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Les Opco, chefs d’orchestre de la transition environnementale

Décodages | Formation | publié le : 01.12.2022 | Dominique Perez

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Les Opco, chefs d’orchestre de la transition environnementale

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La loi climat et résilience de 2021 a confié aux opérateurs de compétences – jusqu’alors banquiers des politiques d’alternance et des plans de formation des entreprises de moins de 50 salariés – la mission de plancher sur la formation à la transition écologique pour leurs entreprises adhérentes. Comment s’en sortent-ils ? Enquête.

Si la question de la transition écologique n’est pas véritablement nouvelle, particulièrement dans des secteurs comme le transport, le bâtiment où l’industrie, un fort coup d’accélérateur est exigé par des législations européennes et françaises de plus en plus engageantes. Ajoutant des modules et des nouveaux programmes à leurs programmes, les établissements et organismes de formation s’adaptent. Mais l’offre et les besoins d’évolution des compétences sont-ils suffisamment appréhendés par les entreprises ? La réponse est non pour le Gouvernement, qui a confié aux Opérateurs de compétences (Opco), dans le cadre de la loi climat et résilience du 21 août 2021, une mission spécifique sur le sujet. « La plupart des instances dirigeantes des Opco sont conscientes des enjeux de la transition écologique pour leurs adhérents, constate France Stratégie dans un rapport1. Cela se traduit par le déploiement d’une offre de services intégrant ces enjeux (études d’impact, actions effectives de sensibilisation et d’accompagnement, etc.). […] Pour autant, la mobilisation est à ce stade encore limitée : une mission dont le contenu reste flou ; un temps d’action long et incompressible ; un manque de moyens humains et financiers ; un manque de maturité sur ce que sont les compétences de la transition écologique ; des difficultés à toucher les petites et moyennes entreprises. » Chargés « d’informer les entreprises sur les enjeux liés au développement durable et de les accompagner dans leurs projets d’adaptation à la transition écologique, notamment par l’analyse et la définition de leurs besoins en compétences », tous les opérateurs, impliqués de manière inégale jusqu’alors dans cette problématique, sont incités à se mettre en ordre de marche. La prise de conscience est là. « Le domaine des transports au sens large, représente 31 % des émissions de gaz à effet de serre, constate par exemple Patrice Omnes, directeur général de l’Opco Mobilités. Évidemment, notre volonté d’agir est forte. » De même pour le secteur du BTP, « qui représente à lui seul plus de 40 % des consommations d’énergie, et 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, 13 % des logements sont des passoires thermiques. Le chantier pour atteindre la sobriété énergétique des bâtiments est énorme », pointe Hervé Dagand, responsable des études et de l’observatoire de Constructys, l’opérateur de compétences du bâtiment.

Peu de nouveaux métiers, mais des évolutions impactantes.

Révolution ou évolution ? Pour le moment, le marché de la formation ne semble pas bouleversé de fond en comble par l’apparition soudaine de métiers qui seraient totalement nouveaux. Dans le BTP, l’actualité est plutôt à l’acquisition de compétences complémentaires pour mettre les entreprises en conformité avec des réglementations qui évoluent et dont les incidences sont fortes sur les marchés à capter ou à conserver.

Exemple : « Un des dispositifs de formation, intitulé Feebat, qui propose des modules sur la rénovation énergétique des bâtiments, existe depuis 2007 et poursuit sa montée en puissance. 4 300 salariés l’ont suivi en 2021 », explique Hervé Dagand. Un module de formation est particulièrement populaire : celui qui permet aux entreprises de recevoir le label RGE (Reconnu garant de l’environnement), qui permet aux particuliers de bénéficier d’aides de l’État pour leurs travaux de rénovation énergétique. Un autre module en progression, suivi par 1 000 salariés en 2021, porte sur l’installation et la maintenance des pompes à chaleur. Du côté de l’industrie, l’offre de formation évolue également majoritairement en s’adaptant par des spécialisations et des qualifications complémentaires « pour des métiers qui peuvent sembler nouveaux mais qui, dans les faits, existent déjà dans notre secteur », détaille Fabien Boisbras, responsable de l’observatoire de l’Opco2i, l’opérateur de compétences de l’industrie. C’est d’ailleurs l’une des conclusions de l’étude relative à l’impact de la transition écologique sur les métiers et les compétences de l’industrie que l’opérateur de compétences a menée auprès de ses trente-deux branches adhérentes. Publiée en octobre 2022, l’enquête recommande de procéder à une meilleure répartition de l’offre de formation sur les territoires et de l’adapter aux enjeux environnementaux. Illustration : dans la branche de la métallurgie, les métiers de production – conduite d’équipement, chaudronnerie, ajustage-montage, soudage, conduite de traitements de surface… – seront amenés à évoluer rapidement pour devenir plus écolo-compatibles. « Les métiers amenés à évoluer à court terme sont ceux des achats, de l’ingénierie et de la R&D en lien, essentiellement, avec les filières alternatives d’approvisionnement, les évolutions réglementaires et la nécessité de renforcer les compétences sur l’analyse du cycle de vie et l’écoconception », précise Fabien Boisbas.

Automobile et transport : une transition complexe.

Anticiper, mais pas trop vite… Un oxymore qui caractérise assez bien le tournant actuel auquel sont confrontées les entreprises de la filière automobile et des transports. Répondre à l’injonction d’abandonner la commercialisation de véhicules à moteurs thermiques à l’horizon 2035 place le secteur dans une situation complexe. « 99 % du parc roulant aujourd’hui est thermique, avec une ancienneté moyenne de plus de dix ans, explique Patrice Omnes. Entre l’émergence des véhicules électriques, hybrides, voire à hydrogène demain, et la réalité du parc à entretenir, qui demande toujours des compétences en maintenance « classique », nous allons avoir à gérer une offre à double détente. Avec, de plus, une tendance en hausse, le « rétrofit », c’est-à-dire la transformation de véhicules à moteur thermiques en véhicules électriques, pour les voitures et deux-roues. Les salariés vont devoir maîtriser deux technologies. » Et pour adapter les compétences à cette réalité prochaine, il va falloir sortir le chéquier : « Nous avons un plan d’investissement en formation de 23 millions d’euros, dont environ 10 millions par an pour les CFA du secteur, et trois millions environ sur la formation continue en co-investissement. Le reste étant à la charge des organismes ou de leurs partenaires, comme les régions ou les collectivités territoriales. » Côté industrie, la fin programmée du moteur thermique pose évidemment des questions cruciales, auxquelles les grands constructeurs doivent s’atteler. Dernière initiative : l’association Auto Ade-re, créée par Renault et Adecco, dédiée à l’accompagnement des évolutions de l’emploi. « La bascule entre le thermique et l’électrique va prendre du temps… Et nous avons ce temps ! estime Aurélie Feld, présidente de LHH France et membre du conseil d’administration de l’association. L’objectif ultime est de maintenir un niveau d’emploi élevé en proposant des missions d’accompagnement à destination des fournisseurs de Renault, en fonction de leur degré d’exposition aux changements. Les premiers impactés étant ceux qui vont devoir revoir leur modèle économique pour continuer à exister dans la filière. » Avec Stellantis, LHH accompagne également des parcours de reconversion de techniciens et d’opérateurs dans les Hauts-de-France pour l’usine ACC de Douvrin, site de production de cellules et modules de batteries pour les véhicules électriques. « Aucun titre n’existe pour le moment sur l’étagère qui permet de certifier ce type de reconversion, constate Aurélie Feld. Un travail d’analyse des habiletés et des compétences nécessaires et la construction de parcours de formation modulaire est en cours « pour produire un titre RNCP » ad hoc, « qui sera transposable chez d’autres constructeurs. »

Des plans d’action à peaufiner.

Au-delà de la phase de diagnostic sur l’évolution des compétences et l’offre de formation existante, qui est en cours pour la plupart des Opco, le travail de sensibilisation et d’information vis-à-vis des entreprises sera à mener par des opérateurs qui devront eux-mêmes professionnaliser leurs conseillers sur la question de la transition écologique. « Nous devons accompagner les entreprises sur la manière dont ces évolutions doivent se traduire dans les politiques RH, car ces dernières ont tendance à les envisager sur un angle technologique, de production, de nouveaux matériaux… Et pas suffisamment sur ce que cette transition implique en matière de ressources humaines, estime Hervé Dagand. Le travail de l’Opco s’oriente vers la mise au point de diagnostics et d’appuis, de conseils en ressources humaines spécifiques. »

Un chantier à mener plus spécifiquement auprès des TPE et PME, et y compris pour l’industrie, selon Fabien Boisras. « Les grandes et les moyennes entreprises sont celles qui, aujourd’hui, anticipent le mieux les besoins croissants d’évolution de compétences liés à ce sujet de la transition écologique. Les entreprises industrielles de moins de 50 salariés sont notre cible principale. »

Une majorité des entreprises anticipent en effet que les besoins de formation sont en hausse, mais elles « identifient peu la nature exacte de ces besoins », est-il constaté notamment dans l’étude de l’Opco2i Un travail de longue haleine des branches qui doivent se muscler face à ces enjeux…

Formation à l’éolien : le cas Vestas

« La croissance de l’éolien est très forte, avec 12,8 % de croissance en 2021, par exemple, par rapport à 2020, et 25 500 emplois. La filière est neuve, et comprend une grande diversité d’emplois, avec une forte demande, notamment en opérateurs et techniciens d’installation et de maintenance », estime Rachel Ruamps, chargée de mission économie et énergie à France Énergie Éolienne. Si des formations spécialisées, notamment un BTS maintenance des systèmes option technicien en systèmes éoliens, existent, elles ne suffisent pas à combler tous les besoins du marché français, notamment pour Vestas, entreprise danoise fabricante d’éoliennes implantée en France. « 70 % de nos éoliennes sont réparties dans un très gros quart nord-est de la France, dans des endroits éloignés des métropoles », explique Laure de Romanet, responsale des ressources humaines. Recruter sur place des opérateurs et techniciens déjà formés relève, pour l’entreprise, de la gageure. « Nous recherchions d’abord des compétences humaines, des soft skills, explique la RH. Comme la capacité de travailler en autonomie, de collaborer, de prendre des initiatives… » Pour recruter les profils dont elle a besoin, l’entreprise a donc décidé de créer, avec Adecco, un parcours de formation en un an pour des candidats aux profils très divers, sans critère d’âge, et de leur apporter les compétences nécessaires. « Nous demandons tout de même un « vernis technique » minimum, précise Laure de Romanet. Par exemple, nous avons recruté un boulanger qui s’était initié à la mécanique avec son oncle garagiste, ou des personnes qui ont mené des chantiers d’électricité… » Organisée en alternance sous contrat de professionnalisation intérimaire, la formation s’est déroulée pour 30 % du temps dans le centre de formation de l’entreprise à Reims, « et pour 70 % sur le terrain, dans leurs régions, où ils seront amenés à être embauchés ». La première session, sortie en octobre 2022, a été une réussite : huit stagiaires sur les neuf personnes formées ont signé un CDI. Sous contrat de professionnalisation intérimaire, l’opération est menée avec Adecco Group. La formation devrait déboucher, à terme, sur une certification reconnue. « Un travail est engagé dans ce sens avec un Greta », précise Laure de Romanet.

(1) Les opérateurs de compétences au défi de la transition écologique, 1er juillet 2022

Auteur

  • Dominique Perez