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EXCLUSIF Carole Granjean : «Nous maintiendrons un haut niveau de soutien à l’apprentissage»

Actu | Entretien | publié le : 01.11.2022 | Benjamin d’Alguerre

Elle vient de lancer la réforme des lycées professionnels, se prépare à lancer un grand service public de la validation des acquis de l’expérience, a promis de s’attaquer aux difficultés financières du système de la formation professionnelle et d’apprentissage. Carole Grandjean, ministre de l'Enseignement et de la Formation professionnels, détaille sa feuille de route.

En 2017-2018, vous étiez la rapporteuse du troisième volet du projet de loi « avenir professionnel » avant qu’elle ne soit promulguée. Avec le recul, comment jugez-vous les effets de cette loi?
 
Carole Grandjean: Cette loi a revu le fonctionnement de notre système de formation dans son intégralité, en particulier en matière d’apprentissage ou de qualité de l’emploi. C’est une réussite: l’apprentissage a changé d’image auprès des familles et des jeunes. Cette voie de formation est reconnue pour ce qu’elle est, une voie d’excellence et d’insertion dans l’emploi. Nous ambitionnons un million d’apprentis par an, là où on en comptabilisait moins de 300.000 avant la réforme. Pour ce qui est de la formation professionnelle, grâce au CPF, celle-ci est devenue un objet concret et accessible à tous. Elle comporte également des avancées importantes en matière d’égalité femmes-hommes avec la mise en place d’un dispositif de mesure et de réduction des écarts de rémunération femmes-hommes ou encore la modernisation de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés pour la rendre plus efficace.

Le problème des démarchages commerciaux abusifs relatifs au CPF a environ quatre ans pour trouver une solution réglementaire. Pourquoi?

C.G.: La nouvelle version du CPF est entrée en application le 21 novembre 2019, avec le site et l’application « Mon Compte Formation ». Le démarchage abusif, quant à lui, a explosé plus récemment, en 2021, au moment de la fin de la conversion des droits DIF au CPF. Le Gouvernement comme les parlementaires ont tenté de légiférer dès la fin d’année 2021 sur le sujet, mais les conditions n’étaient pas propices. Cependant, notre volonté est restée intacte. Nous nous sommes attaqués très concrètement à cette question dès la rentrée parlementaire car nous devons protéger les Français de ces démarchages abusifs.

Une première simplification du processus de VAE a été présentée dans le projet de loi «plein emploi» pour les aidants familiaux. Quelles sont les autres mesures à votre agenda pour faciliter l’accès à la validation des acquis de l’expérience et atteindre les 100.000 VAE par an?

C.G.: La loi votée en première lecture à l’Assemblée nationale va finalement au-delà de l’ouverture de la VAE aux seuls proches aidants, on y observe tout l’intérêt du travail parlementaire. L’article 4 originel contenait également des mesures visant à faciliter l’accès à la VAE, en permettant d’inclure les périodes de mise en situation en milieu professionnel dans l’appréciation de l’expérience acquise, et à faciliter le financement des parcours de salariés en transition professionnelle. Les députés l’ont considérablement enrichie afin de permettre une simplification du régime juridique de la VAE, ouvrant le chemin à une refondation de sa procédure par voie réglementaire, permettant l’accès à des blocs de compétences, doublant le congé de VAE et desserrant l’étau législatif autour de la mobilisation des jurys. Par voie de conséquence, le Gouvernement a souhaité créer un véritable service public, chargé de coordonner les acteurs et dont l’objectif est de constituer le guichet unique de la VAE de demain. Reposant sur le déploiement d’une plateforme numérique dédiée, ce service public saura promouvoir la VAE auprès de tous les actifs, demandeurs d’emploi comme salariés, et nous donnera les moyens de nos ambitions!

En tant que députée lors de la dernière mandature, vous aviez fait de la lutte contre le sexisme au travail l’un de vos sujets de prédilection. Aujourd’hui, comment jugez-vous l’action des entreprises sur ce plan et quelles réponses «formation» existent à leur disposition?

C. G.: Déclarée grande cause du quinquennat par le président de la République le 25 novembre 2017, l’égalité entre les femmes et les hommes mobilise aujourd’hui l’ensemble du Gouvernement et s’inscrit dans une stratégie forte et ambitieuse. Nous devons mieux prévenir ce sexisme. Tout ne peut pas passer par la sanction. La formation est un levier essentiel de notre action en la matière: plus grande sensibilisation des salariés, formation obligatoire des membres de la délégation du personnel du CSE et instauration d’un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, etc. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, sur laquelle j’ai beaucoup travaillé en tant que députée, a permis de lui redonner toute son importance.

Concernant l’apprentissage, comment pensez-vous engager les entreprises à poursuivre leurs efforts alors que le risque d’une minoration des coûts-contrats pèse sur eux doublée d’une possible fin des aides à l’embauche début 2023? Cela ne risque-t-il pas de mettre en péril d’objectif du million d’apprentis à l’horizon 2027?

C. G.: La redéfinition des niveaux de prise en charge des coûts-contrats est anticipée par l’ensemble des acteurs, puisque prévue par la loi depuis 2018 et discutée avec toutes les parties prenantes. Elle répond à un objectif clair: rapprocher le niveau de financement de l’apprentissage du juste prix, c’est-à-dire des coûts réels de formation constatés dans les centres de formation d’apprentis. Grâce à une analyse fine des données comptables des centres de formation d’apprentis, les branches professionnelles peuvent mieux travailler et la mission de régulation réalisée par France compétences est plus proche de la réalité des besoins des établissements. Ce faisant, le travail de redéfinition des niveaux de financement ne comporte pas de risque sur la dynamique haussière constatée depuis 2018. L’objectif est clair et a été annoncé par le président de la République lui-même: atteindre un million d’entrées en apprentissage par an d’ici la fin du quinquennat. Nous maintiendrons donc un haut niveau de soutien à cette politique prioritaire pour la jeunesse et pour les entreprises. Dans ce contexte, nous devons aujourd’hui construire le nouveau cadre de soutien aux employeurs qui s’engagent pour la formation de nos jeunes, en veillant à ce que cette aide reste attractive pour nos entreprises, tout en répondant à nos objectifs de politique publique.

Comment assurer l’équilibre financier de France compétences, mis à mal par deux pôles de dépenses (CPF et apprentissage) à enveloppes ouvertes? Cela passera-t-il par une réduction des dépenses ou une augmentation de la cotisation «formation» des entreprises, comme le demandent certaines organisations syndicales?*

C. G.: Le niveau de dépenses consenties par France compétences traduit les choix que nous portons collectivement en matière d’investissement dans les compétences. Nous aurons à clarifier la manière de soutenir financièrement ces choix dans les mois qui viennent à l’occasion de concertations que nous mènerons avec les partenaires sociaux dans le sillage de leur négociation interprofessionnelle. Dans l’immédiat, l’État assume la priorité qu’il donne à l’apprentissage et à la formation professionnelle en inscrivant au projet de loi de finances une subvention à France compétences. De surcroît, nous tirons les leçons de l’expérience pour mieux gérer la formation professionnelle. Le vote unanime d’une loi pour prévenir la fraude au CPF est une des briques de cette régulation. La révision plus proche du «juste prix» du financement de l’apprentissage en est une autre.

Quelles améliorations à apporter au dispositif « transitions collectives » qui ne décolle que très lentement?

C. G.: Le dispositif n’a pour l’instant pas rencontré son public malgré une certaine progression du nombre d’accords en 2022. Il est né dans un contexte finalement peu propice à son développement, compte tenu des mesures que nous avons prises de protection de l’économie et des emplois pendant la crise sanitaire, et nous avons eu raison. Son caractère récent ainsi que les modifications de son cadre juridique depuis sa création ont pu empêcher les acteurs de se l’approprier. La multiplicité des acteurs en jeu peut également compliquer sa mise en œuvre. Ce sont des pistes qu’il va falloir regarder. Mais pour aller plus loin, c’est l’ensemble de nos dispositifs de transitions professionnelles qui doit être repensé et simplifié. C’est un axe de la feuille de route annoncée avec Olivier Dussopt aux partenaires sociaux le 12 septembre dernier. Nous travaillerons dans les mois qui viennent, en concertation avec eux, pour mettre en place un accompagnement des reconversions professionnelles à la hauteur des enjeux des transitions écologiques et numériques et pour répondre aux aspirations des actifs, de plus en plus nombreux à vouloir changer de métier.

Comment se présente la grande réforme à votre agenda, à savoir celle du rapprochement entre enseignement professionnel et formation professionnelle? Des pistes de travail et un calendrier sont-ils déjà avancés?

C. G.: J’ai un double portefeuille et deux réformes à mener: celle de la formation professionnelle touchera tous les actifs quand celle des lycées professionnels concernera un lycéen sur trois, c’est-à-dire près de 630.000 jeunes. Dans l’esprit du Conseil national de la refondation et après consultation de tous les syndicats et partenaires sociaux, j’ai lancé le mois dernier des groupes de travail qui alimenteront la réforme sur quatre axes clés: la prévention du décrochage scolaire, la sécurisation des poursuites d’études, l’amélioration de l’accès à l’emploi et le développement de marges de manœuvre et de capacités d’initiatives accrues au niveau des établissements. Ce cycle aboutira au début de l’année prochaine, pour une application progressive de la réforme souhaitée à partir de septembre 2023.

* Note: entre le moment où ces propos ont été recueillis et ceux où ils sont publiés, le Gouvernement a fait voter, par l'intermédiaire d'un amendement au PLF 2023, le principe d'une « régulation » de l'usage du CPF, possiblement par l'introduction d'un « reste à charge » pour l'usager.

 
Bio
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels

Ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels depuis le 4 juillet dernier, l’ancienne députée de Nancy – élue pour la première fois au Palais-Bourbon en 2017 – est placée sous la double tutelle du Travail (Olivier Dussopt) et de l’Éducation Nationale (Pap Ndiaye). Ancienne cadre RH chez Adecco, puis au sein du groupe Elior, Carole Grandjean a connu une activité parlementaire plutôt intense lors du premier mandat d’Emmanuel Macron. Corapporteuse de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » en 2017, elle a participé à l’élaboration de la réforme des retraites, travaillé sur le socle européen des droits sociaux, sur la fraude aux prestations sociales ou sur les droits des travailleurs des plateformes.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre