logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Comment préparer la future génération à faire face à la violence au travail

Idées | Recherche | publié le : 01.12.2022 |

Image

Comment préparer la future génération à faire face à la violence au travail

Crédit photo

Alors que le procès en appel de France Télécom fait l’actualité, quelles leçons tirer des différents scandales en matière de harcèlement moral ou de violence dans l’emploi ? Comment préparer les futurs managers à détecter et à enrayer les mécanismes de violence physique et mentale au travail ? Comment se saisir de ces problèmes dans une pédagogie active, et plus particulièrement, dans le cadre de cours en gestion des ressources humaines (GRH) ?

La diffusion prochaine par la CCMP de notre étude de cas « Catwalk : gestion de crise face à la violence au travail », récemment primée « Meilleure étude de cas 2022 » par l’AGRH-Référence RH1,est l’occasion de réfléchir à la façon dont nous préparons la future génération d’acteurs du changement au travail sur ces questions.

Qu’est-ce que la violence dans l’emploi ?

La violence dans la sphère professionnelle recouvre plusieurs réalités et représente un enjeu tant pour la responsabilité, la croissance et la réputation des organisations employeuses que pour le bien-être et l’intégrité physique et morale des personnes qui évoluent en leur sein. La Convention C-190 de l’OIT définit la violence au travail comme « toute action, tout incident ou tout comportement qui s’écarte d’une attitude raisonnable, par lesquels une personne est attaquée, menacée, lésée ou blessée dans le cadre ou du fait direct de son travail ».

En dépit de l’existence d’un arsenal juridique renforcé en faveur de la prévention des accidents de travail (loi du 6 décembre 1976) et de la prévention des risques professionnels (loi du 31 décembre 1991), la France connaît des défaillances en matière de sécurité et de santé dans l’emploi depuis plusieurs décennies. Ainsi, un rapport du Bureau international du travail (BIT) paru en 1998 pointe la fréquence des agressions survenues sur le lieu de travail dans le pays, figurant parmi la plus élevée au monde ( !). Si la France n’est pas la seule à détenir ce triste record (partagé avec le Canada, les États-Unis et l’Argentine), cette réalité demeure préoccupante pour les salariés. De nos jours, la loi française maintient la responsabilité de l’employeur sur ces questions en l’obligeant à veiller à la santé et à la sécurité de ses salariés sur le lieu de travail, ce dernier étant tenu d’évaluer les risques professionnels sur chaque poste de travail et de mettre en place des actions de prévention, d’information ou de formation (articles L4121-1 à L4121-5 du Code du travail).

La jurisprudence distingue les violences verbales des violences physiques. Les violences verbales (menaces, injures, outrages, brimades répétées) sont des propos excessifs, blessants, cruels ou des provocations à la haine, à la violence ou aux discriminations. Par des moyens vindicatifs et malveillants, ces remarques négatives sur la victime ou ses compétences visent à la rabaisser dans son emploi. Répétées et institutionnalisées au sein d’une organisation ou d’un collectif de travail, elles ont pour effet de créer non seulement un climat de travail hostile et délétère mais aussi de forger un quotidien marqué par des humiliations et des vexations. Cette violence-là est rarement un fait isolé ou unique. Elle renvoie, par exemple, aux pratiques de harcèlement moral institutionnel (ou managérial) ayant conduit à la vague de suicides entre 2008 et 2009 chez France Télécom ou à des faits de harcèlement sexuel relatés par des femmes journalistes de grandes chaînes de télévision. Ainsi, même les propos tenus sur le ton de l’humour mais qui blessent ou stigmatisent les personnes dans l’emploi en font partie. Les violences physiques, quant à elles, désignent des gestes ou agissements destinés à impressionner fortement, intimider, causer un choc émotionnel ou un trouble psychologique (i.e. objet lancé à l’encontre de quelqu’un, menaces avec armes, tentative de strangulation ou de meurtre). Elles se traduisent alors par une ou des blessures aux conséquences multiples : préjudice esthétique, souffrance, handicap irréversible, voire décès (à l’instar de l’assassinat de deux DRH et d’une conseillère de Pôle emploi à Valence en 2021).

Une pédagogie engagée et engageante

L’ampleur, la fréquence ainsi que l’absence de réponse adaptée, voire l’inaction face aux violences en contexte professionnel restent préoccupantes en 2022 et ce, alors que deux millions de personnes sont victimes de violences sur le lieu de travail chaque année en France (20,1 % des salariées et 15,5 % des salariés, selon la dernière enquête Virage de l’Ined). Face à cette réalité, la formation des étudiants à ces sujets est impérieuse et le rôle des enseignants-chercheurs en GRH capital. Outre le déploiement de cours sur la prévention des risques psychosociaux (RPS), la santé et la sécurité au travail (SST) ou l’amélioration des conditions de travail, le développement d’études de cas, de mises en situation et autres jeux de rôle sur le sujet sont autant de façon d’engager les étudiants dans une pédagogie active. Le cas Catwalk, issu de notre recherche sur l’injustice dans l’emploi initiée en 2021, part d’un fait réel d’agression sur le lieu de travail survenu dans un atelier de confection de luxe à Paris. Ayant la conviction qu’une posture pédagogique engagée (par le caractère sensible du sujet traité) et engageante (par la mobilisation de l’affect des participants) serait la plus à même d’engager les apprenants, nous avons décidé de proposer ce cas sous la forme d’un jeu de rôle. Concrètement, chaque étudiant a un rôle à jouer et chaque rôle fait face à un dilemme. Notre proposition met à l’honneur l’adoption de réponses collectives et individuelles face à la violence au travail au travers d’un dialogue social constructif.

Vers une praxis du dialogue social

Une chose est certaine : les étudiants attendent de la pratique, spécialement en sciences de gestion qui est une science de l’action. Au-delà du cours, ils souhaitent des applications concrètes aux théories et concepts qu’ils découvrent. Pourtant, aujourd’hui, la préparation pour faire face à ce type de situation délicate reste encore défaillante, nombre de praticiens, managers ou responsables de la fonction RH nous ayant confié que leur formation mettait peu l’accent sur les sujets sensibles de la GRH (comme la gestion des licenciements et les risques pour la santé mentale et physique des personnes impliquées).

Avec Catwalk, nous avons pris le pari de faire découvrir la négociation sociale aux étudiants depuis la salle de cours. En prenant part à la résolution d’une crise organisationnelle, ils mobilisent leurs savoirs en management, en droit du travail et en théorie des organisations mais aussi en sciences sociales, selon l’évolution de la négociation qui dure 1 h 30 environ. Nous débriefons ensuite les différents protocoles et dynamiques à l’œuvre qui éclairent les soft skills des participants : capacité à être dans l’écoute et l’empathie, à résoudre des problèmes en contexte d’asymétrie informationnelle, à gérer le stress sous la pression.

Sur la forme, les étudiants sont agréablement surpris et l’accueil est très positif. En effet, proposer de se mettre dans la peau de représentants de salariés/syndicats ou de dirigeants, offrir la possibilité de vivre un dialogue social – même en simulation – et ainsi mettre en avant leur talent en négociation, ou encore faire montre de persuasion, l’exercice n’est pas fréquent en salle de cours. Les retours recueillis auprès des étudiants nous ont convaincus que la modalité retenue était pertinente, d’autant que pour nous, il est important qu’en fin de module les étudiants se sentent moins démunis face à la violence au travail. À ce stade, notre plus grande fierté est d’avoir réussi à faire de ce jeu de rôle un outil au service du développement d’une praxis du dialogue social. Et à en croire les retours de nos étudiants au travers des carnets de bord renseignés par leur soin, il y a bien un avant et un après Catwalk et c’est ce qui est précieux pour nous.

Cette étude de cas a été primée lors du 33e Congrès de l’AGRH à Brest, en octobre 2022, dans la thématique « Enjeux de société et GRH ». Elle sera prochainement disponible sur le site www.ccmp.fr