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La présomption de démission, une fausse bonne idée

Idées | Juridique | publié le : 01.12.2022 |

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La présomption de démission, une fausse bonne idée

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Après les vagues de démissions de la période post-confinement (le « Big Quit »), la démission fait à nouveau parler d’elle avec la création à l’automne 2022 d’une présomption de démission en cas d’abandon de poste. Du jamais vu en droit français !

Le scénario visé

La loi sur le fonctionnement du marché du travail prévoit qu’en cas d’abandon de poste volontaire, le salarié sera présumé démissionnaire de sorte qu’il n’aura pas droit à l’assurance-chômage. L’arrière-plan du dispositif est clairement ressorti lors des débats parlementaires : « Il n’est pas souhaitable qu’un salarié licencié à l’issue d’un abandon de poste dispose d’une situation plus favorable en matière d’assurance chômage qu’un salarié qui démissionne et qui n’est pas indemnisé. » L’hypothèse visée par les auteurs du texte est connue, bien qu’on en ignore l’importance : c’est celle du salarié qui souhaite quitter l’entreprise tout en bénéficiant de l’assurance chômage. Il ne démissionne pas, ce qui le priverait de l’indemnité chômage. Il tente, dans un premier temps, de convaincre son employeur de conclure une rupture conventionnelle et, en cas de refus de ce dernier qui, souvent, ne sera pas disposé à payer l’indemnité de rupture conventionnelle, il cherche, dans un second temps, à « se faire licencier ». Pour ce faire, il abandonne son poste, contraignant l’employeur, au bout d’un certain nombre de jours ou semaines, à le licencier pour faute. Même si ce dernier opte pour un licenciement pour faute grave, le salarié aura tout de même droit aux indemnités chômage, lesquelles ne sont pas tributaires du degré de gravité de la faute du salarié. Une stratégie qui, dans certains cas, est négociée entre le salarié et l’employeur qui « accepte » de le licencier pour faute grave.

La réponse du législateur

Pour répondre à ce scénario, qui n’a jamais été sérieusement documenté, la loi réformant l’assurance-chômage inscrit dans le Code du travail un dispositif pour le moins original, à mille lieux du régime classique de la démission puisque, jusqu’à présent, la démission supposait systématiquement une « volonté claire et non équivoque » du salarié. Il est désormais prévu que celui qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur (lequel ne peut être inférieur à un délai qui sera fixé par décret), est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai. Le salarié pourra saisir le conseil de prud’hommes qui statuera sous un mois suivant sa saisine, l’affaire étant directement portée devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes. Une procédure accélérée que l’on connaît déjà à propos de la prise d’acte de rupture du contrat de travail et dont il faut bien admettre qu’elle est difficile à mettre en œuvre dans le délai d’un mois ! Bon nombre de questions pratiques restent en suspens. Comment traite-t-on la situation du salarié qui revient juste avant l’expiration du délai de reprise et repart juste après, empêchant systématiquement le déclenchement de la présomption ? Que devra contenir la mise en demeure, dont on suppose qu’elle devra au minimum spécifier que faute de retourner à son poste, le salarié sera présumé démissionnaire ; car une mise en demeure peut aussi précéder un licenciement pour faute grave. Le salarié pourra-t-il répondre à la mise en demeure par une prise d’acte de rupture s’il dispose de griefs à l’encontre de son employeur ? On ne voit pas ce qui pourrait s’y opposer. Comment s’articulera la procédure décrite ci-dessus avec le droit de retrait ?

L’insécurité juridique

Même si la liste des questions pourrait être allongée, la plus grande source de difficultés concerne la définition du caractère volontaire de l’abandon de poste. Sur le principe, cette condition, expressément visée par le texte, ne surprend pas puisque le chômage est réservé aux personnes involontairement privées d’emploi. Là se trouve d’ailleurs la raison de l’exclusion des démissionnaires de l’assurance chômage, sauf les cas de démission légitime. La convention d’assurance chômage admet en effet 17 cas de démission donnant droit à l’allocation-chômage, parmi lesquels la commission d’un acte délictueux par l’employeur, le non-paiement du salaire après décision de justice ou encore des situations liées à la vie personnelle et familiale du salarié (mariage ou Pacs accompagné d’un changement de lieu de résidence, le mineur qui quitte son emploi pour suivre ses parents, la clause de couple, etc.). Hors ces cas, le salarié démissionnaire se retrouve sans indemnisation chômage après la rupture, ce qui fait de la nouvelle présomption de démission une sorte de sanction pour le salarié qui abandonne son poste de façon volontaire.

On peut s’attendre à un important contentieux car la notion d’abandon « volontaire », inconnue du droit du travail, est pour le moins floue. Elle conduira assurément à exclure le jeu de la présomption lorsque le salarié exercera son droit de retrait ou son droit de grève. Il en ira de même lorsque le salarié abandonnera son poste pour des raisons de santé et de sécurité puisque l’abandon de poste pourra alors être considéré comme contraint ! Si l’on creuse ce point, on perçoit aisément l’insécurité que le nouveau dispositif crée pour les entreprises. Le salarié pourra, en toute logique, soutenir qu’il a quitté son poste en raison d’une souffrance au travail, générée par une mauvaise entente avec ses collègues et/ou son supérieur hiérarchique, voire parce qu’il s’estime harcelé au travail. Or, la question n’est pas ici de savoir si l’obligation de sécurité a été méconnue par l’employeur ou si le harcèlement moral est constitué, mais simplement si le salarié a eu un motif raisonnable de penser que son intégrité physique ou morale était en danger. Face à un salarié qui soutiendra qu’inquiet pour sa santé ou sa sécurité, il n’est pas revenu au travail, le juge devrait, au vu du texte, écarter la présomption de démission et, probablement, faire produire à la rupture du contrat les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse voire, si l’abandon de poste est consécutif à un harcèlement moral caractérisé, les effets d’un licenciement nul.

Tout ça pour quoi ?

L’enjeu en vaut-il la peine ? D’abord, il n’est pas certain que les entreprises jouent le jeu. Pour des raisons juridiques d’abord, elles pourraient être rebutées par l’insécurité juridique générée par la présomption de démission. Mais aussi parce qu’elles n’ont pas de véritable intérêt à sortir du terrain plus habituel du licenciement pour faute grave, qui ne coûte rien ou presque à l’entreprise qui n’a pas à payer l’indemnité de licenciement (sauf si le salarié conteste avec succès la faute grave) et n’est pas débitrice des indemnités de chômage. Le choix pourrait même être cornélien pour l’entreprise : est-ce que je fais jouer la présomption de démission et je prive mon salarié de chômage ? Ou est-ce que je le licencie pour faute, le cas échéant pour faute grave, auquel cas, il aura droit au chômage ? Si l’on caricature un peu, l’entreprise qui ferait le choix de la présomption de démission ne verra-t-elle pas son salarié, certes dans des cas exceptionnels, pousser son employeur à le licencier en commettant des fautes autres qu’un abandon de poste, dont certaines pourraient être plus préjudiciables au fonctionnement de l’entreprise : insulter son supérieur hiérarchique, ne plus respecter ses horaires de travail, passer ses journées sur Internet…

Surtout, le scénario à l’origine de ce dispositif, à savoir l’abandon de poste stratégique, destiné uniquement à « se faire licencier », pourrait bien être une pratique marginale si bien que l’on va mettre ceux qui abandonnent leur poste pour des raisons légitimes (p. ex. une souffrance au travail) dans une situation ô combien délicate (obligés de saisir le conseil de prud’hommes pour renverser la présomption) pour répondre aux stratégies déloyales d’un nombre probablement très modeste de leurs collègues ! Avoir été licencié pour faute grave n’est pas neutre lorsqu’on cherche un nouvel emploi et on doute que nombre de salariés s’aventurent sur ce terrain ! On peut regretter que le dispositif ait été adopté sans que des statistiques ne viennent corroborer les faits qui lui servent de fondement.