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[DOSSIER] Le difficile retour à l’emploi des proches aidants

À la une | publié le : 01.12.2022 | Dominique Perez

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Le difficile retour à l’emploi des proches aidants

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Peu identifiés dans les entreprises, les proches aidants ne bénéficient pas, ou encore peu, de mesures spécifiques leur permettant de revenir à l’emploi après cette expérience. Maintenir leur employabilité est la priorité numéro un.

Continuer de travailler. C’est le souhait d’une grande majorité de salariés proches aidants. Pour des raisons qui peuvent, certes, être financières, mais également « pour conserver un espace de respiration » commente Hélène de Chanterac, coach, cofondatrice de l’association Nouveau Souffle qui accompagne les proches aidants et des entreprises. Ils sont de moins en moins à quitter leur poste de manière définitive pour soutenir un proche en situation de dépendance. Ce qui signifie jongler avec leurs congés et arrêts de travail, et, pour beaucoup d’entre eux, ne pas même se reconnaître ou se déclarer proche aidant pour ne pas risquer d’être discriminé. Les accompagnements « au long cours », comme ceux d’un enfant malade, se révèlent parfois mal gérés par des entreprises peu prêtes. Sandra Bouira, ex-cadre supérieure dans un grand cabinet d’audit anglo-saxon, en a vécu l’amère expérience. Son fils Kemil déclare, à l’âge de deux mois, une maladie rare, qui nécessite hospitalisation et soins constants. Sandra joue la transparence vis-à-vis de sa hiérarchie, de son équipe, et prend un congé de présence parentale, qui lui permet de se consacrer deux jours par semaine à l’accompagnement de son enfant. Tout en se faisant fort de poursuivre ses objectifs, la jeune cadre se sent pourtant mise à l’écart. « Tout à coup, j’étais considérée comme « l’absente ». Alors que de mon point de vue, dès que j’entrais dans mon bureau, j’étais Sandra, la cadre senior. Pas la maman d’un enfant malade. J’ai tenu ainsi jusqu’à ce que je sois enceinte pour la deuxième fois. Là, l’attitude de mes employeurs s’est encore plus crispée. La seule chose qui les préoccupait était de savoir quand je reviendrai. » Elle craque et signe une rupture conventionnelle, sans perdre l’espoir de retrouver un emploi dans la finance, un domaine qu’elle ne souhaitait pas quitter. « Aujourd’hui, Kemil a 16 ans. Il est dans une institution, dont il sort à 16 heures le soir, et qui nécessite quand même que l’on gère des imprévus. Avec le télétravail, qui est plus courant aujourd’hui, la situation aurait pu être totalement différente. » Mais le retour à l’emploi s’avère plus que complexe pour la jeune femme. « Reprendre une activité salariée s’est révélé impossible. Heureusement que j’ai une formation initiale solide, dans la finance, qui m’a permis d’envisager une autre possibilité. Avec mon mari, nous avons créé notre propre entreprise, un tiers lieu, le Kawfice, qui accueille des initiatives. C’était la seule solution pour garder une activité. » Parallèlement, elle a créé une association d’entraide pour les parents dans cette situation, « Kemil et ses amis ».

Si la jeune femme a pu rebondir, quitter son emploi quand on est, ou qu’on a été, proche aidant comporte des risques. « Nous avons mis en place il y a quelques années un programme d’accompagnement individuel destiné à des aidants pour qu’ils retrouvent un travail, témoigne Hélène de Chanterac. Beaucoup se sentaient en décalage par rapport au marché de l’emploi, vivaient une perte de confiance en eux, avaient également peur de ne pas être assez disponibles si l’accompagnement n’était pas terminé, et avaient souvent un sentiment de culpabilité… Il est difficile de savoir dans cette situation ce que l’on veut et ce que l’on vaut… » D’autant que la problématique du retour à l’emploi des aidants est rarement traitée en tant que telle. Pôle emploi déclare qu’ils n’ont pas d’accompagnement spécifique, l’Agirc-Arrco, qui continue pourtant de les présenter sur son site Internet, ne finance plus les espaces emploi qui accueillaient notamment les proches aidants…

Un suivi au long cours

« Quand nous accompagnons les entreprises, la question du retour dans l’emploi n’est pas celle que l’on aborde le plus souvent, explique Aurélie Pierre-Léandre, directrice d’Handéo, qui a été à l’initiative, avec la compagnie d’assurances Klesia et en partenariat avec l’Agirc-Arcco, du label Cap’Handéo, car il faudrait d’abord une certaine maturité aux employeurs vis-à-vis de la connaissance même des proches aidants. Leurs premières interrogations portent sur la manière d’aménager le temps de travail pour permettre au salarié dans un premier temps, de conserver son activité. » Des solutions d’aménagement d’horaires et d’organisation du travail qui ne sont pas toujours si complexes. « Nous avons par exemple labellisé une entreprise de transport qui est très attentive à la question des salariés aidants, notamment parce qu’elle est liée à celle des risques professionnels et à la sécurité des voyageurs, détaille Aurélie Pierre-Léandre. Un aidant est exposé à un risque d’isolement, s’il n’est pas soutenu et accompagné, il s’expose à des risques pour lui-même, mais également pour les clients. L’entreprise a ainsi nommé, comme référente des salariés aidants, la personne en charge de l’organisation des plannings et des tournées des chauffeurs, qui connaît les situations et peut adapter l’organisation du travail avec une grande souplesse, en répondant aux urgences et aux contraintes des salariés. » Qui pourront ainsi réintégrer leurs postes dans des conditions « classiques » à tout moment, sans risquer la rupture.

Identifier afin d’accompagner

Confier à l’entreprise le soin de trouver des solutions en en faisant un thème de ressources humaines et de santé au travail, c’est la volonté notamment des pouvoirs publics, dans le cadre du programme Agir pour les aidants. Maintenir leur employabilité pour qu’ils ne soient pas exclus de l’entreprise et, à terme, du monde du travail est ainsi l’objectif principal du travail engagé par les associations, les caisses de retraites et de prévoyance, qui multiplient actuellement les actions de sensibilisations et formations en direction des ressources humaines, managers et des salariés eux-mêmes. Avec des freins à lever qui ne sont pas minces, entre des entreprises qui n’ont pas encore les clefs de compréhension et de connaissance de la situation des aidants, et des personnes concernées qui se déclarent peu en tant que tels… Le congé proche aidant, considéré pourtant comme une avancée car il reconnaît un statut spécifique, et qui permet de retrouver son poste à l’issue de la période d’absence, ne concerne que très peu de personnes. Premier écueil : même pour les entreprises qui ont une tradition d’accompagnement « social » des salariés, identifier les aidants n’est pas chose aisée. « On ne connaît pas toujours les raisons de l’absence des collaborateurs, explique Mathilde Benqué, responsable des affaires sociales et référente handicap au sein du groupe pharmaceutique Pierre Fabre. Très peu prennent aujourd’hui le congé proche aidant. Le plus souvent, quand elles se retrouvent dans cette situation, les personnes se voient prescrire un arrêt de travail. » Particularité de l’entreprise, elle comprend deux assistantes sociales du travail, habilitées à prendre contact avec les salariés en arrêt de travail, ce qui permet d’identifier les situations de proche aidant. « Nous leur proposons des visites à domicile, pour étudier leur situation et qu’elles gardent le lien avec l’entreprise, pouvons aménager les postes, et leur présenter les dispositifs de soutien et services proposés par les caisses de retraite et de prévoyance… » Pour AG2R La Mondiale, qui propose des services d’accompagnement aux aidants et aux entreprises, « être proche aidant est d’abord un statut qui va évoluer dans le temps, estime Cécile Vinot, responsable marketing. Il faut savoir accompagner les salariés pendant toute la durée de cette période d’aidance, du début jusqu’au retour à l’emploi. Même si on en est au début de la prise de conscience des entreprises sur le sujet, nous constatons que notre offre de service spécifique pour les aidants, mis en œuvre en avril 2021, prend de plus en plus d’ampleur. Nous sommes de plus en plus sollicités par des PME, après l’avoir été majoritairement par les grandes entreprises. »

Préparer le management de proximité

Prévoir à la fois l’accompagnement des aidants en emploi et leur retour après parfois une longue période d’absence se travaille en interne, avec les collègues mais aussi et peut-être avant tout avec les managers de proximité. « Pris par le quotidien, on n’a pas toujours la disponibilité pour étudier les situations dans leur globalité, explique Mathilde Benqué. Nous avons mis notamment en place une cellule d’employabilité, pas spécifiquement pour les aidants mais qui correspond aussi à leurs besoins. Avec l’accord du collaborateur, le responsable des ressources humaines, le médecin du travail et la responsable des affaires sociales se réunissent pour évaluer les situations individuelles et pour mettre en place un plan d’action. » Ne pas faire du retour à l’emploi des proches aidants dans l’entreprise « quelque chose d’anodin » est le conseil de Pascal Andrieux, directeur des engagements sociaux et sociétaux de Malakoff Humanis. « Prévoir au retour un temps d’échange informel pour lui permettre de s’assurer qu’il dispose de l’espace de travail nécessaire, planifier l’entretien de reprise, préparer le collectif, les collègues, les RH, les représentants du personnel, prévoir au besoin l’intervention de personnel extérieur, comme psychologue du travail, coach… Les entreprises demandent de plus en plus que nous les aidions à proposer un accompagnement individuel des aidants tout au long du parcours, et de manière personnalisée. » La sensibilisation est fondamentale, mais globalement le travail est encore immense, pour Hélène de Chanterac : « Même si les entreprises sont aujourd’hui censées mettre en place des actions pour les proches aidants, dans le cadre de la stratégie de mobilisation et de soutien « Agir pour les aidants », nous avons peu de retours ou même de demandes aujourd’hui, déplore-t-elle. Celles que l’on atteint c’est par le biais des caisses de retraite, avec lesquelles nous organisons des réunions d’information pour sensibiliser, et des accompagnements individuels et collectifs en ateliers. »

La reconnaissance de leurs « soft skills », (lire aussi…) actuellement peu anticipée à la fois par les entreprises et par les aidants eux-mêmes pourrait aussi représenter une base pour proposer des évolutions professionnelles tenant compte de leur expérience…

Auteur

  • Dominique Perez