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Une première norme Afnor sur les soft skills fin 2023

Dossier | publié le : 01.10.2022 | Benjamin d’Alguerre

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Une première norme Afnor sur les soft skills fin 2023

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L’ouvrage collectif « Le défi des soft skills » ambitionne de clarifier le maquis des compétences transférables. Une démarche poussée jusqu’à une première tentative de normalisation. Rencontre avec deux des auteurs, Michel Barabel et Jérémy Lamri.

Pôle emploi a établi un référentiel de quatorze soft skills. Jobready en liste onze. Jérôme Hoarau, Fabrice Mauléon et Julien Bouret, auteurs de « Le réflexe soft skills » (Dunod 2014), quinze. Dans votre livre « Le défi des soft skills »1, vous en cataloguez dix… Pourquoi ce nouveau classement ?

Jérémy Lamri : Cette liste est le produit d’un travail d’analyse établi à partir des plus grands référentiels soft skills existant dans le monde (l’américain Onet, les européens Esco ou eLene4work, etc.) complété par une enquête quantitative réalisée auprès de 900 participants. Nous n’avons pas engagé ce travail afin de produire une énième liste. Il en existe déjà trop. Chaque grande entreprise a établi la sienne. Certaines sont très valables, d’ailleurs. Mais elles sont réalisées de façon empirique, en fonction des besoins en recrutement de l’employeur, sans qu’un travail de classification hiérarchique n’ait été réalisé au préalable. C’est ce travail de classement que nous avons mené afin de tenter de comprendre comment les soft skills existants pouvaient se ranger en mêmes familles et couvrir ainsi l’ensemble du champ des possibles.

À l’heure où certains secteurs connaissent une pénurie de main-d’œuvre (hôtellerie-restauration, bâtiment, métiers de l’ingénierie et du numérique…) et de compétences techniques « dures », les soft skills n’apparaissent-elles pas comme un effet de mode ?

Michel Barabel : On constate effectivement un phénomène de buzz autour des soft skills, mais ce n’est pas notre sujet. Nous n’opposons pas les compétences entre elles. Il existe au contraire une réelle complémentarité entre les hard skills, ces compétences techniques que l’on acquiert par la formation, l’expérience et la répétitivité du travail, et les soft skills, compétences transversales qui peuvent désigner l’ensemble des capacités d’adaptation à des situations inattendues. On estime que la plupart des gens consacrent une à trois heures de leur quotidien de travail à des tâches qu’ils exercent pour la première fois, ce qui exige d’eux une capacité de réaction, d’improvisation et d’innovation qui constitue la base des soft skills. C’est le genre de situation où les soft skills subliment les hard skills davantage qu’ils ne s’y opposent. Concernant les actuelles tensions sur le marché du travail, il est évident qu’au vu de la situation d’urgence que rencontrent certains employeurs, les compétences techniques ou métiers prennent le pas sur tout le reste. Mais ce n’est qu’une position de court terme. À long terme, la balance entre compétences techniques et soft skills va se rééquilibrer. Ceux qui veulent privilégier les unes au détriment des autres se trompent de bataille.

À ce titre, votre démarche vise à produire une norme Afnor autour de votre définition des soft skills. Comment avez-vous engagé ce processus ?

J. L. : D’abord un constat : il existe actuellement des centaines de définitions de ce que sont les soft skills et, puisqu’il existe un marché, cette multiplicité est source de conflits d’intérêts entre personnes souhaitant que la leur soit retenue. En France, il existe bien quelques recommandations de France Stratégie en matière d’identification des soft skills, mais rien de bien clair. Nous avons donc préparé une liste de compétences valables dans tous les contextes : développement de soi, collaboration, gestion d’équipe, etc. Dix soft skills qui peuvent constituer une base adaptable à tous les usages. Le projet de normalisation a débuté en juin 2022. La publication de la norme est prévue pour octobre-novembre 2023. Il nous reste encore quelques mois de travail pour la finaliser. Évidemment, étant donné le caractère novateur d’un sujet soumis à beaucoup d’interprétations et de subjectivité, cette norme sera, dans un premier temps, expérimentale et valable pour deux ans. Elle devra ensuite être challengée en vue de mises à jour ultérieures.

On a parfois l’impression que le développement des soft skills reste un privilège de cadres. Est-ce encore le cas ?

J. L. : Aujourd’hui, oui. Les directions des ressources humaines dans les grands groupes commencent à s’équiper pour avancer sur le sujet. C’est beaucoup moins le cas dans les PME où la fonction RH est généralement absente. Les cadres demeurent encore largement les catégories les plus concernées par les soft skills, mais on commence à voir certaines professions de services qui s’impliquent très fortement sur le sujet.

M. B. : C’est dommageable car les entreprises dans leur ensemble sont concernées par l’évolution des métiers et doivent se préparer à encaisser la montée des chocs liés à la transition environnementale. Même si certaines directions RH commencent à déployer le développement des soft skills auprès des populations non cadres, on observe cependant une différence de traitement en fonction des catégories. En matière de soft skills, les dirigeants, chefs de service et cadres supérieurs ont droit à de la haute couture, les fonctions inférieures à du prêt-à-porter low cost. Cela va contre le sens de l’histoire car l’enjeu du XXIe siècle sera d’engager tout le monde dans la transformation des organisations et pas seulement quelques « happy few » !

Comment reconnaître et évaluer l’acquisition de soft skills ?

J. L. : Le fait qu’en France nous utilisions le terme anglais pour les désigner montre les difficultés à les rendre identifiables au grand public. L’évaluation des soft skills nécessite une capacité à identifier des comportements observables dans un contexte de travail donné. Une fois qu’on a fixé le cadre de cette observation, l’évaluation devient possible, mais cela nécessite de la créativité.

M. B. : La méthode classique du recrutement basé sur l’étude de CV et les entretiens avec le recruteur rend difficile l’identification des soft skills lors de l’embauche. Si l’on veut pouvoir les identifier et les évaluer, il sera nécessaire d’introduire des dispositifs de type open-badges, blockchain ou assessment-centers (suite de logiciels aidant à l’identification des compétences, NDLR) afin d’aider à la reconnaissance des compétences. Ce dernier système n’est pas révolutionnaire : l’usage de bases de données servant au repérage des compétences était répandu aux États-Unis dans les années 1970-1980. À l’époque, les processus de recrutement étaient construits autour d’entretiens structurés permettant la division du travail en un certain nombre de compétences techniques que l’on transformait ensuite en fiches de postes. On était bien mieux armé pour repérer les soft skills à l’époque qu’aujourd’hui !

J. L. : Une autre possibilité de reconnaissance est l’usage des méthodes de recrutement par simulation (MRS), comme le fait Pôle emploi. C’est une méthode intéressante car elle permet de placer une personne non-qualifiée en situation de travail et de pouvoir étudier ses capacités d’adaptation. Cela donne généralement des résultats intéressants.

N’est-ce pas un casse-tête pour les RH de mettre en place de telles méthodes ?

J. L. : Oui. C’est pourquoi elles doivent passer de plus en plus par la digitalisation et il appartient au marché de la formation de développer des solutions pour que les entreprises s’en emparent.

Quelle serait la traduction idéale du terme « soft skills » selon vous ?

M. B. : France Stratégie préconise l’expression « compétences transversales ». D’autres recommandent « compétences socio-cognitives ». Le second terme me paraît plus correct car il décrit mieux la nature de ces compétences.

Les dix compétences mises en avant dans « Le défi des soft skills »

• Communication

• Collaboration

• Influence

• Gestion d’équipe

• Transmission

• Anticipation

• Pensée logique

• Approche systémique

• Processus créatif

• Développement de soi

(1) « Le défi des soft skills », de Michel Barabel, Jérémy Lamri, Todd Lubart et Olivier Meier. 2022. Éditions Dunod.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre