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Décodages

La baisse du financement d’État à l’ordre du jour

Décodages | Apprentissage | publié le : 01.10.2022 | Dominique Perez

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La baisse du financement d’État à l’ordre du jour

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Amoindrir le déficit de France Compétences en baissant le niveau de prise en charge des coûts contrats d’apprentissage : tel est la volonté du Gouvernement, qui, après avoir annoncé des mesures drastiques au cours de l’été, a calmé le jeu tout en maintenant ses objectifs.

Le 27 juin 2022, 11 h. Le conseil d’administration de France Compétences est réuni quand tombe un communiqué de presse émanant de Bercy, « annonçant la baisse de 10 % du niveau de prise en charge des coûts contrats d’apprentissage par l’État, dont 5 % en septembre 2022 et 5 % au premier avril 2023 », relate Maxime Dumont, conseiller confédéral CFTC, chef de file formation professionnelle et apprentissage. Si le but était de provoquer un électrochoc, on peut dire qu’il est atteint. Mais c’est d’abord « la forme » qui coince. « Même si l’État est majoritaire au sein de France Compétences, c’est le conseil d’administration qui doit prendre les décisions, comme dans toute association, estime le syndicaliste. Là, c’est clairement le ministre de l’Économie qui a pris directement la main. » Deuxième surprise au mois de juillet pour les représentants des CFA : le choix de baisser drastiquement le niveau de prise en charge de certifications, dont certaines mènent à des emplois très pénuriques (aides-soignants entre autres).

Depuis, l’apaisement est de rigueur. Suite à une bronca des acteurs de l’alternance, le ministère du Travail les a réunis le 29 août et a revu sa copie, en limitant à 275 les certifications devant être révisées au lieu des 3 289 initiales. « Le stress était au maximum pendant l’été », témoigne Yves Hinnekint, président de l’association de promotion de l’alternance Walt, qui regroupe environ 50 % des CFA. « Certaines formations devaient à l’origine subir une baisse de financement de 30 à 40 % ! » Même soulagement pour Pascal Picault, président de la Fédération nationale des directeurs de centres de formation d’apprentis, qui regroupe 500 directeurs de CFA. « Nous avons évité la catastrophe. S’il n’y avait pas eu ce répit, certains CFA n’auraient pas pu ouvrir au premier septembre. »

Sur le constat, tout le monde ou presque est d’accord : le déficit dit « abyssal » de France Compétences (estimé à environ 6 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année 2022) nécessite de travailler sérieusement sur le dossier, le système de financement de la formation professionnelle risquant de partir à la dérive.

Quelles responsabilités ?

Cependant, à l’heure d’identifier les « coupables », les analyses diffèrent. Pour certains, l’État doit assumer ses responsabilités. À l’image de Jean-François Foucard, secrétaire national emploi-formation de la CFE-CGC, qui estime que bien que des correctifs sur le mode de calcul du coût contrat doivent être apportés, « on peut considérer ce déficit comme artificiel, aussi bien pour le CPF que pour l’apprentissage. Les deux systèmes sont garantis par l’État, c’est dans la loi, donc à sa charge. Il n’injecte pas l’argent qu’il devrait. Et vu le contexte, il cherche à faire des économies ». Pour Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales de la CPME, ce déficit ne doit pas provoquer un retour en arrière sur la loi elle-même, qui a boosté le développement de l’apprentissage : « Qu’on doive mettre en place un dispositif d’affinement du niveau de prise en charge, c’est vrai. Mais ce système a assuré son succès, en plus des aides aux employeurs mises en place pendant la crise sanitaire. Nous souhaitons que ces deux “pieds” sur lesquels tient l’apprentissage soient maintenus. »

Ne pas faire de ce mode de formation le principal accusé du déficit de France Compétences, c’est notamment ce que demande l’organisation patronale. C’est pourtant ce qu’a fait la Cour des comptes, dans un rapport au vitriol paru en mai dernier, qui constatait, depuis la loi de décembre 2018, « une croissance du coût des formations par apprenti d’au moins 17 % et des écarts injustifiés entre formations de même niveau et de même domaine. En 2018, le montant des dépenses d’apprentissage était de 5,5 milliards d’euros. En 2021, il pourrait atteindre 11,3 milliards, sous l’effet de l’augmentation du coût des aides et des contrats d’apprentissage ».

Des branches professionnelles inégalement engagées ?

Or, maintenir les objectifs d’une hausse de l’apprentissage revendiquée haut et fort politiquement (800 000 apprentis à la fin de l’année, un million en 2027) tout en en réduisant les coûts ne ressemblerait-il pas à une injonction contradictoire ? Après une première régulation, déjà, de – 3 % en 2019, le conseil d’administration de France Compétences avait prévu de poursuivre l’effort avec une baisse de 10 à 15 %, mais sur « trois ou quatre exercices », précise Maxime Dumont. La crise Covid vient bouleverser cette intention de moyen terme. Sauver le soldat apprentissage devient une priorité nationale, et les aides aux entreprises, votées dans le plan de relance, reconduites en 2022, en représentent un des bras armés. Parallèlement, le Gouvernement décide de reporter la question des économies sur les coûts contrats pour ne pas déstabiliser le système. « Même si l’équilibre financier de France Compétences reste un objectif, nous avons décidé qu’il n’y aurait pas de baisse de niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage à la rentrée 2021, avait déclaré Élisabeth Borne, alors ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. Grâce aux primes mises en place dans le plan jeunes, la dynamique que nous avons connue l’an passé se poursuit et ce, malgré la crise. Nous sommes sur le point de dépasser le niveau, déjà historique, du nombre de contrats d’apprentissage en 2019 ce qui, dans le contexte que nous vivons, était inespéré il y a encore quelques mois. Nous devons consolider cette tendance dans l’intérêt de notre jeunesse. » Reculer pour mieux sauter ? Après la crise, Bercy, décide de réinjecter 2,5 milliards d’euros à France Compétences. Et demande, donc, au début de l’été 2022, un effort rapide avec une baisse de 10 % minimum des coûts contrats dans un calendrier resserré. Au cœur de la problématique, l’évaluation des coûts contrats qui, depuis la loi sur la formation professionnelle de décembre 2018, a confié aux branches professionnelles la mission d’établir les coûts de chaque diplôme, à partir notamment de l’analyse de la comptabilité analytique des CFA, qui permet d’établir les niveaux de prise en charge de chaque certification par France Compétences. Pour la CGT, la dérégulation du système de financement qui s’ensuit explique la situation d’aujourd’hui. « Il y a une forte inégalité entre les branches, estime ainsi Lionel Lerogeron, membre de la direction confédérale de l’organisation syndicale. Certains pratiquent l’apprentissage depuis longtemps, comme le bâtiment, et le système est assez rodé, ce n’est pas la même chose dans le commerce par exemple, dont certains CFA cherchent avant tout la rentabilité, et utilisent l’apprentissage dans ce but. Comme pour le CPF, la loi a ouvert une dérégulation du marché, avec des organismes de formation qui se créent sans véritable contrôle. »

Pour Maxime Dumont, certaines branches jouent le jeu, d’autres pas. Au moment de rendre leur copie à France Compétences, toutes n’auraient pas apporté le même « sérieux » dans l’évaluation des coûts contrats. « L’objectif était, pour France Compétences, de réaliser une économie de 300 millions d’euros, relate-t-il. On est arrivé à une régulation en mai dernier, toutes branches confondues, de – 6,5 %. Mais 160 branches professionnelles seulement sur 200 ont été vraiment actives sur le sujet. Elles ont à elles seules concentré 10 % d’économies. » Résultat : en mai 2022, l’économie réalisée sur les coûts contrats atteint seulement la moitié de l’objectif, c’est-à-dire 150 000 euros.

Que le système se soit quelque peu grippé, personne ne le conteste. « Le fait que sur un même diplôme, les coûts ne soient pas toujours identiques d’une branche à l’autre, cela pose problème, reconnaît Pascal Picault. Mais la loi est récente, c’est un marché qui doit s’autoréguler. Nous préconisons une valeur plancher pour chaque diplôme. Ensuite, si les branches veulent donner plus, cela doit être possible. » Pour Frédéric Sauvage, président de l’Anasup, regroupant une trentaine de CFA du supérieur, « nous avons une problématique de visibilité de nos coûts contrats. On en est à la 11e publication de France Compétences, les référentiels publiés intègrent les nouvelles certifications et les recommandations des branches, mais tout cela demande une grande agilité et une vision très dynamique. Or, nous avons besoin de stabilité ».

Après l’émoi estival, le Gouvernement a donc souhaité calmer le jeu. « Nous avons été entendus, poursuit-il. Cette baisse était annoncée, la question pour nous était son amplitude, particulièrement sur l’enseignement supérieur, mis en cause par la Cour des comptes. Nous avions peur que la dynamique de l’apprentissage soit cassée, nous avons été assez rassurés, on ne va pas a priori vers une baisse brutale. Reste à trouver le juste prix pour chaque parcours d’apprentissage. »

L’analyse des comptabilités analytiques de chaque CFA est-elle suffisante ? « Finalement, la majorité des valeurs proposées par France Compétences est assez cohérente avec nos charges », se rassure-t-il. Mais « le diable se niche dans les détails. La baisse est cohérente avec nos remontées de charge. Ce que l’on souhaite, c’est pouvoir expliquer aux branches la réalité de nos coûts et qu’elles aient la capacité de les évaluer ». Plus de dialogue et de co-construction, c’est la demande des responsables des CFA, satisfaits du dialogue entamé avec le nouveau ministère de la Formation professionnelle, mais « vigilants », comme Yves Hinnekint : « Nous ne crions pas victoire, d’autres chantiers s’ouvrent maintenant. Nous souhaitons une bonification de la méthode des révisions des coûts contrats. »

« Donner des moyens aux branches. »

L’échéance d’avril 2023 a été fixée pour une nouvelle révision financière basée sur les propositions des branches professionnelles. Auront-elles le temps ? C’est une vraie question pour Maxime Dumont. De quels moyens dispose la branche ? « Les commissions paritaires nationales de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNEFP) ne sont composées que de bénévoles, qui disposent seulement de 9 à 12 jours par an rémunérés pour participer aux commissions. Nous avons demandé que les OPCO puissent disposer de moyens supplémentaires pour réaliser des études pour la branche et que des formations soient proposées aux membres des CPNEFP afin que leurs membres aient des outils pour analyser les coûts contrats, les comptabilités analytiques et les régulations demandées aujourd’hui par France Compétences. Le risque est que si ce travail n’est pas fait, le choix du prince s’applique à nouveau. » Le tout dans un contexte d’inflation qui menace de faire exploser les budgets…

Auteur

  • Dominique Perez