour la haute hiérarchie policière. Car les dossiers sensibles s’accumulent : organisation des JO 2024, mise en place d’une réforme de la police judiciaire décriée en interne, délocalisation de certains services comme l’IGPN qui doit prendre ses quartiers au Havre en 2025… Si l’on y rajoute l’inflation qui touche aussi le pouvoir d’achat de la maison Poulaga, Gérald Darmanin marche sur des œufs.

Ces derniers mois, sous pression syndicale, le ministre a donc multiplié les cadeaux à des policiers très sollicités durant la crise des Gilets jaunes. Coût de la facture : 15 milliards d’ici 2027. Le numéro d’équilibriste entre rapport de force et gestes à la profession est crucial pour le ministre qui n’a pas le choix s’il veut mener à terme la transformation de l’Institution par laquelle il entend marquer son passage place Beauvau. Les syndicats, eux, savent que cette séquence leur offre une opportunité pour tenter d’obtenir plus que ces 15 milliards en cinq ans. En attendant des résultats, le nouveau bloc Alliance-Unsa Police et sa dizaine d’alliés a de quoi montrer les muscles. Pour autant, le triomphalisme affiché par les gagnants fait sourire jaune chez les perdants – relatifs, l’organisation ayant progressé en voix – du SGP-FO : « A-t-on déjà vu une alliance entre des ouvriers et leurs patrons ? », ricane un syndicaliste Force ouvrière pointant la présence du syndicat des commissaires, le SCPN au sein du bloc victorieux. « Les organisations qui tamponnent le tract n’ont pas du tout la même culture syndicale. Les affinités locales dépendent beaucoup de la personnalité du délégué syndical et non de l’écusson », rappelle-t-il. « Cette nouvelle alliance, c’est comme la Nupes à l’Assemblée nationale. Il existe des divergences de cultures, notamment entre les commissaires et la base. On verra bien si la mayonnaise prendra au moment où les représentants devront dialoguer. Je pense que ça va craquer », prophétise pour sa part un ancien chef de commissariat. En cause : une alliance opportuniste conçue uniquement pour permettre aux syndicats de commissaires d’accéder aux commissions techniques des ministères dont le ticket d’entrée tourne autour de 20 000 voix.

Les cartes rebattues ?

Cette nouvelle donne présage-t-elle de futurs accrocs dans le syndicalisme de services tel que pratiqué dans la police ? Certains commencent à dénoncer son poids excessif dans la gestion quotidienne d’un commissariat. « C’est un bras de fer permanent avec des pressions », décrit un officier. Durant les élections « les permanents de chaque district, qui font carrière dans le syndicalisme sont constamment présents (…). à la longue, ceux-là n’ont plus rien à voir avec des policiers mais il faut composer avec dans les effectifs puisqu’ils assistent sur le côté des salles de réunion à toutes les prises de consignes… Mais ne font rien ensuite sur le terrain ». En tant que responsable, « c’est une donnée à prendre en compte dans votre façon de gérer, votre planning. Ils peuvent aussi intervenir au-dessus de vous, sur les sanctions, sur ce que vous faites, sur les décisions que vous prenez », ajoute-t-il.

La nouvelle alliance de treize syndicats arrivera-t-elle à accorder ses violons sur les sujets plus techniques, comme celui du niveau de protection de la santé, des retraites et des complémentaires santé, qui doit être mis en place en 2024 ? Contactés à de nombreuses reprises à ce sujet-là, plusieurs syndicalistes policiers n’ont pas souhaité s’exprimer. Le ministère de l’Intérieur, qui devra assurer 50 % de la prise en charge d’ici à 2024, n’a pas non plus répondu à nos sollicitations sur le dossier. Ce dossier a beau n’avoir été que peu évoqué durant la campagne pour les élections professionnelles policières – occulté par des sujets plus sécuritaires comme celui de la réaction face au refus d’obtempérer – il peut constituer un crash-test dans les mois à venir pour le nouveau bloc victorieux. Et possiblement rebattre les cartes du syndicalisme de services « à l’ancienne ».

L’avocat star des gardiens de la paix, Daniel Merchat – qui a troqué il y a quelques années sa casquette de commissaire de Sarcelles (Val-D’Oise) pour la robe – ne croit pas, lui, à une remise à plat. En raison de l’esprit de corps qui joue à plein. « Quoi que l’on dise sur cette union, il y a une solidarité authentique et historique dans le syndicalisme policier. La mobilisation de soutien est forte en dehors des projecteurs aussi. Ils ne laissent jamais un blessé au front. Quand on entend les balles siffler ensemble, on ne recule pas », martèle le ténor, en vieux briscard du secteur. Et lorsqu’il était commissaire, comment gérait-il au quotidien ses rapports avec les organisations et le syndicalisme de services ? « C’était un temps de boulot en soi, avec des moments informels. Quand ça se passait bien, les délégués passaient une tête au bureau en disant : « Bonjour Patron, peut-on causer deux minutes ? » Sinon les discussions pouvaient aussi être très conflictuelles. Mais remarquez, c’est pratique : à la fin il ne devait y avoir que des gagnants. Il le fallait : la relation est complexe, on allait ensuite au charbon ensemble. »

Auteur

  • Maxime François