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Influenceur : un vrai métier ?

Décodages | Carrières | publié le : 01.11.2022 | Lucie Tanneau

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Influenceur : un vrai métier ?

Crédit photo

Devenir influenceur sur les réseaux sociaux est aujourd’hui le rêve d’une large frange de la jeune génération. Peut-on parler de métier, de carrière, et si oui, dans quelles conditions ? Les créateurs de contenus les plus anciens ont émergé il y a seulement dix ans, mais déjà, un secteur économique est né. Avec des entreprises et des compétences aujourd’hui prisées.

L’influenceur ne dispose ni de titre RNCP ni d’un code d’activité principale pour s’enregistrer à l’Urssaf. Et pourtant. En retenant les comptes avec plus de 5 000 abonnés, on dénombre 150 000 influenceurs français, selon une estimation de Guillaume Doki-Thonon, fondateur de l’agence spécialisée Reech, interrogé par Challenges en mars dernier. 150 000 personnes qui créent du contenu et le diffusent sur des plateformes (YouTube, Instagram, TikTok…), soit presque autant que de coiffeurs en France (175 800 actifs, selon l’Union nationale des entreprises de coiffure) ! « On estime que seulement 1 % vit de son métier d’influenceur ou de créateur de contenu », recadre d’emblée Catherine Lejealle, sociologue enseignante-chercheuse à ISC Paris. Pourtant, pour la spécialiste du digital, « on peut vraiment parler de métier, au sens où l’influenceur a besoin de vraies compétences techniques. Une école de formation va même ouvrir », insiste-elle. Créée en mai dernier, Ambaza propose en effet une formation payante, pour tous ceux qui rêvent de faire carrière sur les réseaux sociaux, et se définit comme « la première école des influenceurs ».

« Aujourd’hui, il y a une vraie professionnalisation, notamment sur TikTok, qui forme ses influenceurs », insiste Catherine Lejealle. « Chaque influenceur doit avoir sa singularité, comme un auteur de roman ou un peintre, et les marques les appellent et peuvent les payer jusqu’à 8 000 € pour un post. Leur façon de faire du storytelling peut être comparée au travail des acteurs de stand-up : ils ont des compétences et doivent être capables de tenir sur la durée. C’est un travail, ce n’est pas seulement ouvrir une boîte de cadeaux et dire « c’est super ! » » schématise-t-elle. Certains influenceurs issus de la téléréalité ont pu donner cette image faussée du secteur, il y a dix ans. Mais les contenus créés aujourd’hui sont très différents, sur des sujets variés allant de la vie quotidienne et du bricolage à la maternité, en passant par les seniors ou même les RH (Pauline Garric, Jean-Noël Chaintreuil, Frédéric Laloux…).

L’arrivée des agences.

Avec la professionnalisation sont apparues des agences pour accompagner les influenceurs. Reech, Jennifer Powell, l’Agence des influenceurs, Social Zoo, etc., gèrent par exemple une écurie de créateurs de contenus, préalablement sélectionnés, et leurs relations avec les marques qui leur commandent des posts. Les influenceurs signent même désormais des contrats pour faire des vidéos ou des collections capsules. « Le secteur s’est institutionnalisé avec l’arrivée de ces agences. Aujourd’hui, bien que ce soit assez flou au niveau social, on peut comparer les prestations des influenceurs à celles des intermittents du spectacle, avec plein de petits contrats », dessine Catherine Lejealle. Sauf que les influenceurs ne dépendent pas de la caisse des intermittents et n’ont pas de statut social reconnu. « Les créateurs de contenus sont des entrepreneurs, qui ont souvent des autoentreprises à leurs débuts (72 600 € HT au maximum par an pour la plupart des prestations de service, ndlr), puis des SASU ou SAS, et qui travaillent dans une relation en BtoB avec d’autres entreprises, les marques, leur commandant des contenus. Elles peuvent traiter directement avec des entreprises ou par l’intermédiaire d’agences. C’est notre cas, nous avons 28 créateurs de contenus, que l’on a triés sur le volet, et nous travaillons parfois avec d’autres pour répondre à des demandes différentes », présente Rubben Chiche, l’un des cofondateurs de l’agence Follow, l’une des plus en vue sur le marché de l’influence français. Celle-ci représente notamment Paola Locatelli, Sundy Jules, Mayadorable, Style Tonic, Sulivan Gwed, véritables stars de leur génération. Comme Universal dans la musique ou d’IMG Models dans le mannequinat, l’agence Follow (80 salariés), ou ses concurrentes, est un intermédiaire. Follow signe avec les créateurs des « mandats de représentation d’exclusivité », qui régissent « une relation commerciale classique dans laquelle on est apporteur de business », précise son cofondateur. Quand les créateurs sont mineurs, les parents signent ce contrat, ce qui se fait aussi dans le mannequinat. « Si la relation n’est pas au beau fixe, on peut arrêter : on fait alors un protocole d’accord transactionnel », résume Rubben Chiche, pour qui l’influence est aussi un métier, ou plus exactement un panel de métiers. « Il y a le talent, mais aussi ceux qui font la veille, qui gèrent la production artistique, le côté commercial… » précise-t-il. Un secteur tout entier, qui reste pourtant en friche du point de vue du droit social. Le Parlement a adopté, le 19 octobre 2020, une loi sur le statut des influenceurs de moins de seize ans afin de tenter d’encadrer le secteur sur les horaires, la durée, l’hygiène et la sécurité des conditions de réalisation des vidéos présentant des mineurs, et les risques, notamment psychologiques, associés à la diffusion de celles-ci. Une partie de l’argent perçu par les influenceurs enfants doit désormais être versée à la Caisse des dépôts jusqu’à la majorité de ceux-ci. L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a également créé, en 2021, un certificat de l’« influence responsable », une formation de trois heures pendant laquelle les influenceurs apprennent à faire preuve de transparence sur leurs activités commerciales.

Sans horaires ni vacances.

Ces deux tentatives de régulation montrent que ce secteur encore jeune – les premiers influenceurs (les youtubeurs Squeezie et Cyprien, notamment) sont apparus il y a dix ans en France, et certains en vivent depuis cinq ans seulement – vient tout juste d’entrer dans le radar des autorités. « Certains vivent bien, d’autres non. Comme toute jeune entreprise », résume Rubben Chiche. « Il n’y a pas de règle qui dépendrait du nombre d’abonnés », assure-t-il. « Une fois leur entreprise créée, certains peuvent décider de se salarier, d’avoir la protection sociale qui est associée au salariat et de prendre une prévoyance retraite en plus. Nous les accompagnons et les conseillons sur ces sujets avec notre cabinet d’expertise comptable », assure-t-il, précisant aussi que « les créateurs de contenus ont aussi des parents qui, pour la plupart, ont les pieds sur terre et les conseillent aussi ». « Le cycle de vie d’un entrepreneur classique », résume-t-il, même s’il défend l’idée de « légiférer sur un statut spécifique de créateur de contenus » sans en préciser les contours. « Aujourd’hui, les jeunes ne rêvent pas de la sécurité de l’emploi », réagit la sociologue Catherine Lejealle. « Les gens veulent du sens dans leur activité. Le prix de la liberté passe par le fait de bricoler soi-même son propre travail. Les questions de la précarité, du droit à la retraite sont secondaires », constate-elle, observant aussi que les jeunes qui rêvent de devenir influenceur ont pour modèle des entrepreneurs qui « ont monté une start-up et sont devenus millionnaires en la revendant à trente ans ».

Thiziri Behtani est loin de ces rêves de grandeur. Malgré ses 250 000 abonnés sur YouTube et 360 000 sur TikTok, la jeune femme a les pieds sur terre. Créatrice de contenus depuis six ans sur des thématiques « lifestyle », elle a tenu à poursuivre ses études et est aujourd’hui en parcours grande école à l’IFC, en master 2 en alternance dans une agence spécialiste du référencement payant. « Je ne veux pas mettre tous mes œufs dans le même panier », résume-t-elle. Sans dévoiler de chiffres, elle révèle seulement « gagner plus avec son autoentreprise qu’avec son alternance ». Elle a déjà travaillé avec de grandes marques, fourni des prestations à plusieurs agences et participé à des événements d’ampleur, comme le lancement de nouvelles fonctionnalités d’Instagram en France (Reels). « On peut parler de carrière à partir du moment où une personne parvient à se diversifier et donc à durer », analyse-t-elle, bien qu’elle reconnaisse « qu’il est difficile de durer sur Internet ». C’est ce qui pose problème dans la reconnaissance d’un métier d’influenceur. « Il n’y a pas d’horaires, tu postes ce que tu as envie et c’est pourquoi tout le monde pense que tout est rose. Dans les faits, tu es obligé de continuer à poster pour ne pas te faire oublier : tu dois donc travailler tout le temps. » Sans horaires ni vacances. « Vu le flux, sur TikTok par exemple, si tu arrêtes de poster pendant un mois, tes abonnés auront vu un contenu énorme pendant ton absence, et tu auras du mal à remonter », reconnaît-elle, lucide.

« Le métier est idéalisé pour les mauvaises raisons », regrette Thiziri Behtani, qui parle donc bien, elle aussi, de « métier ». « Tu es amené à travailler avec des marques et tu gagnes de l’argent pour cela », explique-t-elle pour justifier le terme. Pour elle également, le savoir-faire derrière la création de contenus relève d’une activité et non d’un simple hobby. « Mon métier de créatrice de contenus m’apporte des choses différentes de mon alternance », pousse-t-elle. Autodicate, elle s’est formée aux codes et fonctionnement des plateformes, et aux logiciels de création. À l’école, elle apprend davantage les « techniques de marketing », et en entreprise, « l’analyse de données, de KPI, la stratégie ». Si elle compte bien garder son entreprise d’influence (Thiziricrazy29), en faisant évoluer le contenu au fur et à mesure qu’elle grandit, Thiziri Behtani se voit aussi, dans un avenir proche, à la tête d’une société de conseil-médias à destination des entreprises. « Le marketing est un débouché pour de nombreux influenceurs », observe-t-elle. Après les prestations de services ou les contrats signés en tant qu’auteur, artiste-interprète, ou encore mannequin, selon ce qui a été convenu avec les marques qui recourent à leurs services, les influenceurs peuvent devenir des free-lances plus classiques, et produire alors non plus du contenu sur les plateformes, mais des propositions plus globales de techniques de vente. « Nous n’avons pas beaucoup de recul sur les carrières d’influenceurs, car le métier est jeune, mais je crois que l’influence est un tremplin. Comme le fait d’être « miss France » ou « miss météo », beaucoup de jeunes deviennent influenceur avec l’idée d’évoluer, mais sans réfléchir à où ils seront dans cinquante ans », dessine Catherine Lejealle.

Sur ce secteur, des robots pilotés par intelligence artificielle apparaissent. Lil Miquela, par exemple, une influenceuse, mannequin et chanteuse américaine de fiction créée en 2016 par deux Américains, génère plus d’engagement que la plupart des influenceurs réels. « C’est une menace pour la carrière des influenceurs IRL (In Real Life1, ndlr) », regrette la sociologue. Et avec elle, les questionnements de l’éthique ou de la déontologie pointent. Comme une preuve que l’influence est bien un métier, à régulariser.

(1) "In the real life" - Dans la vraie vie.

Auteur

  • Lucie Tanneau