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Idées

Les Scop : anatomie d’un autre pouvoir

Idées | Livres | publié le : 01.10.2022 | Lydie Colders

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Les Scop : anatomie d’un autre pouvoir

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Dans « Coopérer », la sociologue Marie-Catherine Wagner passe au crible le fonctionnement des Scop, où le personnel détient une partie du capital et des droits de vote. Une enquête instructive sur la fabrique d’une certaine démocratie au travail.

Chacun connaît la lutte emblématique des Fralib, qui ont repris en Scop l’usine de thés lorsque Unilever a fermé le site en 2014. Reprises par les salariés, mais surtout créées ex nihilo, les coopératives sont très diverses : militantisme ouvrier, d’utilité sociale, Scop de cadres dans les services. Alternatives au capitalisme, elles ont le vent en poupe et comptent 67 200 salariés pour 6,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Que devient le capital lorsqu’il n’est plus détenu par des financiers mais par des employés ? Comment s’approprient-ils ce rôle de sociétaire ? Comment coopèrent-ils pour décider des promotions ou de l’activité ? Dans cette enquête poussée, la sociologue Marie-Catherine Wagner analyse les forces et les tensions dans ce nouveau rapport au travail et au capital. En particulier chez Scop Ti (ex-Fralib), Isolec, une coopérative industrielle ancienne de salariés dans la Drôme, ou, à l’opposé, Cablor, une Scop très entrepreneuriale. Chez ScopTi, bastion de la CGT, le ciment militant reste « le capital social important ». D’autres coopératives, décrit l’auteure, jouent sur des leviers différents, comme l’esprit communautaire et l’emploi local. Malgré les frictions, le livre témoigne d’une recherche d’équité salariale (échelle de 1 à 3), traduisant l’attachement à l’intérêt collectif. Dans les coopératives, « les rétributions sociales et symboliques » sont importantes, comme la satisfaction des salariés de gérer leur entreprise. Reste – et les récits l’illustrent – que tous n’ont pas le sentiment d’être propriétaires. Certains ouvriers restent « dans l’habitus salarial », voyant l’achat de parts sociales comme un retrait sur salaires… Idem, la sociologue relève une implication inégale dans les AG, dépendante du statut social. Et surtout des modèles de démocraties variés, plus ou moins aboutis. Très autogestionnaire chez Scop Ti, nettement moins décisionnel chez Cablor…

Des syndicats « superflus » ?

Si certaines Scop peuvent offrir des promotions sociales assez spectaculaires, Anne-Catherine Wagner souligne le rôle « inconfortable » d’anciens syndicalistes devenus dirigeants (le premier dirigeant d’Isolec était l’ancien secrétaire CGT du comité d’entreprise). Tout en relativisant leur revirement : ces ex-syndicalistes « ne se voient pas comme patron », mais comme militants. Son enquête pointe néanmoins le faible poids des syndicats, leurs ambivalences aussi face à l’esprit coopératif. Des témoignages intéressants, attestant d’un paradoxe : dans ces entreprises où l’on est à la fois salarié et coopérateur « comment protester collectivement contre soi-même » ? Conseil d’administration comportant tous les collèges, proximité avec la direction semblent amoindrir les conflits sociaux, constate la sociologue. En tout cas, dans certaines Scop. Un portrait parfois critique. Mais, sur le fond, l’auteure défend l’intérêt des coopératives qui s’ouvrent à « une autre conception du travail et du capital ».

Coopérer,

Anne-Catherine Wagner, Ed. CNRS, 328 pages, 25 euros.

Auteur

  • Lydie Colders