logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

[NAO] « La rémunération, ce n’est pas que le fixe… »

Dossier | publié le : 01.12.2022 | Benjamin d’Alguerre

Image

« La rémunération, ce n’est pas que le fixe… »

Crédit photo

Prime de partage de la valeur, intéressement, participation, épargne salariale, hausse du montant du titre-restaurant, amélioration du confort de vie au travail ou politiques RSE favorables… en cette période économique troublée, les entreprises brainstorment pour gratifier les salariés en évitant de trop toucher aux grilles salariales.

C’est plutôt un bon démarrage pour la nouvelle prime de partage de la valeur. Entre août et novembre 2022, quelque 730 000 enveloppes ont été distribuées à son titre par les employeurs à leurs salariés. Un satisfecit pour le Gouvernement qui a choisi, en juillet dernier, de remplacer la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa) de 2019 par ce nouvel objet de gratification défiscalisé et exempt de cotisations sociales pouvant atteindre les 3 000 euros, voire 6 000 en cas de signature d’un accord d’intéressement. Pour l’instant, cependant, on est loin d’atteindre ces plafonds. À l’exception de quelques pointes à 1 500, voire 2 000 euros, l’enveloppe moyenne tourne autour des 710 euros. Quelques crans au-dessus de la médiane de l’ancienne Pepa, qui se situait à 500 euros.

Le nouvel outil semble faire son trou dans les entreprises. Selon l’étude flash sur les rémunérations dévoilée en octobre dernier par le cabinet Deloitte, la moitié des dirigeants d’entreprise déclarent vouloir verser une PPV à leurs salariés en 2023. Dans le cadre d’initiatives unilatérales, du moins, car la prime de partage de la valeur n’est pas (encore ?) devenue l’objet de dialogue social espéré. « La prime est instaurée depuis juillet dernier et, fin octobre, on ne recensait que deux cents accords spécifiques à la PPV », observe Antoine Rémond, du centre études & data du Groupe Alpha. Et, à en croire le recensement de la base de données des accords Légifrance, elle n’apparaissait, au milieu d’autres dispositifs en faveur du pouvoir d’achat, que dans cinq cents accords environ. Loin des deux mille huit cents textes sur la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat qui avaient été négociés en seulement quatre mois, entre décembre 2018 et mars 2019.

Effet TotalEnergies

Dans une période d’inflation qui crève le plafond et qui voit les entreprises – notamment industrielles – lourdement plombées par une augmentation des tarifs de l’énergie et des matières premières, la PPV pourrait-elle devenir le dispositif surprise des NAO 2023 ? Celui dont les entreprises pourraient se saisir pour redonner du pouvoir d’achat sans trop toucher aux salaires, pour éviter d’abîmer la trésorerie en prévision d’une année à venir incertaine ? « C’est une possibilité. Les entreprises ont tout intérêt à mélanger les outils dont elles disposent pour augmenter les rémunérations », analyse Fabien Lucron, directeur du développement au sein du cabinet d’expertise en rémunération variable Primeum « D’ailleurs, la PPV, conçue à l’origine comme un moyen de mieux répartir la valeur, est en train de se transformer en une sorte de bouclier anti-inflation. » Autre vertu potentielle de la prime : calmer la grogne sociale qui agite certains secteurs. Si les blocages des raffineries ont trusté le paysage médiatique de cette fin d’année, la question du pouvoir d’achat taraude les syndicats un peu partout, bien au-delà du seul domaine pétrochimique. Chez Nestlé, Evian, Stellantis, Renault, Lactalis, les Maisons de Champagne… les salariés sont chauffés à blanc. À en croire les recensements de la CGT, le seul secteur agroalimentaire aurait suscité près de deux cents appels à la grève ou à la mobilisation ! Et même si les directions semblent vouloir se montrer plus prodigues que l’an passé (avec des augmentations de salaires qui devraient tutoyer les 3,5, voire 4 % en moyenne), le succès des raffineurs dans leur bras de fer contre leurs dirigeants fait des émules. « Il y a indéniablement un « effet TotalEnergies dans ces NAO 2023. Les CSE peuvent se montrer plus vindicatifs qu’à l’ordinaire », admet Cyrille Bellanger, responsable rémunérations chez Mercer France.

Le contexte incite donc les entreprises à faire feu de tout bois et à optimiser leur politique NAO en mettant en place des « packages de rémunérations ». « Les DRH vont devoir jouer les équilibristes en arbitrant entre les différents dispositifs existants, en étant de toute façon conscients qu’ils ne pourront pas contenter tout le monde », soupire Cyril Brégou, associé gérant du cabinet de conseil en politique salariale People Base CBM. Augmentation des salaires, intéressement, participation, primes, hausse du variable, possibilité de retirer son épargne salariale comme le Gouvernement le permet exceptionnellement – jusqu’à 10 000 euros – jusqu’à la fin de l’année… Le champ des possibles est largement ouvert. Le rapport d’octobre 2022 de l’Association française de gestion (AFG) montre d’ailleurs une nette hausse des dispositifs de partage de la valeur dans les entreprises. L’intéressement grimpe de 23,6 %. La participation de 34,7 %. Les plans d’épargne salariale de 19 % et même de 6,1 % dans les PME de moins de 50 salariés. Plus près du quotidien immédiat des salariés, 30 % des entreprises sondées par Deloitte imaginent une hausse du montant des titres-restaurants et 27 % l’instauration de forfaits de mobilité durable. « En ce moment, la notion de « total reward » prend tout son sens. Les employeurs se souviennent que la rémunération, ce n’est pas que le fixe », souligne Fabien Lucron. « La monétisation des RTT ou des jours de CET pourrait être plus mobilisée et notamment avec abondement. Lorsque c’est possible, autant agir maintenant pour soutenir le pouvoir d’achat des salariés, que d’endurer l’augmentation de leurs provisions plus tard », abonde Marie Bouny, codirectrice de la stratégie et de la performance sociale chez LHH. Renault a déjà opté pour ce genre de panachage de dispositifs. Au-delà des augmentations et des primes, son accord « partage de la valeur » prévoit une monétisation des RTT jusqu’à trois jours, la mise en place d’une prime transport de 100 euros et même un nouveau type d’autorisation d’absence.

Cette politique de package se heurte cependant parfois à la raideur des syndicats pour qui l’augmentation de salaire demeure la pierre angulaire des NAO. « Quand un salarié sollicite un emprunt, son banquier tient compte de ses fiches de paie. Pas de la promesse d’une prime en fin d’année dont il ne connaît pas le montant ! », tempête Frédéric Souillot, le nouveau patron de FO. À la CFDT aussi, on se méfie du miroir aux alouettes. « L’épargne salariale a ses limites. Quand Dexia a coulé, les salariés ont tout perdu. Leur emploi et leur épargne salariale », rappelle Luc Mathieu, secrétaire confédéral en charge des salaires au sein de la centrale.

Perspective RSE

Même au plus haut niveau de l’État, on encourage les employeurs à se montrer généreux. « Les entreprises doivent faire le nécessaire, quand elles le peuvent, pour accompagner leurs salariés face à l’inflation », confiait mi-novembre Olivier Dussopt. Mais lorsqu’ils ne le peuvent pas, ou pas assez, faute de cash, les patrons peuvent aussi miser sur l’amélioration du confort de leurs salariés. Olivier Kuhn, expert CSE chez Sextant confirme : « Les NAO portent sur les salaires, le partage de la valeur, mais aussi les conditions de travail. » Sauf qu’en la matière, la Covid est déjà passée par là. Et le télétravail, qui pouvait constituer une gratification, s’est largement installé. Le partage de la valeur doit-il obligatoirement se compter en espèces sonnantes et trébuchantes ? À la CFDT, on considère qu’il passe aussi par davantage de présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration et les instances décisionnaires. Ou par davantage d’investissement de l’entreprise dans ses politiques sociétales ou environnementales. « C’est la grande tendance », assure Cyrille Bellanger. On voit de plus en plus d’entreprises corréler leurs politiques d’intéressement, par exemple, à la limitation de l’empreinte carbone, à la sobriété énergétique ou à la lutte antigaspillage. Les salariés en sont très demandeurs. Ce genre de dispositions, qui existaient jusqu’alors pour les hauts cadres se répandent dans les échelons inférieurs. » Un bon accord RSE remplacera-t-il les augmentations de salaires ? Sans doute pas demain. Mais après-demain ?

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre