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[DOSSIER] Profession : Proche aidant

À la une | publié le : 01.12.2022 | Irène Lopez

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Profession : Proche aidant

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Si la problématique des aidants monte dans la société, le sujet est encore considéré comme un signal faible quand il n’est pas tabou dans l’entreprise. Il y a pourtant urgence à changer les mentalités : un actif sur quatre sera proche aidant en 2030. Aujourd’hui, quel est leur statut ? Comment les entreprises peuvent-elles mieux aider les salariés aidants ?

L’article 51 de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement est précis. Le salarié proche aidant est une personne qui exerce une activité salariée et qui « vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne d’une personne en perte d’autonomie, du fait de l’âge, de la maladie ou d’un handicap ». Les proches aidants (non professionnels) d’une personne âgée, en situation de handicap ou atteinte d’une maladie chronique, sont 8 à 11 millions en France. 61 % d’entre elles et d’entre eux travaillent. Aujourd’hui, les proches aidants représentent 15 % de la population active, selon les données de l’Insee. Et un actif sur quatre sera proche aidant en 2030.

Seul un salarié aidant sur quatre a informé son employeur

À l’occasion de la Journée nationale des aidants du 6 octobre 2022, l’Observatoire de l’Ocirp (union d’organismes de prévoyance régie par le Code de la sécurité sociale) a publié sa seconde étude, centrée sur le rôle de l’entreprise dans le soutien aux salariés aidants, en partenariat avec l’ANDRH et l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Leur principale difficulté est l’identification des salariés proches aidants dans l’entreprise. Seul un salarié aidant sur quatre a informé son employeur de sa situation. Un chiffre stable par rapport à 2021. 42 % n’ont pas informé leur employeur et ne souhaitent pas le faire. « Ça ne changerait rien », « écoute insuffisante », « le leitmotiv de l’entreprise est le rendement », « ce n’est pas le rôle de l’entreprise » ou encore « c’est ma vie privée », expliquent les concernés.

Ce dernier argument n’est plus valable. Comme l’a montré la plateforme RSE de France Stratégie dans son avis de février 2022, « l’engagement auprès des salariés aidants est un enjeu de RSE », « à la croisée de multiples thématiques déjà inscrites dans les outils de la RSE et dans les thèmes de négociation obligatoire : l’égalité femmes-hommes, la non-discrimination, le handicap, la QVT, le bien-être au travail et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ». « Cette inscription du soutien aux salariés aidants parmi les critères de la RSE a le mérite de poser le sujet dans l’entreprise et de ne plus considérer qu’il relève de la sphère privée », se réjouit Hélène Rossinot, médecin et auteur de deux ouvrages sur la question des proches aidants : « Aidants, ces invisibles » (2019) et « Être présent pour ses parents » (2022) aux éditions de l’Observatoire.

Génération sandwich

Selon l’Observatoire de l’Ocirp, le temps d’aidance par semaine en 2022 s’élève à 10,5 heures (8,3 heures en 2021). Hélène Rossinot ajoute : « Une frange des aidants a d’ailleurs hérité d’un surnom : la génération sandwich. Bien que peu valorisante, cette dénomination a le mérite d’illustrer assez clairement la situation de ces personnes, souvent des femmes, prises entre leurs enfants, leur travail et le soin qu’elles apportent à leurs parents vieillissants. » Le cas de Corinne, 41 ans, assistante administrative est emblématique. Cette mère de deux enfants cumule plusieurs vies en une. Après avoir déposé ses enfants à l’école, elle passe quelques instants au domicile de Marguerite pour vérifier que tout va bien et que ses médicaments ont bien été pris. Elle part ensuite travailler, jusqu’à 18 heures Son mari se charge de récupérer les enfants alors qu’elle retourne chez sa maman pour lui porter quelques courses, l’aider à préparer le dîner. Puis, lorsqu’elle rentre chez elle, épuisée, sa soirée, comme celle de tant de parents, consiste à gérer avec son mari l’enchaînement des devoirs, du bain, du dîner et du coucher. Et cette routine n’inclut pas les urgences, les rendez-vous médicaux, l’aide pour l’administratif dont elle s’occupe en plus de tout le reste.

Marie-Anne Montchamp, directrice générale de l’Ocirp et ancienne secrétaire d’État en charge du dossier du handicap décrit : « L’âge moyen d’entrée dans l’aidance est de 36 ans – contre 39 ans en 2021. Être aidant, cela n’arrive pas qu’aux salariés seniors. Cet âge moyen de 36 ans qui rompt avec l’idée d’un proche aidant plus que quinquagénaire, interpelle les partenaires sociaux. Certains y voient une incitation à mieux informer salariés et managers ; d’autres soulignent plutôt la diversité des situations concrètes se trouvant derrière le mot « proche aidant ». »

58 % des aidants déclarent que leur situation les met en difficulté concernant leur santé physique et morale (plus 10 points par rapport à 2021). Les burnout sont légion, l’équilibre vies professionnelle et personnelle vole bien souvent en éclat. En outre, 39 % des salariés proches aidants pensent que leur situation a été un obstacle dans la progression de leur carrière (+ 4 points depuis 2021) et 41 % des salariés proches aidants (plus 3 points) ont déjà renoncé à une opportunité professionnelle (évolution de carrière, mobilité, évolution de poste). En premier lieu de leurs attentes figure une flexibilité du temps de travail, (aménagement des horaires, congés par intermittence pour gérer un imprévu, solutions de répit pour avoir du temps pour soi). Ils réclament des moyens financiers plus importants et des congés proches aidants mieux rémunérés.

58,59 € pour une journée

En France, « le congé proche aidant », dispositif mis en place par la loi d’adaptation de la société au vieillissement, permet à tout salarié en poste depuis plus d’un an de bénéficier d’un congé sans solde pour prendre soin d’un de ses proches qui présente un handicap ou une perte d’autonomie d’une gravité particulière pour un maximum d’un an (dans toute sa carrière). L’employé est assuré de retrouver son travail à son retour. Ce congé est fractionnable dans une limite de 3 mois renouvelable. Il n’ouvre en principe pas droit à rémunération. Toutefois, pour compenser la perte de salaire, le salarié peut percevoir une allocation journalière du proche aidant (Ajpa). Depuis le 1er janvier 2022, le montant de cette allocation s’élève à 58,59 € : pour une journée et 29,30 € pour une demi-journée.

Hélène Bengorine, DRH de La Mutuelle Générale reconnaît : « Le congé proche aidant a le mérite d’exister mais la rémunération est assez faible. Il faut pouvoir être en mesure de baisser sa rémunération. » De fait, peu de ces congés sont pris en réalité (aucune statistique n’est disponible), car rares sont ceux qui ont les moyens d’arrêter de travailler pour une période aussi longue.

Mais il existe une autre raison. Une étude Ipsos-Macif de 2020, montre que près de 50 % des salariés aidants ignorent leur droit à des congés et aides spécifiques liés à leur situation. Arnaud Trenta, sociologue du travail commente : « En fait, les entreprises n’ont pas encore pris la pleine mesure de la réalité du rôle d’aidant dans notre société. Elles n’ont pas mis en place de dispositif pour sensibiliser et accompagner les salariés concernés. » Dans les faits, lorsque la charge devient trop lourde, 67 % des salariés utilisent leurs congés payés ou leurs RTT afin d’assumer leurs responsabilités d’aidant. « 10 % des aidants familiaux salariés se mettent même en arrêt maladie pour pouvoir aider leur proche », poursuit le sociologue. L’entreprise peut toutefois mettre en place des dispositifs permettant d’amoindrir cette perte de salaire.

Des atouts pour l’entreprise

« Au sein de La Mutuelle Générale, nous mettons en place des dons de jours qui permettent à des salariés en situation d’aidance de bénéficier de jours proposés solidairement par leurs collègues (à défaut de perdre leurs jours de congé ou de RTT, ceux-ci en font don aux salariés aidants). À ce jour, nous avons 90 jours dans le compteur « proches aidants » mis en place en 2021, et environ la moitié a été consommée. Cela permet aux salariés qui bénéficient de ce don de jours d’être beaucoup mieux rémunérés que ce que permet le congé proche aidant », déclare la DRH de La Mutuelle Générale (qui compte une trentaine de salariés aidants sur 1 900 collaborateurs). Et d’ajouter : « nous avons également mis en place le CESU proche aidant au sein de l’entreprise. Financé à hauteur de 50 %, il permet aux salariés qui en ont besoin de financer une prestation pour les aider dans leur situation (un transport pour accompagner le proche à une visite médicale, une aide à domicile…), et de la faire prendre en charge par moitié par l’entreprise. »

Cependant, de nombreuses entreprises restent frileuses à l’idée d’employer des personnes accompagnant un proche. « Combien coûte l’aidance cachée dans mon entreprise ? », « Combien coûteraient à mon entreprise les différents dispositifs de soutien envisageables ? », s’inquiètent les DRH. C’est le grand flou. Ne rien mettre en place est tout aussi problématique. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a publié en 2017 un rapport montrant que le taux d’absences non prévues de cette population est 40 % supérieur à celui des salariés n’ayant pas de personne à charge ; les aidants familiaux représentent près de 24 % du total des arrêts non prévus de courte durée (de trois à cinq jours).

Pour Hélène Rossinot, « l’aidance ne doit pas être abordée en termes de coûts, puisqu’il est par définition difficile d’identifier un coût caché. Il faut l’aborder en termes de QVT ». La médecin, qui donne de nombreuses conférences dans les entreprises pour sensibiliser et former DRH et collaborateurs à la situation des proches aidants, se montre critique sur le bilan de la stratégie « Agir pour les aidants 2020-2022 ». Elle était présente en 2019, aux côtés d’Édouard Philippe (alors Premier ministre) et d’Agnès Buzyn (alors ministre de la Santé), lors du lancement de cette mobilisation pour soutenir les proches aidants. « Les aidants devaient être une priorité du quinquennat. Mais le Covid est passé par là, réduisant l’attention du gouvernement portée aux proches aidants. » Rappelons néanmoins qu’outre la mise en place du congé proche aidant et l’inscription du soutien aux salariés aidants parmi les critères de la RSE, la stratégie a abouti au déploiement de 220 plateformes de répit et le développement de prestations de soutien psychologique ou de relayage à domicile. Cela représente peu d’actions par rapport à la vingtaine de mesures prévues en 2019.

À chaque entreprise, donc, de mettre en place des mesures pour aider les proches aidants car ils sont des atouts pour l’entreprise : à force de coordonner les soins de leur proche, ils savent gérer mieux que quiconque les aspects organisationnels d’une équipe. Ils ont développé des compétences en négociation, ont appris à faire du lobbying et à maîtriser un budget. Hélène Rossinot le martèle : « Soyez fiers de vos salariés aidants ! »

Auteur

  • Irène Lopez