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Les enjeux RH du métavers

Décodages | Tech | publié le : 01.10.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Les enjeux RH du métavers

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Très annoncé, le métavers, également nommé « Web 3 », va-t-il aussi plonger les entreprises dans un nouveau monde ? Encore embryonnaires, les initiatives se multiplient car ce nouvel espace digital pourrait devenir à la fois un terrain de chasse pour recruteurs mais aussi un sas d’onboarding et un espace de formation aux possibilités inédites.

Important le métavers ? « Il suffit de voir les montants investis par les grands de la tech pour comprendre que cela aura un impact majeur dans la vie quotidienne », estime Gwénaël Fourré, chief digital officer d’Axa France, dont le discours se veut en cohérence avec les actes de l’entreprise. L’assureur est en effet devenu propriétaire d’une « parcelle » dans un métavers depuis le 18 février. « Nous avons choisi SandBox car ses fondateurs sont français et que nous défendons un ancrage local dans nos investissements », précise-t-il. L’assureur affirme s’en tenir pour l’instant à une exploration des usages possibles et engager une démarche de sensibilisation de ses collaborateurs. L’entreprise a ainsi déjà réuni ses équipes « tech » – soit 2 000 personnes – dans une série d’événements (conférences, ateliers, rencontres informelles…) dans son espace métavers. « Chacun est venu avec son avatar, se souvient Gwénaël Fourré. Cela a suscité une grande collaboration de notre communauté tech et digitale dont environ la moitié s’est prêtée au jeu. »

En parallèle, un groupe de travail comprenant trente collaborateurs issus des différentes communautés d’Axa France a commencé à explorer les usages possibles de ce nouvel environnement numérique. La mise en contact avec des recrues ou des clients potentiels ainsi que la formation semblent constituer les usages les plus évidents à court terme. L’assureur envisage déjà des actions pour sensibiliser au réchauffement climatique ou des simulations de calculs de retraites « plus réalistes ».

Le Boston Consulting Group (BCG) se montre tout aussi confiant dans l’avenir de cet Internet « immersif ». Romain Gailhac, chef de projet senior au sein de ce cabinet de conseil, y voit un levier pour développer de nouvelles compétences « à travers des environnements plus engageants s’appuyant sur la gamification de l’expérience de learning et développement ».

Opportunité pour rencontrer des talents.

Pour les recruteurs à la recherche de profils pointus, le métavers est le bon endroit confirme Gwénaël Fourré : « Aujourd’hui, le métavers est surtout constitué de membres de la communauté digitale et de gamers. Nous pouvons y organiser des jeux auxquels peuvent participer des développeurs. Il est aussi possible de réaliser des entretiens et des tests gamifiés pour évaluer les compétences techniques des candidats. Le métavers est une opportunité pour rencontrer des talents. Nous avons déjà conclu des mises en contact avec des profils susceptibles de nous rejoindre. » Fin 2022, Axa France compte organiser un concours pour développeurs qui se déroulera à la fois dans le monde réel et dans son homologue virtuel. Sans oublier que cette incursion dans un environnement digital encore réservé à quelques happy few « démontre le caractère innovant » de l’entreprise et la positionne dans l’univers de la tech plutôt que dans celui de l’assurance dont l’attrait sur les profils digitaux est moins évident.

L’assureur est loin d’être le seul à chasser sur ces nouvelles terres numériques. Manzalab, une société spécialisée dans la réalité virtuelle qui emploie 25 salariés, collabore déjà avec des entreprises du Cac 40 et les forces armées. Fin 2020, ses équipes ont organisé « Le Village Numérique » de Pôle emploi. L’événement virtuel a accueilli 15 000 chômeurs sur deux jours. « Ces demandeurs d’emploi ont pu rencontrer une centaine d’entreprises et des centaines d’emplois ou formations ont été décrochées », détaille Clément Merville, fondateur de l’entreprise. Avantage : les adeptes du virtuel y voient un moyen de passer outre les stéréotypes. « C’est un dispositif qui réduit les biais et les discriminations puisque les rencontres se font par avatars interposés », explique Clément Merville. Stéphane Boukris, président d’Excelsior, spécialiste du recrutement et de l’événementiel dans le métavers, ajoute : « En se présentant sous l’avatar de leur choix, cela peut susciter des échanges plus libres et créer un nouveau rapport. » Attention cependant au retour à la réalité, prévient de son côté Lionel Prud’homme, directeur de l’IGS-RH : « L’avatar peut apparaître comme l’aboutissement digital du CV anonyme mais il faudra bien à un moment revenir au réel et à une personne réelle qui prend la décision. »

Résoudre le paradoxe de l’hybride ?

Jérémy Lamri, ancien conseiller RH tech de Job Teaser et cofondateur de Tomorrow Theory qui se veut être un outil de transformation managérial, évoque une perspective plus inattendue : « Il sera possible de co-créer avec les candidats des expériences de recrutement ou des tests de recrutement avec lesquels les candidats aimeraient être recrutés ! Ces tests évolueront avec les futures vagues de candidats. Ils seront la propriété de l’entreprise mais aussi celle des candidats. » Une révolution possible qui doit beaucoup à la situation du marché de l’emploi, selon le spécialiste : « Aujourd’hui, le rapport de force entre candidats et entreprises a changé. Beaucoup de personnes recrutées ne se présentent tout simplement pas. Dans certaines entreprises du Cac 40 très attractives, jusqu’à 20 % des candidats ne prennent pas leur poste après avoir signé leur contrat. Ils ont changé d’avis ou bien ils ont signé plusieurs offres et considèrent qu’une signature n’a rien d’engageant. »

Le métavers pourrait aussi faire entrer l’onboarding dans une autre dimension selon Stéphane Boukris : « Le métavers n’est pas une réplique du réel, il sert à le sublimer. C’est un espace d’évangélisation à propos de l’entreprise. Il est possible d’y mélanger des éléments des locaux réels avec des éléments imaginaires. Une fois dans les bureaux réels, les candidats reconnaissent des éléments rencontrés dans leur exploration virtuelle et c’est une source d’étonnement et d’engagement ! » Un enthousiasme que tempère Lionel Prud’homme : « Le sentiment d’appartenance se crée essentiellement en nouant des liens avec des personnes et des lieux. Il ne faut pas oublier que les développeurs se croisent régulièrement dans le monde réel. » Le métavers pourra-t-il résoudre le « paradoxe de l’hybride », cette propension à vouloir plus de télétravail tout en déplorant la dilution ou la perte du lien au collectif de travail ? « Aujourd’hui, une grande proportion de salariés souhaite quitter son entreprise, constate Clément Merville. Un turnover trop élevé est aussi un réel problème. Le métavers peut résoudre le paradoxe de l’hybride et permettre aux collaborateurs de se retrouver vraiment à distance grâce à une communication spontanée, naturelle et fluide. » Une perspective qu’envisage également Jérémy Lamri : « Le métavers peut aussi permettre de proposer des expériences pour ressouder des équipes qui vont de plus en plus travailler en mode hybride, ce qui peut créer de la distance. Il sera possible d’organiser des sessions de team building dans des métavers ou des matinées de travail créatif. » Se projetant plus avant, Romain Gailhac, du BCG, va jusqu’à imaginer des jeux assurant aux gagnants des avantages très concrets : « Il est possible d’imaginer des jeux ayant pour récompenses des “tokens” [NDLR : des jetons numériques] donnant droit à des récompenses pouvant se traduire par l’accès à des activités proposées par le CSE. »

Comme toute utilisation digitale nouvelle, le métavers comporte des risques. Si les enjeux de cybersécurité doivent être jaugés avec soin puisqu’il s’agit d’un milieu dit « persistant et ouvert », Romain Gailhac alerte sur un aléa invisible associé aux équipes RH et aux organisations : « Il y a sans doute un risque de sous-utilisation car il ne suffit pas de proposer, il faut aussi que les collaborateurs adoptent ces usages. » Comment ne pas tomber dans ce piège silencieux ? « Les équipes RH ont intérêt à effectuer des tests à petite échelle pour mesurer l’intérêt des collaborateurs pour ce type d’expérience, conseille le consultant du Boston Consulting Group. Le terrain le plus propice pour commencer est sans doute la formation. » Il appelle les équipes RH à se doter d’une stratégie « de bout en bout » et surtout à bien identifier les opportunités propres à leur organisation. « Avant de se lancer dans une expérimentation dans le métavers, les équipes RH ont tout intérêt à répondre clairement à cette question : quel est le sujet que je dois traiter et est-ce que ces technologies peuvent m’aider à avancer vers la solution ? » Quelle que soit la réponse, le métavers marque une nouvelle étape dans la dépendance accrue des entreprises à l’égard d’environnements numériques dont le fonctionnement et surtout les data leur échappent de plus en plus.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins