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[DOSSIER] Contre le sexisme sur le lieu de travail, sensibiliser et former

À la une | publié le : 01.11.2022 | Dominique Perez

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Contre le sexisme sur le lieu de travail, sensibiliser et former

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Si la loi est un garde-fou essentiel qui permet de qualifier et de sanctionner au besoin les agissements sexistes, la nécessité de former non seulement les personnes chargées de cette question dans les entreprises, les manageurs, mais également tous les collaborateurs se fait jour. Libérer la parole est une étape indispensable.

« Quand j’ai été confrontée à ce problème dans mon entreprise, je me suis sentie extrêmement démunie », raconte cette dirigeante de société de conseil (qui souhaite rester anonyme). Son problème ? Elle devait faire face à des agissements sexistes répétés provenant d’un cadre de son comité de direction. Ce dernier avait, par exemple, pris l’habitude de lancer des « bon après-midi ! » goguenards à une collègue obligée d’aller chercher son enfant à la crèche à 17 h 30. Femme convaincue, elle s’est retrouvée face à un dilemme qui l’a « rendue malade ». « Pour faire face, je suis partie « du haut », en proposant au management de travailler sur le thème : « Comment peut-on avoir une symétrie d’attention entre celle qu’on accorde aux clients et aux collaborateurs, en liant compétitivité et attractivité ? » Nous avons réalisé un code de bonne conduite, comprenant les agissements sexistes, mais pas seulement, et, pendant deux ans, nous avons communiqué dans l’entreprise sur les comportements qui posent problème, en donnant des conseils pour adopter les bonnes attitudes et réagir. » Un travail de longue haleine, « profitable à tous, qui a permis de changer les pratiques managériales dont nous avons notamment eu besoin pour gérer nos équipes pendant la crise Covid. Car ce type de défaillance managériale s’est parfois révélé à cette occasion »… Aborder la question de manière collective et non en pointant du doigt un ou une coupable, quand il ne s’agit pas d’un acte pénalement condamnable immédiatement, est le conseil donné par les experts. « Pendant très longtemps, le sexisme était vu comme un problème interpersonnel, explique Stéphane Poncet-Miquel, chargé de mission formation et ingénierie pédagogique, intervenant et formateur sur la prévention du sexisme à l’Association nationale pour une amélioration des conditions de travail. Alors qu’il concerne tout le monde, déjà parce que les lois et réglementations s’appliquent à tous et que, dans le cadre du travail, on ne peut pas tout faire. »

 
Des outils qui s’adaptent

Pour apprendre à reconnaître, à faire face et à sanctionner au besoin ces agissements, l’offre de formation s’étoffe depuis quelques années, notamment à destination des référents harcèlement sexuel et agissements sexistes, dont la désignation est obligatoire dans les CSE des entreprises de plus de 250 salariés depuis 2019. Des stages qui rencontrent de plus en plus de succès, selon le groupe Cegos, qui les a inscrits à son catalogue il y a un peu plus de deux ans. « Nous avons eu une première demande spécifique d’une entreprise souhaitant former sur ce sujet, explique Isabelle Drouet de la Thibauderie, responsable de l’offre RH de l’organisme. J’ai alors proposé de créer une journée de formation, ce qui a été approuvé par notre comité stratégique. » Avec un succès fulgurant, qui place cette proposition dans le « best 100 » des stages de l’organisme, classement déterminé en fonction du volume de stagiaires. « La mise en place des référents a certainement été un booster, mais on voit aussi que la parole s’est libérée, estime-t-elle. Les entreprises mettent en place des procédures de traitement des agissements sexistes et sexuels et elles risquent une pénalisation si elles ne les prennent pas en compte. » Au programme : caractériser et définir, connaître le cadre juridique du sexisme, identifier les comportements à risque, les conséquences psychosomatiques, mettre en œuvre une prévention, adopter des comportements adéquats et apprendre à réagir en tant que victime, témoin, RH ou référent… Des bases de connaissance qui, au grand dam des syndicats, n’ont pas été inscrites comme obligatoires dans la loi. « Les organisations syndicales sont à l’origine de la création des référents harcèlement sexuel et agissements sexistes », rappelle Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT chargée notamment de l’égalité entre les femmes et les hommes. « Mais elles avaient demandé que les référents aient des droits et des moyens spécifiques, ce qui n’est pas le cas. Ils ne bénéficient pas d’heures de formation supplémentaires sur ce thème, de crédits d’heures dédiés, et leurs prérogatives ne sont pas claires. Ils n’ont pas de locaux garantis pour recevoir la parole des victimes. Nous avions également demandé que des délégués de proximité soient prévus. Nous avons ainsi de plus en plus de référentes et référents en souffrance… » La suppression des CHSCT a fait que l’on a perdu encore les moyens. C’est une étape, parce que ça permet de bien qualifier la problématique, mais on ne peut pas en rester là. »

 
« Se mettre à la place de l’autre »

Faire face à la méconnaissance et à un certain déni suppose, également, au-delà de la formation des ressources humaines et des référents, de sensibiliser et de former collectivement les salariés. Si le management a un rôle clé, ce sont en effet les collègues, selon notamment le sondage Ekilibre/Opinion Way sur les violences sexistes et sexuelles qui, pour 58 % des personnes interrogées, sont auteurs de ces actes. Tous concernés, c’est la conviction notamment d’Élisabeth Chaudière, dirigeante de l’organisme de formation Ekiwork, qui, en plus des responsables des ressources humaines, référents et manageurs, propose des stages destinés à l’ensemble des collaborateurs. Un des outils utilisés étant la réalité virtuelle, pour sensibiliser le plus grand nombre. « On apprend à chausser d’autres lunettes, à identifier les violences, en utilisant notamment une pyramide qui permet de les classer (voir ci-contre), avant de proposer des mises en action. » Vidéos, mises en situation, jeux de rôle… des méthodes pédagogiques peuvent provoquer un électrochoc, mais surtout visent à libérer la parole. « Il faut des moments d’échange pour une prise de conscience collective, estime Élisabeth Chaudière, car tout le monde ne vit pas la même réalité. Dans différents services d’une même organisation, certains peuvent ne pas être, ou se sentir concernés de la même façon. » La start-up Reverto conçoit des programmes de réalité virtuelle pour la prévention des risques psychosociaux, et a commencé son activité par la thématique du sexisme. Dans la peau de Myriam, préparatrice de commandes, les participants sont confrontés brutalement à des propos et des situations difficiles, sous formes de grosses blagues ou d’injonctions, type « tu es la seule femme, tu dois être à la hauteur. Franck il est un peu lourd, mais il bosse bien… » L’entourage rit, ou au mieux proteste mollement…jusqu’à l’agression sexuelle caractérisée dont Myriam est victime de la part du fameux Franck… Quinze à vingt minutes de sensibilisation à la suite desquelles l’échange est nécessaire, pour Guillaume Clere, dirigeant et fondateur de Reverto : « Parfois, certains salariés disent que c’est exagéré, alors que d’autres leur rétorquent : « j’ai vécu cela hier ». Ce sont des sujets sur lesquels les gens viennent souvent en traînant les pieds. Il faut parvenir à dédramatiser, et montrer que tout le monde peut être victime, témoin et auteur. En quinze minutes, tous ont les règles de base pour identifier, connaître la loi et savoir comment réagir quel que soit son statut. » Procès médiatisé nécessitant d’agir « rapidement et fortement », ou prise en compte du sujet suite, par exemple à une féminisation des équipes qui ne se déroule pas bien… Quelles que soient les raisons et les intentions des entreprises et organisations qui programment ces immersions, « elles permettent ensuite que la parole s’ouvre, que les vécus remontent sur ces sujets compliqués, explique Guillaume Clere. C’est l’occasion, pour les RH notamment, d’informer sur leur rôle et celui des référents. Car les problèmes majeurs sont la méconnaissance des procédures et de l’identification des personnes ressources de l’entreprise ». Quand elles existent vraiment, autrement que sur le papier, ce qui n’est, semble-t-il, pas encore une généralité.

 

Une initiation nécessaire dès l’école

S’il est courant d’affirmer que les jeunes générations, y compris masculines, sont de plus en plus ouvertes à la question de l’égalité professionnelle femmes-hommes, notamment pour vivre une parentalité plus « apaisée », des scandales répétés ont secoué le monde des grandes écoles, qui ont dû réagir. Bizutages violents, constitution de « boys clubs » … Déjà à l’origine d’une charte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur en 2013, la Conférence des grandes écoles prône des cours de mixité et une politique de tolérance zéro en cas de faits de sexisme. À Grenoble École de management, « des étudiants de master en finance ont mis en place un baromètre qui porte sur les atteintes dont les étudiants et étudiantes ont pu être victimes », explique Séverine Le Loarne, responsable de la chaire femmes et renouveau économique (Fere) de l’école. « C’était le cas de 77 % des filles, dans notre dernier baromètre, et de 23 % de garçons (en butte notamment à des blagues sur les personnes gays). Parallèlement, une cellule d’alerte a été mise en place depuis 2019, juste avant qu’elle ne soit obligatoire. Depuis cette année, tous les étudiants ont une sensibilisation sur les violences sexistes et sexuelles, le harcèlement sexuel, moral… avec un quiz à remplir chaque année, qui permet de dire « vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas », et de mesurer les évolutions d’une année à l’autre ».

Auteur

  • Dominique Perez