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[DOSSIER] Sexisme : la loi, et après ?

À la une | publié le : 01.11.2022 | Dominique Perez

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Sexisme : la loi, et après ?

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Si le harcèlement et les agressions sexuelles « caractérisées » semblent faire l’objet d’une certaine prise de conscience dans les entreprises, favorisés notamment par la vague #metoo, le sexisme dit « ordinaire » continue de prospérer.

« Dis-donc, Mélanie, la négo va être dure. Tu veux que je te fasse une piqûre de testostérone ? »

« Elle est encore enceinte […] elle les enchaîne… »

« Je tente de promouvoir des femmes, bien que les dossiers soient techniques… »1

La salariée de la cuisine d’un hôtel : « J’ai mal à la gorge. » Le manager : « J’ai une solution pour toi. » La collaboratrice : « Laquelle ? », le manager : « Descends aux toilettes, je vais te montrer. »2

Ces propos sont des manifestations du sexisme dit « ordinaire », celui qui, surtout quand il est répété, peut freiner, voire casser une vie professionnelle, conduire au burn-out, et avoir des incidences graves sur la confiance en soi. à longueur de baromètres, d’études, de sondages devenus fréquents ces dernières années, la même réalité réapparaît, dans toute sa crudité. Dans l’un des plus récents sur la question, publié par Ekilibre conseil-Opinion Way, « 60 % des personnes interrogées déclarent avoir été exposées à au moins un agissement à connotation sexiste et/ou sexuelle dans le cadre de leur travail, et 76 % des salariés pensent que ceux-ci n’ont pas tendance à diminuer » (ils seraient même en augmentation, pour 14 % d’entre eux). « Nous constatons depuis quelques années une hausse importante des demandes d’interventions sur le sujet, à la suite d’alertes lancées par des personnes en mal-être après avoir subi des agissements sexistes », constate Jean-Christophe Villette, psychologue du travail, directeur associé du cabinet Ekilibre.

 
Des manageurs démunis ?

Les mouvements #MeToo, #balancetonporc ou #balancetonagency, qui ont contribué à libérer la parole des femmes, ont certes joué un rôle dans la prise de conscience d’abus sexuels caractérisés, mais n’auraient, selon les observateurs, pas (encore ?) entraîné de remise en question suffisante d’un sexisme ordinaire, quotidien, ancré. Et qui représente pourtant souvent la première marche vers des abus et délits plus « voyants ». Pour Jean-Christophe Villette, les mouvements tels que #MeToo ont mis en avant la question de l’agression sexuelle dans ses formes les plus « visibles ». Mais « identifier que votre comportement ou celui de votre voisin est réellement sexiste est beaucoup plus difficile ». Surtout dans un pays que l’on dit « latin », ce qui pourrait culturellement justifier une certaine « grivoiserie » et expliquerait une tolérance encore largement partagée sur ces sujets. Un « sexisme ordinaire, basé sur des stéréotypes, celui qu’on reçoit en héritage et auquel on ne prête plus attention », comme le désigne Dominique Carlac’h, vice-présidente du Medef. Se faire rabrouer, voire sanctionner quand pour la énième fois (mais qui sera celle de trop) on interpelle une collaboratrice avec un « petite ! » ou « mignonne ! » est souvent l’occasion d’un retour effarouché de l’auteur sur le mode « on ne peut plus rien dire ». Faire prendre conscience de l’aspect humiliant de certains propos, des frontières entre la bonne blague et l’agression verbale, entre la séduction et le harcèlement, reste « le » chantier prioritaire. « Le sexisme est aussi une histoire de consentement, précise Stéphane Poncet-Miquel, chargé de mission formation et ingénierie pédagogique, intervenant et formateur sur la prévention du sexisme à l’Association nationale pour une amélioration des conditions de travail. On n’est pas là non plus pour armer une police des mœurs… Une politique de prévention est réussie quand une personne qui se sent indisposée par un comportement peut faire valoir son non-consentement. »

Une prise en compte tardive

Pour sanctionner « ces comportements ou pratiques, conscients ou inconscients, fondés sur des stéréotypes de sexe, de genre, qui vont justifier des passages à l’acte verbaux, physiques… », comme les définit Stéphane Poncet-Miquel, l’arsenal législatif est de mieux en mieux fourni. Ainsi de la dernière loi, entrée en vigueur le 31 mars 2022, qui étend la définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail aux propos et connotations sexistes. Mais le sujet n’est véritablement pris en compte que depuis cinq à dix ans, avec des initiatives certes assez médiatiques, mais non généralisées. Le Medef l’a, par exemple, inclus pour la première fois en tant que tel en 2013, au sein d’une commission consacrée à l’innovation managériale. « Nous avons estimé que nous avions quelque chose à dire sur ce thème, qui a pour conséquence la démotivation, le questionnement, voire le déclenchement des conflits dans l’entreprise… », explique Dominique Carlac’h. L’organisation patronale a ensuite déployé des actions nationales de sensibilisation et de formation. Et signé, en tant qu’employeur, la charte Stope, (Stop au sexisme ordinaire en entreprise) marquant l’engagement majoritairement de grandes entreprises et d’organisations qui n’ont quasiment plus le choix que de s’emparer de la question. Un collectif créé en 2018 sous l’impulsion d’Anne-Laure Thomas, directrice diversités et inclusion de L’Oréal. « S’attaquer au sexisme ordinaire était fondamental pour moi, explique-t-elle. Il a une influence très forte pour les femmes dans l’entreprise, sur leur confiance en elle, leur crédibilité… J’ai appelé deux de mes homologues sensibilisées, chez Accor et EY, et nous avons travaillé sur des actions prioritaires définies avec Brigitte Grésy, (présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes depuis 2019). » Trente entreprises, établissements publics et établissements d’enseignement supérieur se réunissent très vite autour de ces engagements, qui prévoient une tolérance zéro face aux comportements sexistes sur le lieu de travail, un accompagnement personnalisé des victimes, des témoins et décideurs dans la remontée et la prise en charge des agissements déviants, la sanction des comportements répréhensibles… « Nous ne sommes pas concurrents sur cette thématique, estime Anne-Laure Thomas, aujourd’hui vice-présidente de l’Association française des managers de la diversité qui gère le dispositif. Nous nous réunissons tous les trois mois pour échanger, s’inspirer de ce qui est mis en place. » Dans une grande discrétion pour le moment quant au contenu précis de l’état des lieux et des mesures prises, tant le sujet reste sensible. Mais « l’engouement » semble bien présent. Fin janvier 2023, plus de 200 entreprises et écoles seront engagées. Une urgence pour la directrice de la diversité : « Dans notre premier baromètre, publié en 2021, 80 % des femmes estimaient être régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes. »

Une loi du silence encore prégnante

La relative « jeunesse » des actions mises en place, l’envergure du problème, ainsi que la peur du scandale rendent difficile une vision concrète de leur efficacité. « Nous espérons que le prochain baromètre, prévu en 2023, laissera apparaître des évolutions positives », explique Anne-Laure Thomas. Si, aujourd’hui, la plupart des grandes entreprises ont mis au moins des actions de sensibilisation sur le sujet en conformité avec la loi, ce n’est cependant majoritairement pas le « cas des PME et des TPE », souligne Jean-Christophe Villette. De plus, il y a « très peu d’indicateurs sur l’efficacité de ces plans ». Le risque d’avoir une version édulcorée de la réalité, comme un « greenwashing » appliqué à cette question sensible, est bien là. Car la loi du silence prévaut encore trop souvent, notamment dans des entreprises plus petites, et surtout moins « exposées » médiatiquement, comme le constate Maud Descamps, formatrice spécialisée dans la prévention des violences sexistes et sexuelles, qui a réalisé un mémoire de fin d’études intitulé « La prévention des violences sexistes et sexuelles, le cas de l’hôtellerie », dans le cadre du diplôme égalité femmes-hommes à l’université de Grenoble Alpes. Si ces violences ne sont pas l’apanage de certains secteurs ou de certains métiers, elle avait « l’intime conviction que ce sujet relevait à la fois d’un tabou ou d’un impensé, ou, à tout le moins, qu’il était rarement au programme des formations du public hôtelier, explique-t-elle. Il n’y a pas à ma connaissance de données sectorielles en France sur le harcèlement sexuel, par exemple ». Les témoignages des directeurs et directrices d’hôtel interrogés dans le cadre de son mémoire sont éloquents : « […] Quant aux modes de communication entre collègues, certains les qualifient « d’archaïques et un peu bourrins. » Les avis sont encore plus marqués s’agissant de la restauration : « La cuisine c’est vraiment chaud, c’est un monde ultra macho où les femmes sont traitées comme des moins que rien », commente une directrice de chaîne hôtelière. Faire évoluer les comportements prendra du temps, d’autant qu’à la stricte question de l’égalité femmes-hommes s’ajoutent les agissements sexistes à l’encontre des personnes LGBTQ+. « Il y a un mouvement général qui affirme : « ce qui n’est pas comme moi est contre moi », explique Catherine Tripon, porte-parole de l’association l’Autre Cercle, co-responsable du pôle employeurs. Chacun se retranche dans sa communauté d’intérêt. Ce qui relève de la société, c’est le rôle de l’État. Sur le lieu de travail, il devrait y avoir un espace pour traiter ces sujets. » La dernière enquête de l’association sur les lesbiennes et personnes bisexuelles en couple montre notamment que 53 % d’entre elles déclarent avoir subi au moins une discrimination ou une agression au cours de leur vie professionnelle…

Les principaux facteurs d’exposition au sexisme

L’Association nationale pour une amélioration des conditions de travail a identifié les principaux facteurs d’exposition au sexisme. Par exemple, « contrairement à ce que l’on peut penser, un faible degré de mixité va favoriser les agissements sexistes, explique Stéphane Poncet–Miquel. Généralement, quand c’est le cas, c’est que souvent les postes sont assez ingrats et que globalement les hommes ont du pouvoir, les femmes non. Deuxième niveau de vigilance : la situation d’emploi des personnes (travail précaire ? stagiaire ? alternant ?). Troisième niveau : la situation de la personne, qui peut être fragilisée quand elle vit une mobilité (promotion, changement de métier, de fonction…) Enfin, les conditions de travail peuvent également représenter des facteurs aggravants (travail isolé, horaires atypiques) ».

(1) Phrases retenues comme slogans par le collectif « Stop au sexisme ordinaire ».

(2) Exemples cités par Maud Descamps, formatrice, dans son mémoire « La prévention des violences sexistes et sexuelles : le cas de l’hôtellerie » (dans le cadre du diplôme universitaire égalité femmes-hommes).

Auteur

  • Dominique Perez