logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Les expatriés sur le retour ?

Décodages | Travail à l’étranger | publié le : 01.11.2022 | Lucie Tanneau

Image

Les expatriés sur le retour ?

Crédit photo

La Covid-19 a chamboulé le quotidien des travailleurs à l’étranger, qu’ils soient expatriés ou sous contrat local. Certains ont préféré rentrer. Aujourd’hui quelques-uns repartent, et une nouvelle génération de salariés voyageurs fait ses bagages. Mais le choix des destinations s’opère désormais avec le souvenir de la pandémie. Les difficultés de déplacements des deux dernières années freinent notamment les familles. Une nouvelle donne pour les entreprises.

La pandémie de Covid 19 et le confinement décrété en France en mars 2020 ont aussi touché les Français qui travaillent à l’étranger. Qu’ils soient expatriés, entrepreneurs ou sous contrat local, tous ces travailleurs ont été confrontés à une distance avec leur pays d’origine, et leurs proches en France. Distance qu’ils avaient oubliée, ou presque, grâce au nombre de vols quotidiens et la facilité de franchir les frontières internationales. La Covid-19 a changé la donne. « La fermeture des frontières a traumatisé les expatriés et les entreprises qui les accompagnent », confirme Alix Carnot, directrice du pôle carrières internationales d’Expat Communication, organisme de conseil, qui réalise chaque année un baromètre sur l’expatriation. « Dans certains pays, la Covid et la manière de gérer cette crise ont cassé le pacte de confiance : le salarié a découvert qu’il n’avait pas les mêmes valeurs que son pays d’accueil. Cela a été flagrant par exemple en Australie, pays qui a choisi de placer la santé comme priorité, alors qu’en France, la liberté des individus reste au-dessus », illustre-t-elle. La diminution du nombre d’expatriés français dans le monde avait cependant commencé avant la crise sanitaire. « Le changement date d’il y a dix ans », replace Alix Carnot. Une érosion due à plusieurs facteurs : la meilleure formation de la main-d’œuvre locale et l’extension de la capacité de travailler à distance, notamment. « Cette dernière a été encore renforcée avec la Covid : Teams et Zoom existaient déjà, mais de nouveaux usages ont été testés et approuvés. On voit désormais des experts techniques qui valident la qualité d’un béton à distance, c’est du jamais-vu ! Les entreprises ont constaté que le travail à distance fonctionne pour davantage de métiers que ce qu’elles avaient imaginé par le passé », constate Alix Carnot. Le site d’emploi international Indeed a réalisé deux études en partenariat avec OpinionWay (octobre 2021), puis avec son laboratoire d’études économiques (mars-avril 2022) pour évaluer l’impact de la crise sanitaire sur la mobilité professionnelle internationale. Les résultats publiés à la rentrée montrent que le marché de l’emploi reste marqué par le souvenir de la pandémie, malgré la levée de la plupart des restrictions de déplacements transfrontaliers. Ainsi, 75 % des personnes qui avaient un projet de mobilité internationale avant la pandémie y ont renoncé (31 %) ou l’ont reporté (44 %). L’étude Decoding Global Talent, menée par le Boston Consulting Group et The Network, montre également que 55 % des talents français déclaraient fin 2021 vouloir travailler à l’étranger ; alors qu’ils étaient 69 % en 2018. « Avant la crise, il y avait un désir fort d’expatriation chez les jeunes et les cadres. La Covid a mis sous cloche ces aspirations, analyse Éric Gras, spécialiste de l’emploi chez Indeed. Aujourd’hui, nous constatons une reprise des recherches d’emploi à l’étranger. Mais elle reste inférieure de 10 % par rapport à l’avant-Covid (elle était en baisse de 32 % à la sortie des confinements). » Certains pays restent complètement boudés. C’est le cas, par exemple, de l’Australie qui n’a pas encore relancé la délivrance de visas Programme vacances travail – sésame de nombreux candidats au départ –, de la Chine, où les obligations sanitaires – et notamment les mesures d’éloignement en cas de Covid, y compris dans la cellule familiale –, ont marqué les esprits, ou de Singapour, où les autorités ont lancé une politique pour privilégier l’emploi local et où le niveau de vie a explosé, notamment du fait de l’arrivée de travailleurs venus de Hong Kong.

 
Covid, espace… et valeurs.

Thomas1 a ainsi décidé de quitter Singapour cet été. Installé sur l’île asiatique depuis six ans, il travaillait en tant que directeur financier d’un grand groupe français. « Avec ma femme, qui travaillait comme professeure au lycée français, nous avons pris la décision de quitter le pays, raconte-il. La Covid nous a fait prendre conscience que nous étions loin. Dans le passé, nous rentrions deux fois par an et ma femme et les enfants passaient l’été en France. Pendant la Covid, nous étions bloqués, et je n’ai pas pu assister aux funérailles de mon grand-père. Nous avons aussi compris que nous avions besoin d’espace ». Thomas et sa famille ont donc choisi de s’installer à la montagne, à proximité de la Suisse et de nouvelles opportunités professionnelles. Beaucoup d’expatriés de Singapour ont, quant à eux, fait le choix de Dubaï. « C’est une destination qui explose, confirme Alix Carnot. Cela reste une place internationale, et peu fiscalisée. » Car « la volonté de partir des expatriés est toujours la même », constate-elle. Ce sont les conditions souhaitées qui ont changé. Les travailleurs veulent un pays avec lequel ils partagent des valeurs, et recherchent souvent une plus grande proximité. « Les jeunes qui souhaitaient partir au Mexique ou au Japon gardent leur idée mais les profils plus âgés, notamment les cadres avec familles, ont désormais envie de mobilités moins éloignées, d’où ils peuvent rentrer plus facilement », note Éric Gras. Ainsi, les pays frontaliers, comme le Luxembourg, l’Allemagne ou la Pologne, sont très demandés. Les pays baltes, le Mexique ou, dans une moindre mesure, certains pays du Moyen-Orient (Émirats arabes unis, Qatar) voient aussi leur communauté française augmenter. « On en parle encore peu, mais les conditions climatiques commencent à être des éléments qui pèsent sur le choix de la destination », constate le spécialiste d’Indeed. Pour Thomas, la prise de conscience écologique a été un déclencheur de son envie de rentrer en France. « Je veux arrêter de prendre l’avion, ou en tout cas limiter mon empreinte carbone autant que possible », confirme-t-il. Or, à Singapour, où il vivait, outre les déplacements pour revoir les proches français, nombre de travailleurs installés dans le pays voyagent en Asie en avion pour leurs week-ends (Bali, Thaïlande, Indonésie…). Un choix de vie que certains salariés remettent désormais en question.

Aujourd’hui, le statut d’expatrié à proprement parler – c’est-à-dire sous contrat – n’existe plus qu’au compte-gouttes. « Il est réservé à des postes hyperqualifiés, qui coûtent souvent très cher, donc vraiment limité au maximum par les entreprises, précise Éric Gras. Cela a commencé chez Total [TotalEnergies, NDLR], avec la diminution de l’exploration. L’entreprise a développé la formation et la signature de contrats locaux. » Au début de la pandémie, le groupe a ainsi rapatrié 1 100 personnes (salariés ou leurs familles), avec « une logistique particulière en raison de l’arrêt de nombreuses liaisons aériennes (qui l’ont amené à affréter des vols spéciaux pour certains pays) et des contraintes de circulation imposées en métropole », raconte Thierry Renard, directeur de TotalEnergies Global Human Resources. « Nous avons maintenu sur place les expatriés dont la présence était jugée indispensable, en mettant en place des conditions spécifiques transitoires (majoration salariale) », complète-il. Un nouveau rythme de travail a aussi été développé. « Au-delà du dispositif préexistant de célibataire géographique, permettant à un salarié désireux de laisser sa famille dans son pays d’origine et bénéficiant alors d’un nombre de voyages annuels majorés (5), nous avons mis en place un dispositif de célibataire géographique hybride consistant en une présence de quatre semaines dans le pays d’affectation suivies de quatre semaines dans le pays d’origine, dont deux semaines de télétravail et deux semaines de repos », retrace le DRH. L’été 2020 a permis le retour « à une situation normalisée », mais ces initiatives peuvent donner des idées pour imaginer dans l’avenir de nouvelles conditions de travail pour les salariés installés à l’étranger. « Les salariés réfléchissent différemment, confirme Alix Carnot. Avant, beaucoup vivaient vraiment à cheval entre deux pays, et conservaient un orthodontiste en France pour soigner les dents de leurs adolescents », cite-elle en exemple, elle-même ayant vécu dans huit pays en quinze ans, avec mari et enfants.

 
Les inscriptions au registre des Français hors de France en baisse.

Beaucoup ont compris que cet entre-deux pouvait être remis en cause en cas de nouvelle crise internationale. « Pour les expatriés sous contrat, qui signent souvent pour des cycles de trois à cinq ans, les anciens ont été remplacés par une nouvelle génération. Nous avons tous la mémoire courte, donc l’envie revient chez ces nouveaux venus. Dans certaines entreprises, les DG se sont déplacés à la rencontre des expatriés : ils se sont sentis reconnus et ça a renforcé leur loyauté. Il y a néanmoins des réflexions pour ceux dont le travail à l’étranger était la vie : on est dans une phase de calage, de rééquilibrage, constate Alix Carnot. On a été très loin dans la digitalisation. On va probablement revenir à un équilibre, pour réinstaller le management auprès des équipes locales. » Le choix de repartir travailler à l’étranger, plus ou moins loin, dépend aussi évidemment du métier exercé. « Un directeur de mines qui travaillait en Guyane ou en Afrique ne va pas attendre une proposition en Suisse, ironise Éric Gras, mais sur les métiers de l’ingénierie ou de la finance, on constate que les salariés recherchent la sécurité et des postes plus proches, même s’ils ne veulent pas revenir en France. » 1 614 772 Français étaient inscrits au Registre des Français établis hors de France au 1er janvier dernier2, un chiffre en baisse de 4,2 % par rapport à l’année précédente et de 9,97 % par rapport au 1er janvier 2020, avant la pandémie.

En Ukraine, les travailleurs étrangers reviennent au compte-gouttes

L’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis la fin du mois de février a bouleversé la situation des travailleurs français en Ukraine, en Russie et dans la région. Si l’on n’a pas de chiffres ou de statistiques précis sur le nombre de Français qui sont partis ou restés, les entreprises ont rapatrié tous leurs expatriés présents en Ukraine, « car elles ont peur qu’ils deviennent des monnaies d’échange », analyse Alix Carnot, directrice associée d’Expat Communication, organisme de conseil spécialisé. Pour les travailleurs, dont beaucoup d’entrepreneurs installés sur place, souvent en couple avec un compagnon ou une compagne ukrainien(ne), la situation semble moins binaire. Vassili Le Moigne, conseiller des Français de l’étranger installé en République tchèque, qui a organisé des réseaux d’entraide pour les Français qui quittaient le pays après l’invasion, voit désormais des entrepreneurs français faire le chemin inverse. « Leur vie est en Ukraine. Nombre d’entre eux commencent à rentrer depuis septembre, notamment à Kiev ou dans les régions de l’ouest, moins touchées, en se disant que si la situation se dégrade, ils pourront ressortir du pays ».

(1) Le prénom a été changé.

(2) L’inscription au Registre n’est pas obligatoire. Les autorités estiment à 2,5 millions le nombre de Français installés à l’étranger.

Auteur

  • Lucie Tanneau