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Réforme de la VAE : les aidants comme nouveau public ?

À la une | publié le : 01.12.2022 | Murielle Wolski

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Réforme de la VAE : les aidants comme nouveau public ?

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Pour ses 20 ans, la validation des acquis de l’expérience (VAE) se voit offrir un lifting. Impulsée par Elisabeth Borne, encore ministre du Travail, cette refonte a été adoptée mi-novembre, par le Parlement, avec la volonté d’en élargir le public visé. Les aidants en font partie. Focus sur une réforme non sans rebondissements.

« Réforme de la VAE pour les aidants », ce titre agace Olivier Gérard, à la manœuvre pour rénover la validation des acquis de l’expérience (VAE) auprès d’Élisabeth Borne. Créé en 2002 via la loi de modernisation sociale, le dispositif est à la peine1. Seulement 30 000 candidats se lancent chaque année pour décrocher la reconnaissance de leurs expériences professionnelles en vue d’obtenir tout ou partie d’un diplôme ou d’une certification. 60 % abandonnent sitôt les renseignements pris. 30 % en cours de démarche. Bien peu vont au bout. Ce qui irrite Olivier Gérard, chef de projet REVA – pour « reconnaître et valider les acquis », un programme expérimental de la VAE – donc ? Le fait de voir réduite la portée de cette réforme. « Cela me désole de ne voir retenu que le public des aidants dans les articles de presse qui en parlent. Les syndicats n’ont pas lu le texte non plus. Ce qui est sorti manquait de nuances. » Alors, où en est-on ?

Adoption facile

Vote solennel le 15 novembre par l’Assemblée nationale. Vote tout aussi solennel sur le même texte, 48 heures plus tard, par le Sénat. Le tout sans débat. Les mesures d’urgence pour lutter contre le chômage ont été négociées en coulisses, dont l’article 4 consacré à la VAE. L’idée générale : « Élargir le public, peu importe leurs situations de départ, détaille Olivier Gérard. Intégrer tous ceux qui en étaient exclus jusque-là, les bénévoles, les aidants familiaux… Mais, on a aussi les mêmes sujets avec les détenus. Pourquoi ne pas valoriser leurs expériences professionnelles acquises en prison ? Aujourd’hui, les bénéficiaires de la VAE sont salariés à 80 % et demandeurs d’emploi à 20 %. Les bénévoles représentent moins de 1 % » La rédaction des décrets d’application commence dans la foulée, et va s’étaler jusqu’à la fin 2023, pour une entrée en vigueur de la VAE nouvelle manière à compter du 1er janvier 2024. L’objectif de ce texte consensuel donc est de répondre à des secteurs en panne, faute de candidats, avec – pourtant – un chômage à 7,3 % de la population active. Ou comment faciliter les passages d’une situation à une autre, d’un secteur à un autre, sans aucune restriction, avec un process administratif allégé, et des réponses plus rapides. La mutation de la VAE en un système universel, sans distinction de statut. C’est clair. C’est net. C’est bâché… A priori.

D’ici-là – d’ici 2024 – la politique des petits pas a été enclenchée. « En avance de phase », pour reprendre l’expression d’Olivier Gérard. En 2022 – et ce sera le cas encore en 2023 –, des expérimentations sont menées sur le territoire. Un test grandeur nature a été réalisé, en Île-de-France, dans les Hauts-de-France, en Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. La population cible ? Ou le point départ ? Les aidants. Et le pays en compte entre 8 et 11 millions. Certains ignorent l’être. 500 000 sont âgés entre 18 et 24 ans. Le point d’arrivée ? Les métiers des soins à la personne, de la petite enfance… bref, vers le secteur sanitaire et médico-social.

« D’ici 2030, le secteur va devoir attirer 800 000 professionnels supplémentaires, souligne Nadège Turco, directrice déléguée d’Iperia, plateforme de professionnalisation et formation d’assistants maternels, de gardes d’enfants, d’employés familiaux… Mais, ces besoins existent aujourd’hui. Ils existaient déjà hier. On ne va pas se leurrer : certains ne viendront jamais. » Et ce en dépit des résultats affichés par les ministères concernés : une enveloppe de 15 millions d’euros débloquée, et 3 500 parcours suivis. 86 % ont obtenu une validation totale ou partielle de la certification visée, dont 62 % en totalité, sur une durée moyenne de 4 mois contre 16 mois en moyenne.

Fidèle à cette tradition familiale d’accompagner les anciens, Alberto Mendes a lâché son emploi dans la logistique pour veiller sur la fin de vie de ses parents. Son père vient tout juste de décéder. Valider les compétences acquises pour en faire son futur métier ? « Pas à 60 ans, répond-il sans détour. Outre l’âge, la rémunération ne pousserait pas à le faire. » La VAE ne fait pas tout. Un autre point d’achoppement ? « Il y a comme une injonction à aller dans le secteur du soin, à rester dans ce métier, déplore Marina Al Rubaee, cofondatrice Des Aidantes & Co, et par ailleurs auteure – avec Caroline Facy et Jean Ruch –, de « Les Proches aidants pour les nuls » chez First Éditions (25 000 exemplaires vendus). J’aspire à autre chose. Je suis bien plus que ça. Et l’approche est biaisée. Les profils des aidants vont de bac – 5 à bac + 12. Quelle hypocrisie dans tout ça. Une idée qui émane de bureaucrates, s’énerve Marina Al Rubaee, sans avoir relevé les besoins du terrain. L’aidé meurt avant l’aidant. De quelle aide financière je peux bénéficier ? De quel soutien psychologique ? De quel répit ? Comment adapter le logement de l’aidé ? On balade les aidants. Qu’est-ce qui fait que l’on n’en parle pas ? Comme si tout était lisse… Une vraie hypocrisie sociétale. On pourrait réagir en prévention plutôt qu’en réaction. »

Catherine prend soin de ses deux fils, qui souffrent de handicaps invisibles. « La VAE, pourquoi pas ? Mais, un gros travail reste à faire dans l’accompagnement des aidants. Beaucoup d’entreprises affirment sur leur site prendre en compte la place des aidants… Une fois dans l’entreprise, la chanson est différente. Un peu à la manière du greenwashing ! LA VAE ? Une goutte d’eau. Un aidant est capable de faire 1 000 choses à la fois, avec endurance. Je ne sais pas quel sera mon métier de demain… » Une des manières de valoriser ce temps-là d’aidant ? Devenir care manager. Un métier repéré par Muriel de Véricourt, fondatrice de Bulle d’aide, média à destination des aidants familiaux. Un emploi de coordination pour épauler les aidants, justement.

« Ni bonne ni mauvaise, cette réforme dans les tuyaux, synthétise Jean-François Foucart, secrétaire national de la CFC-CGE en charge du secteur emploi, formation, digitalisation et égalité professionnelle,. Mais, ils partent du principe que les aidants vont aller forcément dans ce métier. Et puis, mieux vaut être jeune pour exercer ces métiers, pour manipuler un corps lourd, sans dynamique, qui a tout du poids mort. Autant de professions très sollicitantes. Manifestement, le ministère a vu un filon. Est-ce qu’il va y avoir une vague ? Il n’y a pas de révolution à en attendre. Et puis, la VAE ? Toute le monde s’en fout. La VAE pour les aidants ? Ce sont les miettes du gâteau. »

Imbroglio dans la communication

« On a une idée générale du process, mais cela manque de précisions, souligne Maty Mboup, responsable ressources humaines de l’Apef, groupe de services à la personne. On navigue à vue. On tâtillonne. Même si cette refonte paraît apporter une réelle plus-value à moyen et long termes dans notre politique de recrutement. » L’Apef, c’est 2 000 recrutements en cours, dont 30 % à 40 % pour des postes auprès de personnes en situation fragile. Les besoins sont colossaux. Cofondateur et animateur du Cercle Vulnérabilités &Sociétés, un think-tank dédié, Thierry Calvat dénonce « une vision utilitariste. La capacité à s’organiser, à gérer des situations complexes, à la prise de recul… sont autant de compétences à faire valoir dans n’importe quel secteur. Cette tactique vise à cornériser les aidants. »

Les entreprises en perdent leur boussole. Les associations ne sont pas enthousiastes. Les experts s’inquiètent. Onze mois d’informations diffusées sur la VAE des aidants qui serait fléchée. Et au final, rien de tout cela ne se retrouverait dans le texte ? « Le projet de loi initial, qui prévoyait de valoriser l’expérience des proches aidants et de simplifier certaines procédures, a été enrichi par le gouvernement et le Sénat pour rendre la VAE plus accessible et renforcer l’accompagnement des candidats », peut-on lire sur le site de l’Assemblée nationale, mi-novembre. Il y a de quoi y perdre son latin. « On a testé avant de généraliser, s’agace Olivier Gérard. Au lieu de s’énerver, les associations devraient dire merci. Une réunion a eu lieu, avec une quarantaine d’entre elles. Pas une question. Elles ne sont pas au fait du processus législatif. Il y a un projet de texte, puis le texte. Il y a du temps parlementaire. Les aidants vont tomber dans le droit commun, après les tests sur les modalités. Sans distinction de statut. Si le gouvernement a mal communiqué ? Ce n’est pas à moi de le dire. » Les associations s’en chargent.

Coup de grâce ?

Une véritable révolution ? Pas sûr du tout, si l’on en croit David Rivoire. Celui qui dirige un cabinet spécialisé connaît bien la mécanique de la VAE. En 2020, il a signé avec Claire Khecha et Yanic Soubien un rapport sur le sujet. Pas moins de cent auditions avaient alors été conduites. « L’expérience peut s’acquérir par tous les moyens, précise David Rivoire, et pas uniquement par le contrat de travail. C’était déjà l’esprit de la loi de 2002. Le « E » de VAE n’a jamais été conditionné au contrat de travail. Le déclaratif prévalait. Rien pour comptabiliser les heures. Toute expérience de vie était déjà perçue comme valorisable. La mesure des acquis n’était pas égale au temps travaillé, que l’on retrouve sur une feuille de paie. Mais, la gestion administrative a rétréci la loi. Ainsi, les aidants ont-ils été exclus du dispositif pendant vingt ans. »

(1) Voir notre dossier sur la VAE dans le numéro 232 de « Liaisons Sociales Magazine »

Auteur

  • Murielle Wolski