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[DOSSIER] Bien-être au travail: les entreprises cherchent à se réinventer

Dossier | publié le : 01.11.2022 | Murielle Wolski

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Les entreprises cherchent à se réinventer

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Bien-être par ici, bien-être par là, pas un jour ne se passe sans une enquête, un sondage. Avec la sortie de la crise du Covid, les entreprises cherchent « la » martingale pour avoir en leur sein des collaborateurs sereins.

Kevin Bourgeois est un patron heureux. Sa petite entreprise, dont l’objet est de scruter le moral des troupes au travail, est sur de bons rails. Créée en 2015, Supermood devrait quasiment multiplier par deux ses effectifs d’ici la fin 2023, passant de 40 à 70. De 113 en janvier 2020, ses clients sont aujourd’hui au nombre de 270. « Historiquement, le secteur privé a pris la main, mais tous les acteurs économiques s’y mettent aujourd’hui, analyse-t-il, même publics. Tous sont démunis sur les actions à mener. Ils l’ont bien compris : pour être engagé dans son entreprise, le salarié doit se sentir bien. » D’où l’intérêt de cette plateforme qui évalue le ressenti des collaborateurs sur le terrain, avec les thématiques du sentiment de reconnaissance, de l’engagement, de la performance, de sens au travail, avec une à dix questions à la clé. Ou comment décortiquer le bien-être au travail. Et, au vu des statistiques, un boulevard s’offre aux entreprises sur ce segment de marché.

Des « stats » comme à Gravelotte

18 octobre 2022. Dix-huit communiqués de presse reçus à décortiquer, les états d’âme des salariés depuis le tout début du mois. Un jour, un sondage… plombant. L’un des derniers en date : le baromètre du bien-être mental en entreprise d’Alan, assurance santé indépendante et 100 % en ligne, et Harris interactive. Le deuxième du genre, le premier datant de février 2022. Que dit-il ? En sept mois, la situation s’est dégradée. Les salariés sont plus nombreux à éprouver du stress (59 %, + 4 points) ; de l’inquiétude (52 %, + 3 points) ; des angoisses (47 %, + 6 points) ; une tristesse inhabituelle ou prolongée, un état dépressif (40 %, + 3 points). Mais, on pourrait citer également l’enquête People at Work 2022 d’ADP, leader en solutions de ressources humaines. Que dit-elle ? Il y a pire ailleurs ! En effet, si près des deux tiers des salariés français (64 %) déclarent ressentir du stress au travail au moins une fois par semaine et si ce chiffre est en augmentation de 9 points (55 %) par rapport à la période pré-pandémique début 2020, il demeure en deçà comparé au reste de l’Europe (71 %) et du monde (67 %). Les entreprises sont bousculées, chahutées par tant de données quantitatives négatives. Elles ne savent plus quelle politique adopter. Elles sont prêtes à tout essayer. C’est bien ce qui ressort des candidatures à la cinquième édition des Awards du bien-être au travail, organisée par Lucca, éditeur de solutions RH. 110 dossiers ont déjà été déposés. « Il y a à boire et à manger, commente Charles de Fréminville, le DRH, avec des recettes peu efficaces comme le baby-foot ou bien encore le palmier, qui jouent plus sur une atmosphère cool, mais sans réel impact. Mais qu’est-ce qui marche vraiment ? » C’est « la » question du moment.

Définition à géométrie variable

Un premier élément de réponse avec Jérémy Lamri, cofondateur de Tomorrow theory, agence en valorisation du capital humain : « On est sorti du bonheur au travail, grosse connerie entendue de 2015 à 2020, grosso modo. Connerie ? Parce que le bonheur est propre à chacun. » De profundis le chief happiness officer (cf. article page 42) ?

Encore proposé par des cabinets conseils à destination des salariés d’un hôtel de luxe parisien… le baby-foot est pourtant bel et bien cloué au pilori par les DRH, tout comme les massages, barbiers, coiffeurs ou autres manucures… « On passe d’une vision gadget du sujet de l’ordre du petit avantage comme la sieste ou le sport peu impactant à un axe qui vient « taper » l’organisation du travail. Ce n’est plus de la cosmétique. Le bien-être en entreprise a gagné en profondeur », commente Camille Fauran, directrice générale de Welcome to the jungle, média en ligne expert sur les questions d’emploi.

« Mais, on n’y est pas, résume Manon Julien, DRH chez Vacancéole, spécialiste de la location de vacances. Même avec la multiplication d’actions concrètes, on ne peut pas poser le stylo. On a pour obligation de s’adapter sans cesse. » Le pragmatisme ? Un mot d’ordre partagé. Tout dépend en effet de l’âge des collaborateurs. À 20, 40 ou 60 ans, la définition du bien-être n’est pas la même. « Avec la Covid, les salariés ont par ailleurs reconquis le rapport au temps, développe Didier Pitelet, fondateur de Henoch consulting, agence management. Les dirigeants doivent repenser le bien-être par rapport à cette question-là. Mais, là où cela se complique, c’est que cela se décline également à l’unité. Les entreprises se questionnent. Nourries des études à la mode, elles sont toutes perdues face aux nouveaux comportements de la génération Z, avec une tentation de pratiquer le copier-coller, qui montre un manque de maturité des dirigeants. »

La mort des tableaux de bord ?

Personne n’en voulait, il a été prescrit par le Gouvernement – du jour au lendemain, 30 % de la population active l’a adopté, contre 3 % auparavant. Et, avec la sortie de crise de la Covid, le télétravail est devenu un incontournable, une figure imposée à tout RH. « Une obligation, dixit Camille Fauran, sinon on se pénalise quant à l’attractivité… Aujourd’hui, ce n’est plus différenciant. » La palette s’est enrichie. Les idées foisonnent, avec le développement des congés illimités, par exemple. Golden Bees, agence de marketing programmatique RH, s’est fait remarquer sur le sujet. La différence a été claire : + 30 % de candidatures spontanées. Un chiffre qui est loin d’être anodin dans le contexte de tensions sur le marché. « On peut aller au-delà de ce qui est noté sur le contrat de travail, souligne Catherine Regeffe, DRH de cette entreprise, récemment rachetée par le groupe Le Figaro. Le signal envoyé à nos salariés ? Ils sont de vrais acteurs de l’entreprise. Des business partners, avec un rééquilibrage entre managers et managés. » Et il n’y a pas d’abus. Par ailleurs, quatre collaborateurs (sur 60) ont demandé à développer des activités annexes. Pas de problème. « On s’autorise à répondre à la demande, même si on n’est pas à l’initiative, en toute transparence », poursuit Catherine Regeffe. Accepter les slashers ? De quoi nourrir la relation de confiance. Mais, pour quel retour sur investissement ? Et là, le changement de logiciel est palpable. Le ROI (return on investment) serait-il déchu ? « Tout n’est pas mesurable, analyse Catherine Regeffe. Si 10 % devaient partir, cela voudrait dire de nouveaux recrutements à effectuer, re-formation, et pendant ce temps, des contrats seraient perdus. La recherche du bien-être aujourd’hui et de l’engagement demande de prendre de la distance par rapport aux tableaux de bord. »

Un temps d’adaptation peut se révéler nécessaire. « Ce qui est clair à 20 salariés ne l’est pas forcément à 100, note Caroline Pailloux, fondatrice d’Ignition Program, entreprise spécialisée dans le recrutement et la formation des start-up. À 20, on voit tout. Mais, à 100… On vit dans un tel cadre anxiogène que les collaborateurs ne prennent pas de vacances. Les congés illimités ? On est en zone grise. Et il faut jongler avec la loi. On préfère parler de prime vacances. » Dans ce labo-RH grandeur nature, seules deux demandes de six semaines supplémentaires ont été formulées en 2022. Un leitmotiv pour Caroline Pailloux : « Être humainement durable ».

Autre option possible : la semaine de quatre jours. Adopté en 2019, ce format vaut un vrai plébiscite à Welcome to the Jungle. 90 % des collaborateurs en sont satisfaits. Le turnover est limité à 5 % ou 6 %, contre 15 % sur le plan national en 2021, selon l’Institut national de la statistique économique (Insee). « C’était assez avant-gardiste. On travaille avec précaution. Mais, si l’organisation du travail n’est pas 100 % de la réponse que doit formuler l’entreprise, revoir le rythme est essentiel. Et là, c’est une vraie coupure. Œuvrer sur le sport, les associations ou la culture…, les besoins très personnels de chacun, est beaucoup moins de l’ordre de l’entreprise. »

Aucune piste à délaisser

139, rue Lantissargues à Lattes. En pleine zone pavillonnaire, une maison de 200 m2 au sol, sur une parcelle de 600 m2 avec terrasse (les travaux sont en cours). C’est la nouvelle adresse d’Arpa3, société spécialisée en création de sites commerciaux sur Internet. Au toboggan, les collaborateurs ont préféré un potager, un composteur, un terrain de boules, avec des règles de vie de « coloc » ! « Il y a des signes qui ne trompent pas, explique Thibault Dussert, l’un des cofondateurs. Avant, les collaborateurs mangeaient chacun devant leur ordinateur, casque sur les oreilles. Maintenant, le repas se prend tous ensemble et se termine souvent par des jeux de société. De quoi générer une vraie cohésion de groupe et la productivité s’en ressent. » Coût de l’opération : 750 000 euros. Mais, pas de problème de recrutement. Et, les collaborateurs ne quittent pas le navire.

Toujours dans la même région, la Réserve Rimbaud a fait parler de lui fin septembre. Charles Fontès, directeur de ce restaurant gastronomique de Montpellier, a décidé de fermer le week-end. Impensable il y a quelques années.

Et pourquoi pas plus d’originalité encore avec la présence de son chien au travail ! Près de 4 Français sur 10 (39 %) aimeraient que les chiens y soient davantage acceptés ! Côté public, les villes de Suresnes, La Garenne-Colombes, Grenoble et Nice ont déjà franchi le pas. Une quinzaine d’autres réfléchissent pour le mettre en place. Et côté privé, M2DG, acteur spécialisé en bureaux d’entreprise clés en main accueille chiens et chats. À l’heure actuelle, seuls 7 % des employeurs l’autorisent même si cette proportion monte à 19 % lorsqu’il s’agit de chiens de petits gabarits (moins de 10 kg). Enfin, Alain Garnier compte sur le métavers pour recréer du lien, les rituels. « Ce n’est pas l’arme ultime, dixit le fondateur de Jamespot, mais cette technologie permet de reconstituer la vie de bureau sans bureau, car il faut en faire le deuil. »

Mais quelle est la limite ? Y en a-t-il une ? « La matrice ne peut plus être la même, ponctue Loic Douyère, directeur associé au sein de Florian Mantione institut, cabinet de recrutement. L’entreprise doit être détentrice du collectif. Et pour cela, le management doit être plus musclé. »

 
 
 
« Le bien-être au travail, de la novlangue ! »

Auteur de Prévenir et soigner le burn-out pour les nuls, paru en mai 2022 chez First Éditions, Marie Pezé a développé les consultations souffrance au travail. La première date de 1997 à Nanterre. Forte de cette expérience, le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne mâche pas ses mots. « Bien-être ? Encore de la novlangue ! Bien-être, ça ne veut rien dire. Bien-être, juste du papier cadeau pour faire joli. Juste du bull-shit. Rappelons les quelque 30 000 arrêts de travail pour raisons psychologiques. Les gens n’en peuvent plus. Il faut tout faire pour avant-hier. Tous les chiffres sont connus. On détourne le regard, comme pour l’état de la planète. Même attitude. Il y a même une commission parlementaire sur le sujet prochainement. Si on travaille bien, on se sent bien. Point. »

Auteur

  • Murielle Wolski