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La variable culturelle peut-elle jouer un rôle dans la survenance du harcèlement moral au travail ?

Idées | Recherche | publié le : 01.09.2022 |

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La variable culturelle peut-elle jouer un rôle dans la survenance du harcèlement moral au travail ?

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En France, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a inséré la notion de harcèlement moral au travail (HMT) dans le Code pénal et dans le Code du travail. Le harcèlement est défini comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Cette définition générale est précisée par une jurisprudence abondante sur le sujet. La répétition d’actes s’avère nécessaire pour déterminer le harcèlement, la durée sur laquelle se déroulent ces agissements étant peu importante. Une répétition d’actes sur une quinzaine de jours a ainsi été assimilée à du harcèlement (chambre sociale du 15 décembre 2009). Les types d’actes reconnus par les tribunaux sont très divers : intimidations physiques ou morales, utilisation de mots déplacés, pratiques d’isolement. Peu importe, s’il y a eu intention de nuire. Cependant quels sont les principaux déterminants qui peuvent occasionner ces types d’actes et le facteur culturel peut-il jouer un rôle dans la modération du HMT ?

L’organisation du travail, un facteur central du HMT dans les recherches internationales

D’après nos travaux sur le sujet du harcèlement moral à partir des articles repérés dans les bases de données françaises et anglo-saxonnes, nous avons identifié les principaux facteurs relatés dans les revues scientifiques. Il apparaît ainsi que l’organisation du travail est l’une des causes les plus citées dans les articles de recherche et à laquelle les managers doivent apporter une vigilance particulière. Les managers doivent prioritairement se préoccuper de la charge de travail et des conditions de travail du salarié. Par charge de travail, il est question, par exemple, de la quantité, du rythme, de la complexité des tâches, de l’impossibilité d’interrompre le travail ou de la monotonie des tâches. En ce qui concerne les conditions de travail, il s’agit par exemple d’une exposition à des nuisances thermiques ou du fait d’exercer une activité dans un espace de travail restreint qui peut contribuer à l’escalade du harcèlement. Par ailleurs, les salariés n’ayant pas de possibilité de négocier leur planning et dépassant souvent les heures de travail prévues déclarent plus souvent être victimes du comportement harcelant. Le degré de latitude décisionnelle et d’autonomie dont la personne dispose dans son emploi est également un facteur important.

L’influence de la culture sur la survenance du HMT

Facteur moins présent dans la littérature, le facteur culturel s’avère pourtant influent dans la survenance du harcèlement moral au travail. Dans notre recherche réalisée entre début 2018 et fin 2019 sur un échantillon de 280 travailleurs sociaux du secteur public marocain, nous nous sommes intéressés à mieux cerner l’influence des facteurs culturels sur la survenance du HMT, présent au Maroc. S’inspirant de certains travaux de Hofstede (1980, 1983), cinq dimensions culturelles des travailleurs sociaux ont été investiguées dans le cadre de cette étude, à savoir : la distance hiérarchique, la masculinité, la tolérance de l’incertitude, le collectivisme et la religiosité. Les résultats ont montré que trois valeurs culturelles émergentes parmi les cinq étudiées s’imposent largement dans l’atténuation de la survenance du HMT, à savoir : la religiosité, la distance hiérarchique et la tolérance de l’incertitude. Concrètement, cela signifie que les travailleurs sociaux qui ont une forte propension à ces trois dimensions culturelles sont moins susceptibles de devenir des victimes du HMT.

Concernant le facteur « religiosité », les Marocains seraient généralement moins anxieux face à l’avenir, aux changements éventuels. Les textes religieux rappellent que « le destin est écrit et qu’on ne peut lui échapper ». Cette acceptation constituerait vraisemblablement un réconfort pour les croyants, en face de contraintes situationnelles. Cette propension culturelle ferait des Marocains une population peu résistante, voire favorable au changement.

Concernant le facteur « distance hiérarchique », les Marocains, surtout les plus âgés, se positionneraient dans un degré important de distance hiérarchique. Ils se voient systématiquement « obéir » à leurs supérieurs hiérarchiques, en adoptant des positions souvent liées à une culture paternaliste. Ces derniers manifesteraient une confiance, une absence de résistance, une acceptation des critiques, une réalisation d’objectifs ambitieux, une patience.

Tolérance à l’incertitude

Concernant le « facteur tolérance de l’incertitude », plusieurs versets du Coran et Hadith incitent les croyants à ne pas se soucier du futur. Les salariés qui seraient moins préoccupés par leur avenir composeraient mieux avec leurs collègues et leur hiérarchie et se montreraient plus patients et plus résilients vis-à-vis des comportements hostiles, tels que les agissements du HMT.

Les résultats de cette étude, très contextualisée, ne signifient pas qu’il conviendrait de gérer la survenance du HMT dans les organisations en développant la spiritualité ou encore la tolérance à la distance hiérarchique et à l’incertitude. Ils permettent plutôt d’attirer l’attention des managers sur l’influence de ces variables culturelles (et éventuellement d’autres) sur la perception du HMT par leurs collaborateurs. Aussi, ces résultats invitent les managers à prendre en considération les principales caractéristiques culturelles de leurs salariés, pour éviter de biaiser les analyses qu’ils pourraient mener par rapport à la survenance du HMT.

Bibliographie :

Bouville G., Campoy E. (2012), « une approche organisationnelle du harcèlement moral », @GRH, n° 4 (3) : 53 – 78.

Esserdi H. (2021), « le harcèlement moral dans l’entreprise publique marocaine, analyse des déterminants, modélisation et proposition de solutions », Thèse en sciences de gestion, Université Clermont-Auvergne.

Hofstede G. (1983), « the cultural relativity of organizational pratices and théories », Journal of international business studies, vol 14, n° 2, pp 75-89.

Leymann H. (1996), mobbing. La persécution au travail, Editions du seuil, Paris.

Zaitseva V., Chaudat P. (2016), « les déterminants organisationnels du harcèlement moral : une analyse d’une revue actualisée de littérature », Revue management et avenir, n° 84, p 115–134.