logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

La santé des femmes au travail : le grand impensé

Idées | Livres | publié le : 01.11.2022 | Lydie Colders

Image

La santé des femmes au travail : le grand impensé

Crédit photo

Dans « Le deuxième corps », Karen Messing, ergonome et généticienne, relate ses combats pour obtenir des conditions de travail adaptées au corps et aux besoins des salariées. Édifiant sur l’invisibilité des femmes.

La pénibilité concerne les hommes comme les femmes. Mais par crainte de se voir refuser un emploi ou de le perdre, ces dernières tairaient davantage certaines souffrances. Sur le marché du travail, « le corps féminin » reste occulté. Certaines différences biologiques et sociales existent, mais elles restent taboues : « J’ai vu des travailleuses muselées par la honte d’être physiquement plus faibles, d’avoir leurs règles, de devoir quitter le travail en vitesse pour se rendre à la garderie avant la fermeture, d’avoir des bouffées de chaleur », raconte Karen Messing. Dans son essai féministe, cette éminente généticienne et ergonome québécoise explique pourtant que travailler dans le froid, en horaires décalés, intensifie les douleurs menstruelles ou perturbe les cycles. Ou que les femmes développent davantage de TMS que les hommes. L’ouvrage rend compte de ses études menées auprès de techniciennes, ouvrières ou agentes d’entretien au Canada. Et démontre avec brio cet oubli des femmes dans la santé au travail. La liste est longue : techniciennes ayant des ceintures trop lourdes, ouvrières équipées de clés trop grandes intensifiant l’effort, planning fluctuant des centres d’appels épuisant pour les mères de famille… Le problème ? « Les espaces, les outils, les horaires, les équipes de travail ont été conçus dans un monde binaire dominé par les hommes. » Et son récit l’atteste, il reste difficile de mobiliser les employeurs, parfois les syndicats à ce sujet. « Il faut mener la lutte », libérer la parole des femmes et « réclamer un environnement de travail adapté à leurs besoins ».

Revoir la diversité

Au-delà, la question est sensible. Comment sortir de l’impasse sans tomber dans la discrimination sexuelle ? Pour Karen Messing, la solution n’est pas d’obtenir des normes et des critères d’embauche différenciés selon le genre, comme le revendiquent certaines féministes. La réponse relève « de la justice organisationnelle » et politique. En entreprise, avoir des équipements adaptés selon le sexe et la taille de tous les salariés est la base, loin d’être acquise. Mais, surtout, une gestion intelligente du personnel devrait miser sur la diversité, « former des équipes régulières aux habilités complémentaires ». Au passage, la chercheuse tord le cou à certaines idées reçues. Si la force des femmes est différente, les mettre en bout de chaîne, à des postes dits « légers » ne signifie pas moins de douleurs. Leurs tâches s’accélèrent, elles manipulent in fine plus de charges (lire l’exemple dans une imprimerie). « Comme beaucoup de travailleuses exécutant des tâches répétitives, des inflammations chroniques peuvent se déclencher des années plus tard. » Faut-il y voir l’invisibilité des femmes dans la reconnaissance de maladies professionnelles comme les TMS ? C’est « une évidence » pour la scientifique, qui pointe le manque d’études. Un déni dont il faut sortir, exhorte-t-elle dans cette lecture stimulante.

« Le deuxième corps »,

Karen Messing, Éd. Écosociété, 280 pages, 20 euros.

Auteur

  • Lydie Colders