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[DOSSIER NAO] L’inflation au cœur des NAO

Dossier | publié le : 01.12.2022 | Lou-Eve Popper

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L’inflation au cœur des NAO

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Dans de nombreuses entreprises, les DRH sont pris en tenaille entre une explosion des factures énergétiques et une demande forte des salariés de revalorisation salariale équivalente à l’inflation.  

Après plusieurs semaines de grève, les raffineries ont enfin repris leur fonctionnement normal. Dans la nuit du 13 octobre, un accord a été trouvé entre la direction de TotalEnergies et les syndicats, à savoir une augmentation générale de 7 % des salaires, sans compter les primes individuelles. Dans l’intervalle : un pays à l’arrêt pendant plusieurs jours et un géant pétrolier contraint de sortir le carnet de chèques sans trop lésiner. « Cela faisait des mois que la tension montait. Peut-être que les choses se seraient passées autrement si la direction avait accepté d’avancer les négociations annuelles obligatoires », soupire Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale à la CFE-CGC. Publiée en avril 2022, une étude du syndicat des cadres a montré qu’à l’époque, 80 % des employeurs avaient refusé d’inclure une clause de revoyure aux négociations annuelle obligatoires (NAO). « Ils devaient sans doute penser que, ce faisant, ils gagneraient un peu de temps. Dans le cas de Total, cette vision court-termiste était évidemment une erreur stratégique », pointe la syndicaliste.

Pouvoir d’achat

Aujourd’hui encore, les DRH semblent peiner à voir l’urgence de la situation. D’après une étude de l’ANDRH publiée le 4 octobre, seuls 18 % d’entre eux ont accepté d’avancer le calendrier des NAO. Pourtant, le climat social s’est fortement dégradé. Plusieurs grosses entreprises connaissent des débrayages et des menaces de grèves comme chez Enedis, GRDF, Axa France ou encore dans les usines Coca-Cola. Les employés de ces mastodontes de l’agroalimentaire, de l’énergie ou de l’assurance réclament des hausses de salaires équivalentes à l’inflation, qui tutoie désormais les 6 % d’après la Banque de France. En comparaison, les salaires n’ont en effet augmenté en 2022 que de 2,5 % d’après la note de conjoncture sur les rémunérations du cabinet Deloitte. Pire, en 2021, près de la moitié des salariés n’avaient touché aucune augmentation du fait de la crise sanitaire. À l’automne 2021, des mouvements de protestation avaient déjà éclaté dans les entreprises ayant réalisé des bénéfices significatifs au cours du confinement, comme Décathlon et Leroy-Merlin. Un an plus tard, avec l’explosion des factures énergétiques, l’augmentation du prix des produits de première nécessité et du carburant, les salariés semblent plus déterminés que jamais à défendre leur pouvoir d’achat.

« Cette demande est parfaitement légitime au sein des firmes qui ont engrangé des profits conséquents au regard de la crise, comme les énergéticiens. Mais il s’agit de situations atypiques, la plupart des entreprises sont aujourd’hui en difficulté », souligne Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. Une analyse que ne partagent pas complètement les représentants syndicaux. Selon Luc Mathieu, secrétaire national à la CFDT en charge des salaires, « il faut faire attention aux généralités. Il n’y a pas Total d’un côté et le reste du tissu économique de l’autre. Le secteur de la grande distribution a, par exemple, bénéficié de très bons résultats ces derniers mois. Les franchises des grandes enseignes, qui sont parfois des PME, sont donc elles aussi en bonne santé ». Sans compter que certaines entreprises énergivores ne sont pas touchées par la crise car leurs contrats d’énergie les couvrent encore. « Certaines ont même intérêt à arrêter leur production et à revendre leur électricité au prix fort, c’est une situation ubuesque », souligne Raphaëlle Bertholon.

Aides financières

Dans l’ensemble, les prix de l’électricité et du gaz ont cependant fortement augmenté au cours des derniers mois, en raison de la reprise économique post-Covid et de la guerre en Ukraine. Pour certaines entreprises non protégées par le bouclier tarifaire, cela équivaut à une facture multipliée par quatre ou cinq. « Dans le tertiaire, les prix ont bondi de 120 à 1 000 euros le mégawattheure », s’étrangle Laurence Breton-Kueny. Une situation d’autant plus alarmante que le patronat dit avoir peu de marge de manœuvre pour compenser ce manque à gagner. « Il est très compliqué de répercuter cette hausse de l’énergie sur les prix car cela rend les entreprises en question moins concurrentielles », assure la DRH du groupe Afnor. Une étude de la CPME publiée en juillet 2022 indique en effet que 30 % de chefs d’entreprise ont refusé de reporter la hausse de leur facture énergétique sur le prix de vente de leurs produits, de peur de contrarier leurs clients. Certains dirigeants ont par ailleurs été contraints de mettre leurs salariés au chômage partiel pour encaisser le choc économique, détaille la vice-patronne de l’ANDRH. Une initiative cependant couverte par l’État.

Depuis le début de la crise énergétique, le Gouvernement multiplie en effet les aides financières à destination des entreprises pour faire face à la flambée des prix. En juillet, près de 3 milliards d’euros ont ainsi été débloqués pour aider les structures particulièrement énergivores à régler leur facture énergétique. Le 27 octobre, l’exécutif a par ailleurs annoncé un « amortisseur électricité », soit un dispositif d’aide pour les TPE et PME écartées du bouclier tarifaire. Jusqu’à 120 euros par mégawattheure pourront être pris en charge par l’État, a ainsi annoncé le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire. Mais pour la CPME, ces annonces gouvernementales sont encore trop floues. « Certes, sur le principe, il a été réaffirmé l’idée d’une forme de garantie prix pour les entreprises, mais on manque encore cruellement de détails pour les petites entreprises », avertit Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CPME. Près de 150 000 d’entre elles sont en danger de mort à cause du prix de l’énergie, ajoute-t-il.

Dégradation des relations sociales

Dans ces conditions, comment répondre aux demandes de revalorisations salariales ? La mission paraît extrêmement délicate et plonge de nombreux DRH dans l’angoisse. Une étude de OpinionWay publiée le 25 octobre montre que 30 % des DRH redoutent les fameuses négociations annuelles obligatoires. Près d’un tiers estime en effet que les salariés ont des demandes excessives et 15 % les trouvent même agressifs. Afin d’échapper à une confrontation jugée pénible, ils sont 13 % à déléguer cette mission à des subordonnés. La plupart sont d’ailleurs plutôt pessimistes quant à l’avenir puisque 39 % anticipent une dégradation des relations sociales en raison de l’inflation.

Chez Coca-Cola France, les négociations annuelles obligatoires, avancées de plusieurs mois en raison du climat social, sont tendues. Courant octobre, la direction a proposé une augmentation générale de 3,5 % à l’horizon 2023. « C’est inaudible quand, dans le même temps, les dirigeants se présentent aux actionnaires pour leur annoncer que les résultats de l’entreprise sont excellents », souligne Cyril Herbin, délégué syndical central FO au sein du géant américain des boissons. Au lendemain de l’annonce, les salariés des usines ont débrayé pendant 24 heures. Aujourd’hui, ils sont dans l’attente de nouvelles propositions. « Pour l’instant, la direction insiste surtout sur l’intéressement et la participation, mais ce n’est pas ça qui fait vivre, contrairement aux salaires. Par ailleurs, cela ne donne aucun droit à la retraite », insiste le syndicaliste.

Au sein du groupe automobile Stellantis, l’ambiance n’est pas non plus au beau fixe. Fin septembre, l’annonce du versement d’une prime individuelle de 1 000 euros sans toutefois augmenter les salaires de façon pérenne a mis le feu aux poudres. À l’appel de plusieurs syndicats, 400 salariés de l’usine de Rennes ont débrayé pendant deux jours. En février dernier, l’entreprise avait décidé d’augmenter les salaires de 2,8 % en plus d’une prime d’intéressement de 4 000 euros bruts. Au regard de l’inflation, les syndicats estiment cependant que le compte n’y est plus. Consciente du problème, la direction a réagi en avançant les négociations annuelles salariales au 1er décembre au lieu de février. Une décision qui ne satisfait pas la CGT. « Ils ont déjà décidé qu’il n’y aurait pas d’augmentation supplémentaire d’ici la fin de l’année. Alors que l’entreprise a réalisé une hausse 29 % de son chiffre d’affaires au 3e trimestre 2022 et que son dirigeant [Carlos Tavares, NDLR] gagne 52 000 euros par jour », dénonce Jérôme Boussard, secrétaire général CGT sur le site de Stellantis de Sochaux.

Dans les entreprises françaises, la question de la répartition des richesses entre actionnaires et employés est loin d’être réglée. « Le thème du partage de la valeur est un point essentiel de la NAO, mais les chiffres montrent qu’il n’est abordé que dans un tiers des négociations », regrette Raphaëlle Bertholon. D’après une enquête de la CPME, la majorité des employeurs (70 %) n’est pas favorable à la mise en place d’un dividende salarié, qui prévoit un mécanisme obligatoire de partage de la valeur, quelle que soit la taille de l’entreprise (voir encadré page 41).

Dans le secteur de la verrerie, particulièrement gourmand en énergie, les négociations annuelles obligatoires promettent également d’être âpres. Plusieurs entreprises comme Duralex ou Arc, asphyxiées par le coût du gaz et de l’électricité, ont été contraintes de réduire drastiquement leurs activités. Chez Arc, 34 % des 4 600 salariés ont été placés au chômage partiel à raison de deux jours par semaine jusqu’en décembre, pour un salaire amputé de 15 %. Les usines de Duralex ont quant à elles ont été mises totalement à l’arrêt jusqu’à mars 2023 et l’ensemble des 250 salariés de l’entreprise placés au chômage partiel. Pour la CGT, tout est de la faute des employeurs qui n’ont pas su investir en amont dans les énergies renouvelables et les réseaux de chaleur. « Or, les salariés n’ont pas à assumer le coût de mauvais choix énergétiques et stratégiques », écrivait Philippe Thibaudet, secrétaire CGT de la fédération verre et céramique, dans un communiqué de presse daté de septembre. D’après une étude de la CPME, l’abandon des énergies fossiles n’est cependant pas envisageable pour 88 % des dirigeants, soit en raison d’une absence d’alternative, soit car ces alternatives demeurent trop chères. Des arguments qui risquent de ne pas convaincre les syndicats à l’heure des prochaines NAO.

Auteur

  • Lou-Eve Popper