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Soft skills: un sésame pour les reconversions professionnelles ?

Dossier | publié le : 01.10.2022 | Benjamin d’Alguerre

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Un sésame pour les reconversions professionnelles ?

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Faute de diplômes adéquats, certains salariés en reconversion misent sur les compétences transversales pour accéder à de nouveaux jobs. La pénurie de compétences rencontrée dans certains secteurs pousse les employeurs à regarder de plus près les dépositaires de profils atypiques. Mais l’exercice a ses limites.

« Venez comme vous êtes ». Le slogan d’une célèbre enseigne de fast-food est-il en train de devenir celui des recruteurs qui peinent à trouver les compétences dont leurs entreprises ont besoin sur un marché de l’emploi bousculé par deux années de pandémie ? « La crise sanitaire a, en partie et pour l’instant, redonné la main aux salariés dans les processus de recrutement. Confrontés à la pénurie de profils disponibles, les employeurs ont réduit leurs exigences vis-à-vis des candidats en matière de diplômes et d’expérience et peuvent être séduits par des profils plus atypiques », explique Jeanne-Françoise Chrétien, responsable conseil et solutions RH au sein de Catalys Conseil, l’un des cabinets RH sélectionnés par France Compétences en 2020 pour délivrer le conseil en évolution professionnelle (CEP) dans le grand Ouest (Bretagne, Normandie, Pays de Loire) et en Île-de-France. Le Club Med annonce ainsi rechercher avant tout « des passionnés aux savoir-faire et savoir-être correspondant à ses valeurs » pour sa saison d’hiver, indépendamment de leurs expériences passées. Idem chez Euromaster, où l’on promet formation et pleine intégration dans les dispositifs de reconversion « à tous les niveaux et à tous les statuts » aux candidats motivés par les métiers de la maintenance automobile. Même scénario au sein de la coopérative immobilière Orpi où CQP, parcours de VAE et diplômes sont proposés à ceux qui choisissent d’entrer dans la carrière sans prérequis ou avec un passé professionnel éloigné des métiers de la vente. Du côté des financeurs, l’opérateur de compétences Akto et plusieurs associations régionales Transition Pro (ex-Fongecif, qui examinent et financent les projets de transitions professionnelles) ont signé plusieurs partenariats pour accompagner notamment les projets de reconversion des salariés démissionnaires dans les secteurs pénuriques du périmètre de l’Opco comme l’hôtellerie-restauration, la sécurité ou le commerce de gros.

Changement culturel

En cette période de fortes tensions sur le recrutement, les entreprises qui, hier, privilégiaient le CV pour choisir leurs collaborateurs se sont-elles converties en urgence au recours aux soft skills ? « Les employeurs se montrent de plus en plus intéressés par des personnalités dotées de la capacité de développer de nouvelles compétences techniques et de la volonté de le faire. Cela devient le marqueur d’un engagement fort de ces individus dans leur travail », constate Damien Brochier, chargé de missions partenariat et formation professionnelle au sein du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq). « On observe un vrai changement culturel dans les entreprises sur ce plan. Les deux années qui viennent de s’écouler on fait bouger les lignes », ajoute Emmanuelle Sohier, directrice du conseil en évolution professionnelle chez Catalys Conseil. Portés par les opportunités post-crise, les salariés ont la bougeotte. À en croire le dernier rapport Reconversions professionnelles de France Compétences, ceux qui envisagent une reconversion visent davantage le changement de métier (53 %) que la mobilité professionnelle dans la même entreprise. Et pour une part non négligeable d’entre eux (42 %), le changement, c’est maintenant. Comme le note le rapport, « il ne s’écoule en moyenne que quelques jours ou quelques semaines entre le projet de reconversion et l’engagement dans un parcours. Mais surtout, les candidats à la rupture de carrière sont de plus en plus jeunes. Terminé l’époque où la reconversion professionnelle était une affaire de cadre quinquagénaire mettant son expérience au service d’une activité de consultant. Aujourd’hui, les 24-35 ans sont les premiers à frapper à la porte des opérateurs du CEP pour s’orienter vers un nouveau job. Et dans ce contexte, le réflexe soft skills devient stratégique, juge Antoine Amiel, dirigeant de l’organisme de formation Learn Assembly et membre du bureau des Acteurs de la compétence, l’ancienne Fédération de la formation professionnelle (FFP) : « Quand on change complètement de secteur et qu’on ne peut pas capitaliser sur l’expérience professionnelle, on a tout intérêt à miser sur des compétences transférables. »

Dopées par le développement du marché de la reconversion professionnelle et de l’accompagnement des transitions, les soft skills s’installent dans le paysage RH. Pour longtemps ? Jeanne-Françoise Chrétien perçoit un « trend » ascendant : « Indépendamment du phénomène lié à la crise, il y a culturellement une vraie tendance à s’ouvrir à d’autres points d’analyse de la compétence et à prendre en compte des softs skills, qu’ils soient identifiés comme tels ou pas. » Beaucoup de chemin parcouru, donc, pour cette notion apparue pour la première fois dans le monde des ressources humaines françaises en 1990 avec la signature de l’accord A. Cap 2000 de la sidérurgie, qui faisait la part belle à la « logique compétence » en matière de changement d’emploi, de secteur ou de branche, et devenue à la mode dans cette période de « grande démission » où la capacité d’un nouveau salarié à s’intégrer au sein des équipes existantes est parfois préférée à la maîtrise des gestes purement professionnels. « Il existe des employeurs qui considèrent que les compétences techniques peuvent être acquises lors de la période d’intégration du salarié dans l’entreprise car, dans certains métiers, elles sont relativement rapides à apprendre. Ils mettent donc l’accent sur la recherche de compétences cognitives comme la capacité à apprendre ou le travail en équipe », abonde Damien Brochier.

Pas plus de bosse des soft skills que de bosse des maths

Les soft skills comme béquille de l’absence de hard skills ? Cette logique a ses limites, prévient Sabrine Kennedy, membre du bureau de la branche française de l’International Coach Federation (ICF) : « Il serait dangereux de vouloir amalgamer les deux, prévient-elle. Un bon usage des soft skills ne remplace pas une compétence technique, sauf peut-être pour accélérer le processus d’acquisition. Les soft skills sont plutôt destinées à des gens disposant de compétences métiers, mais rencontrant, par exemple, des difficultés relationnelles qui les empêchent d’avancer dans leur carrière. » Même son de cloche du côté de Catalys Conseil où l’on privilégie l’alliance des deux dans les parcours CEP. « Les entreprises nous indiquent souvent que la première capacité recherchée chez un nouveau salarié, c’est sa capacité à s’intégrer », témoigne Emmanuelle Sohier. Dans ces conditions, Catalys a tendance à intégrer une composante soft skills dans ses parcours de reconversion. « Dans le cadre du processus de validation du projet de transition professionnelle, on organise certains stages de découverte et on procède à une évaluation des soft skills démontrés durant le séjour du candidat », ajoute Jeanne-Françoise Chrétien. Mais hors du terrain, une offre de formation spécifique à ces compétences transversales s’est aussi développée : organismes spécialisés, Mooc, coaching… L’apprentissage des compétences cognitives est devenu beaucoup plus accessible et diversifé. Avec vigilance, modère cependant Antoine Amiel, car dans la galaxie des formations aux soft skills, les résultats ne sont pas toujours conformes aux attentes : « Ce n’est pas avec deux jours de formation que l’on développe ses compétences transversales. Les conditions d’acquisitions de soft skills sont exigeantes : il faut de l’apprentissage pair à pair, du codéveloppement, du temps, de la pratique, de la connaissance de soi. Il n’y a pas plus de bosse des soft skills que de bosse des maths ! », énumère le dirigeant de Learn Assembly. Chez les producteurs de normes, certains référentiels soft skills nouveaux se construisent, tandis que d’autres atteignent leur vitesse de croisière. À l’image de CléA, qui, depuis 2016, certifie les compétences de bases (lecture, écriture, capacité à compter), développé et géré par les partenaires sociaux de l’association Certif Pro (ancien Copanef). Et on s’interroge aussi sur la compatibilité entre cet objectif d’acquisition de compétences transverses et la formation en situation de travail (FEST) dont la possibilité a été étendue par la loi « pour choisir son avenir professionnel » de 2018. Demeure la difficulté de l’accompagnement. Car à la différence d’une formation aux compétences techniques qui peut être dispensée en mode scolaire à des cohortes de stagiaires, les soft skills exigent du doigté et une certaine forme d’individualité. « Il reste possible d’industrialiser une certaine forme d’accompagnement, mais seulement à condition de s’adresser à un public-cible finement identifié. En revanche, la standardisation me paraît difficile car elle s’accompagnerait d’une perte de qualité », reconnaît Sabine Kennedy. Attention à ne pas faire des soft skills des promesses qui ne seront pas tenues…

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  • Benjamin d’Alguerre