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Les collectifs de salariés s’engagent pour la planète

Décodages | Environnement | publié le : 01.11.2022 | Valérie Auribault

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Les collectifs de salariés s’engagent pour la planète

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Les salariés à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique. Ces dernières années, des collectifs se sont créés dans les grandes entreprises afin d’inciter leurs dirigeants à faire davantage pour la planète et à revoir leur business model.

« Il suffit de 10 % des collaborateurs pour changer toute l’entreprise », estime la « Harvard Business Review ». Face au défi de l’urgence climatique, des salariés ont pris cette maxime à la lettre. Ces dernières années, près de 150 collectifs de salariés ont vu le jour dans les plus grandes entreprises françaises. L’objectif : s’unir pour inciter les dirigeants à agir davantage en faveur de la transition écologique. Michelin, Vinci, Axa, EDF… ont vu jaillir des associations de collaborateurs souhaitant impulser, de l’intérieur, un autre business model pour opérer une vraie transition en faveur de la planète. « Tout a commencé par une prise de conscience des enjeux écologiques », se souvient Alexis Treilhes ex-Michelin désormais consultant en mobilité et cofondateur du collectif One Planet au sein du géant du pneumatique. « Mais comment agir avec un pouvoir limité ? En discutant avec mes collègues, j’ai constaté qu’ils partageaient mes préoccupations. Tout est parti de là. » Constitué de cinq salariés au départ, le collectif comptait 450 collaborateurs en juillet dernier. « Nous avons commencé par appliquer les écogestes au bureau : on a supprimé les gobelets et les bouteilles en plastique avant de prendre en compte l’actualité et le contexte de l’entreprise. Nous avons réalisé le bilan carbone de l’activité recherche de Michelin en France. » La crise sanitaire a boosté l’engagement des salariés pour l’environnement. Dans une étude de l’Institut CSA pour LinkedIn et l’Ademe (juin 2021), 78 % d’entre eux avouaient préférer, à offres équivalentes, rejoindre une entreprise engagée pour la transition écologique. D’autres (88 %) estiment que la transition écologique est un sujet important dans leur entreprise, 36 % pensent qu’il est prioritaire. 71 % affirment agir personnellement en faveur de la transition écologique au sein de leur entreprise, d’autres encore (68 %) souhaiteraient être formés à cette question par leur employeur.

 
« Unir nos forces ».

Basée sur un site d’ingénierie d’EDF à Marseille, Eva Comble se rappelle qu’elle évoquait avec ses collègues « les gestes que l’on applique au quotidien dans notre vie privée. On s’est dit qu’on pourrait peut-être les mettre en pratique en entreprise ». Eva Comble a découvert l’existence d’autres salariés d’EDF, répartis sur divers sites dans toute la France, ayant la fibre écologique. « Nous avons décidé d’unir nos forces au sein d’un seul et même collectif, Le Rhizome », poursuit-elle. La vingtaine de salariés unis a informé sur ses actions à travers un manifeste pour sensibiliser l’ensemble des collaborateurs du groupe, mais aussi pour attirer et peser davantage. Très vite, Le Rhizome a atteint 350 membres. Et les premières actions ont été impulsées : fin des gobelets en plastique, un collectif de cyclistes a vu le jour pour les déplacements domicile-travail, des repas végétariens ont été proposés et le train a été privilégié pour les déplacements professionnels. « Nous avons fait diverses propositions sur le gaspillage alimentaire, le gaspillage de l’eau, l’énergie des bâtiments, le défi carbone », énumère Eva Comble. De son côté, le groupe a initié les salariés à la Fresque du Climat. « Nous avons choisi cet outil pour s’assurer que tous les salariés avaient la capacité de comprendre cette réalité, indique Carine de Boissezon, directrice Impacts chez EDF. En 2019-2020, il y a eu un alignement des planètes. La pandémie a été un élément accélérateur pour nos enjeux RSE. Il y a eu une prise de conscience sur nos différents sites de Marseille, Saclay, Lyon, Tours… Ces salariés, de tous âges, voulaient accélérer les choses à leur niveau. Ils sont aussi des citoyens et veulent une cohérence par rapport à ce qu’ils vivent à la maison et en entreprise. Nous, on fait partie de la solution. » Le groupe EDF a lancé un cycle de huit conférences (Économie neutre en CO2 – le bonheur est-il dans la croissance ?) dans lequel le collectif s’est beaucoup investi.

 
Le dialogue permanent.

« Nous souhaitions réconcilier le salarié avec le citoyen, poursuit Eva Comble. Ce défi est tellement gigantesque qu’il faut que tout le monde s’y mette. Il ne faut pas se brider. Au pire, on propose et on nous dit non. » Les idées sont discutées entre salariés avant d’être mises en place en collaboration avec les services adéquats du groupe : la direction de la cantine pour les repas végétariens ou la direction Sécurité pour la mobilité vélo. Finalement, pour le collectif d’EDF, il était temps de dépasser le cadre de sa propre entreprise. « On s’est aperçu, grâce à LinkedIn, qu’il existait d’autres collectifs qui agissaient dans plusieurs entreprises en France, explique Eva Comble. En nous rassemblant, nous voulions inspirer d’autres salariés. Leur montrer qu’il est possible d’agir. Nous souhaitions aussi les aider en partageant nos expériences et nos réussites. » En avril 2021, c’est sous le nom « Les Collectifs » que 27 groupes de diverses entreprises publient une tribune dans « Les Échos ». « Cela répondait à un besoin et à une envie, ajoute Alexis Treilhes. Le mouvement doit se poursuivre, avoir un impact fort et une entité reconnue pour réfléchir à une nouvelle gouvernance. » C’est ainsi qu’est né le collectif Planet A chez Alstom. « C’est avec Les Collectifs que j’ai vu qu’on pouvait apporter notre pierre à l’édifice. Il y en avait un chez Veolia, chez Michelin, chez Decathlon… Ils nous ont aidés à nous lancer », se remémore Ouahcène Ourahmoune, cofondateur du collectif Planet A, créé en novembre 2021. « Avec l’entreprise, la posture adoptée est celle du dialogue permanent, indique-t-il. Avec la direction du Développement durable, nous faisons le lien entre les dirigeants et les collaborateurs. Le dialogue permet de faire évoluer la culture de l’entreprise. » Sans pour autant se substituer aux décisions des dirigeants. « Nous avons une certaine exigence face au défi climatique, mais nous ne voulons pas nous imposer pour autant, tempère Ouahcène Ourahmoune. Changer les choses de l’intérieur et le modèle de l’entreprise n’est pas simple. Selon que l’on travaille chez Total ou à la Maïf, la politique, les enjeux ne sont pas les mêmes. Chez Alstom, secteur du transport public, nous sommes dans un terreau favorable. » « On n’a pas vocation à tout mettre par terre, assure Alexis Treilhes. On veut juste apporter notre énergie et enrichir les propositions et les actions. C’est plutôt bien perçu. »

 
L’heure des nouvelles compétences.

D’autant que bon nombre d’entreprises françaises ont pris, elles-mêmes, le pas de l’action en faveur de la transition écologique. « Aujourd’hui, le climat est une priorité. Ce n’est pas anodin qu’il figure dans le plan stratégique, car toutes les activités de l’entreprise sont concernées, ainsi que nos activités d’assurance », souligne Céline Soubranne, head of sustainability chez Axa. Le groupe international ambitionne de former, d’ici 2023, 100 % de ses collaborateurs aux enjeux climatiques grâce à l’Axa Climate Academy, répondant en cela aux attentes des salariés. Cette sensibilisation devrait aboutir, à terme, à proposer des produits et services plus durables aux clients. « Le climat change et nous devons changer aussi, insiste Céline Soubranne. Nous devons agir en tant qu’investisseur, assureur, et en tant qu’entreprise en intégrant les enjeux climatiques dans chaque métier. L’heure est au développement de nouvelles compétences. » La formation n’a cependant pas été rendue obligatoire, mais elle a « un très bon bouche-à-oreille, assure Céline Soubranne. Les membres du collectif nous aident à la promouvoir. Ils sont aussi des relais. Nous nous épaulons mutuellement. Ils peuvent aussi nous interpeller sur certains sujets. Désormais, le directeur du développement durable n’est plus le seul à proposer des actions ». Pour Carine de Boissezon, « le but est de faire avancer l’entreprise. Les collectifs font remonter les choses du terrain, ils nous questionnent. Nous pouvons ainsi comprendre les freins pour éviter une dissonance ». D’autant que certains dirigeants d’entreprise sont eux-même, convaincus qu’il est temps de concevoir l’entreprise autrement. « Depuis dix ans, nous observons un changement assez important en faveur de l’écologie. Autrefois, c’était assez confidentiel. Aujourd’hui, les dirigeants ont une conviction profonde, constate Sylvain Boucherand, cofondateur du cabinet BL Evolution. Désormais, nous intervenons dans des Comex afin d’embarquer tout le monde et de permettre d’avoir un réel impact sur l’entreprise. » Le groupe Vinci a, depuis trois ans, accéléré la politique de réduction de ses impacts avec la transformation de ses métiers et la création de solutions innovantes, comme réaliser un béton sans ciment. « Nous avons souhaité être proactifs sur ces questions environnementales et pas seulement attendre que les clients nous incitent à agir, explique Isabelle Spiegel, directrice de l’environnement chez Vinci. Le béton bas carbone ne peut devenir une réalité de terrain que s’il est porté par plusieurs collaborateurs. Cette solution réduit ainsi notre plus important poste d’émissions de CO2. » Au sein du groupe Vinci, plusieurs communautés réparties sur différents sites échangent. « Chacun pose ses questions. C’est de l’entraide et du partage, poursuit Isabelle Spiegel. Chacun joue sur sa sphère d’influence pour convaincre son chef, ses équipes, ses clients. » « Les salariés sont aux manettes. Ce sont eux qui vont déployer nos enjeux dans nos territoires, rappelle Carine de Boissezon. Ils doivent être engagés. Quand on parle de sobriété, il y a un enjeu comportemental. Il faut créer l’émulation, éviter le clivage. Si on doit accélérer nos actions en faveur de la planète, il faut le faire tous ensemble. » Ouahcène Ourahmoune en est convaincu, « lutter contre le réchauffement climatique à deux degrés, on peut y arriver si on ne cède pas à la panique. C’est la compréhension des enjeux qui aidera à déclencher les bons réflexes. L’effort doit être réparti entre les individus, les collectivités et l’entreprise ».

Auteur

  • Valérie Auribault