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Idées

Au cœur du combat des ex-GM&S

Idées | Livres | publié le : 01.09.2022 | Lydie Colders

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Au cœur du combat des ex-GM&S

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Dans « Ceux qui trop supportent », l’écrivain Arno Bertina retrace la lutte des ex-GM&S pour sauver leur usine, à travers la parole des employés. Un beau récit, solidaire et humain.

Le combat des ex-GM&S dans la Creuse a marqué le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Dans ce documentaire engagé, Arno Bertina s’y replonge, rendant hommage à « l’intelligence » de ces ouvriers bataillant pour éviter la fermeture de l’usine de La Souterraine. De 2017 à 2020, il a suivi les syndicalistes de la CGT Vincent Labrousse et Yann Augras (décédé depuis, le livre lui est dédié) ; recueilli la parole d’ouvriers et de cadres, syndiqués ou non, comme le chef d’équipe Michel Martin, licencié après 28 ans de carrière. À travers ces témoignages, l’auteur raconte le désastre industriel de ce sous-traitant de Renault et de PSA. Une histoire emblématique du capitalisme financier : depuis 1989, l’entreprise a changé douze fois de nom, Socomec, Wagon, GM&S, GMD… De la PME paternaliste, l’usine est (entre autres) passée entre les mains d’un groupe anglo-danois appartenant à des fonds de pension américains. Et les salariés de raconter les montages de facturation fragilisant l’usine, l’absence totale d’investissements. Les redressements, les rachats « à prix modiques » avec son lot de plans sociaux. Le site « passe de 360 à 314 salariés, en perd encore 40 en 2014, 156 en 2017 » déplore l’auteur. Pire, un jour, les GM&S découvrent « que chaque poste de La Souterraine a son jumeau à l’étranger ». Mécontent du choix d’un repreneur, Renault aurait externalisé en douce dans des pays moins coûteux. Ce cynisme ne surprend pas Michel : « Mais la stupeur, la colère, c’est de constater l’impunité de ceux qui font ça. Renault et Peugeot versent des dividendes extravagants à leurs dirigeants. Et quand, nous, on demande 20 000 euros pour pas crever, on obtient des coups de matraque et des gaz lacrymogènes ».

Qui « bluffe » ?

Il faudra des occupations à Paris, le « simulacre » de faire brûler leur usine en 2017 pour qu’une délégation de GM&S soit reçue par Benjamin Grivaux, puis à force d’insister, par Bruno Le Maire. Ces pages valent le détour, illustration des rapports de force entre le monde ouvrier et un pouvoir un brin méprisant. Vincent Labrousse raconte son sentiment de trahison d’avoir dû négocier dans un hôtel, non à Bercy. En changeant d’endroit, le Gouvernement avait-il « la trouille » de cette colère sociale, comme l’affirme l’auteur ? Ou reprenait-il la main ? En trois jours, les GM&S obtiendront la garantie d’un repreneur (GMD) et a priori celle des constructeurs. Mais ils « comprirent vite qu’il s’agissait d’un enfumage », GMD ne gardant pas assez de salariés pour atteindre l’objectif promis de 25 millions d’euros. En 2020, les syndicats obtiendront l’annulation en justice de ce PSE arrangé. Mais « pas un euro » ne sera investi… Aujourd’hui, l’équipementier est toujours en difficulté. Était-il possible de gagner face « à la collusion des puissants » ? s’interroge Arno Bertina. Les GM&S n’étaient pas dupes. Mais le romancier oppose leur intégrité dans ce conflit, leur courage, à une certaine lâcheté politique. Un livre prenant, d’une grande dignité.

« Ceux qui trop supportent »,

Arno Bertina, Ed. Gallimard, 238 pages, 19 euros

Auteur

  • Lydie Colders