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Enjeux juridiques autour de la mobilité du salarié

Idées | Juridique | publié le : 01.10.2022 |

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Enjeux juridiques autour de la mobilité du salarié

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Parce qu’en droit un contrat ne se modifie qu’avec l’accord des parties, la mobilité du salarié est une question redoutable, dont le traitement nécessite de distinguer plusieurs hypothèses.

La mobilité décidée par l’employeur

Le cas le plus simple est celui de la mobilité dans le secteur géographique initial du salarié, que l’employeur peut imposer en vertu de son pouvoir de direction. En droit, ce qui s’énonce simplement est souvent plus complexe dans sa mise en œuvre. La notion de « secteur géographique », d’origine jurisprudentielle, ne fait ainsi l’objet d’aucune définition précise. Il faut apprécier au cas par cas sur la base d’un double critère de distance et de temps de transport sans que les juges soient liés d’une quelconque façon par les découpages administratifs (département, région, etc.). Par exemple, un employeur a pu imposer une mobilité de Romainville à Antony, mais pas de Versailles à Chartres. La limite du secteur géographique ne joue pas en cas de déplacement occasionnel ou temporaire à la condition que la mobilité soit dictée par l’intérêt de l’entreprise, justifiée par des circonstances exceptionnelles et que le salarié en ait été préalablement informé. Sur cette base, un lad-jockey n’a pas pu refuser de travailler pendant dix jours au centre d’entraînement de Chantilly situé à 300 km de son centre habituel. Inversement, aucun changement de lieu, même mineur, ne peut être imposé lorsque les parties ont contractualisé le lieu de travail. Cela requiert de rédiger très attentivement la clause relative au lieu. Si le contrat se contente d’indiquer que le travail s’effectue à telle adresse, la clause sera réputée simplement informative et n’aura aucune portée. Il faut montrer la volonté des parties d’en faire un élément qui les engage, par exemple stipuler que « les parties conviennent que le travail s’effectuera exclusivement dans tel lieu ».

La clause de mobilité

S’il dépasse le secteur géographique, le changement modifie le contrat de travail. L’accord systématique du salarié est alors nécessaire. Intervient ici un autre type de clause : la clause de mobilité. Cette clause, par laquelle le salarié accepte par avance que son lieu de travail puisse être modifié par son employeur, peut être prévue lors de l’embauche ou, si les parties y consentent, être insérée en cours d’exécution du contrat de travail. L’employeur pourra, en présence d’une telle clause, imposer le changement de lieu à la condition bien entendu de se conformer au périmètre et aux éventuelles modalités d’application prévues par la clause. Parce que ce type de clauses renforce considérablement le pouvoir de l’employeur, elles sont encadrées par la jurisprudence. Elles doivent d’abord définir précisément la zone géographique de mobilité. Le périmètre peut être large, même très large (une mobilité sur « tout le territoire français » est valable), mais il doit être précis au sens où l’employeur ne doit pas pouvoir l’étendre de façon arbitraire. Typiquement, la clause qui prévoit que « les évolutions dans l’organisation de l’entreprise pourront amener cette dernière à modifier tant l’établissement que le bureau de rattachement » n’est pas valable. Le droit ne fait pas qu’encadrer la validité des clauses de mobilité. Il contrôle aussi leur mise en œuvre, en sanctionnant l’employeur qui impose à son salarié un changement de lieu sans délai de prévenance (délai laissé à l’appréciation du juge, sauf lorsque la convention collective ou le contrat de travail le fixent) ou en violation de son droit au respect de sa vie personnelle. Alors que ses collègues n’avaient aucune contrainte familiale, l’employeur demande à un salarié dont la femme est enceinte de sept mois de partir travailler à l’autre bout de la France. Il ne pourra pas reprocher à son salarié d’avoir refusé.

L’efficacité de la clause de mobilité se heurte à trois autres limites. Premièrement, il n’est pas dans l’objet d’une clause de mobilité de contraindre un salarié en télétravail à revenir travailler dans l’entreprise. Deuxièmement, même si de fait la mise en œuvre de la clause de mobilité obligera souvent le salarié à déménager (le juge le prendra d’ailleurs en compte dans l’appréciation de l’atteinte à la vie personnelle), l’employeur ne peut faire du déménagement une condition attachée à l’application d’une clause de mobilité, sauf cas tout à fait exceptionnel (pour un gardien d’immeuble par exemple). Troisièmement, la clause de mobilité ne permet pas d’imposer à un salarié de partir travailler dans une autre entreprise du groupe. Des montages existent pour ce faire, mais ils requièrent en principe l’accord du salarié.

L’accord de performance collective, nouvel instrument de la mobilité ?

Faute de clause de mobilité, l’employeur ne peut, comme il vient d’être vu, imposer une mobilité que dans un périmètre restreint, celui du secteur géographique. Le législateur offre aux entreprises une autre possibilité : la conclusion d’un accord de performance collective. Un tel accord peut être utilisé, prévoit le Code du travail, pour modifier la rémunération, le temps de travail ou pour aménager la mobilité, professionnelle ou géographique, des salariés. En pratique, ce type d’accord est donc parfois utilisé pour organiser le déménagement de l’entreprise ou de l’un de ses établissements, avec une efficacité redoutable puisque le salarié ne pourra pas opposer la clause éventuelle de son contrat de travail fixant le lieu de travail en un lieu précis ou une clause de mobilité qui ne couvrirait pas le périmètre du déménagement. En effet, la force de l’accord de performance collective est que, pour reprendre les termes du Code du travail, « les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail ». Et le salarié voudrait-il s’opposer au changement de lieu qu’il s’exposerait à un licenciement sans possibilité d’en contester la cause ; le Code du travail se contente d’exiger que l’accord de performance collective soit justifié par le maintien ou la création d’emploi ou par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, ce qui est très vague. Ceci étant, outre la nécessité d’un accord collectif (nombre de syndicats se montrent réticents face à ce type d’accord), le ministère a posé, dans un de ses désormais très remarqués questions-réponses, un verrou sur les déménagements organisés par accord de performance collective. Si le déménagement est la conséquence de la fermeture d’un site et que les conditions de reclassement proposées aux salariés dans le cadre de l’accord présentent des caractéristiques telles qu’un refus de la très grande majorité des salariés concernés peut être anticipé avec un degré de certitude élevé, l’employeur s’expose à être sanctionné pour avoir contourné la législation sur les licenciements pour motif économique. L’accord de performance collective est donc un instrument de mobilité des salariés à manier avec précaution dans l’intérêt de l’entreprise, mais aussi et plus encore dans celui des salariés qui se verront privés de l’essentiel des garanties attachées au droit du licenciement s’ils devaient refuser la mobilité prévue par l’accord.

Vers une mobilité verte

Sur le sujet de la mobilité, plus encore que sur d’autres sujets, la prise en compte des enjeux environnementaux est essentielle. Le législateur en a pris conscience, avec la création du forfait mobilités durables ou l’insertion d’un volet « mobilités » dans les négociations annuelles obligatoires pour les entreprises employant au moins 50 salariés sur un site et, faute d’avoir trouvé un accord, l’obligation d’élaborer un plan de mobilité. L’objectif est de diminuer l’usage de la voiture individuelle, moyen de transport le plus polluant, par des mesures alternatives, par exemple favoriser le télétravail, aménager les horaires de travail pour éviter les périodes de pointe, prendre en charge le transport en commun des salariés au-delà de l’obligation légale (50 %), se doter d’une flotte de vélos et/ou d’un service d’entretien des vélos, etc. Promouvoir une mobilité verte constitue assurément une condition sine qua non pour que les entreprises puissent continuer dans les prochaines décennies à avoir des salariés mobiles. Le droit a, bien sûr, un rôle majeur à jouer, mais l’adoption de pratiques vertueuses de mobilité, à la fois en matière de respect de l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle des salariés et de respect de l’environnement, est aussi une question d’éthique des entreprises. Avec les outils de communication dont on dispose aujourd’hui, et la prise de conscience des risques environnementaux, la question de la mobilité des salariés ne peut plus être traitée aujourd’hui comme il y a seulement dix ans !