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Frédéric Souillot, discret patron de FO

Décodages | Portrait | publié le : 01.09.2022 | Murielle Wolski

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Frédéric Souillot, discret patron de FO

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Largement inconnu du grand public malgré son élection haut la main lors du congrès de Rouen le 3 juin dernier, Frédéric Souillot, le nouveau patron de Force Ouvrière va devoir imposer sa centrale dans le monde social dès cette rentrée. Avec la réforme des retraites comme baptême du feu. [Photos Bruno Lévy]

Ne comptez pas sur Wikipédia pour vous donner un premier aperçu de qui est Frédéric Souillot, le dernier secrétaire général de Force ouvrière, fraîchement élu. Mi-juillet 2022, l’encyclopédie collaborative ne disposait pas encore d’entrée à son nom. Et celle consacrée au syndicat dont il est désormais le patron n’était guère plus bavarde. Sur Linkedin, son profil n’est même pas à jour. Sur Internet, le mystère Souillot reste entier.

Trop effacé ?

En une trentaine d’interviews, et quasiment autant de papiers sortis, l’adjectif « discret » arrive en tête de liste pour le qualifier. Rien d’exceptionnel : le même adjectif revenait concernant Christian Grolier, son concurrent direct au congrès… ou même Yves Veyrier, son prédécesseur ! Une marque de fabrique des patrons de FO des deux dernières décennies ? On est loin des coups de gueule tribuniciens de Marc Blondel. « Pourquoi élever la voix, interroge Frédéric Souillot, cela ne fait pas avancer les dossiers. Parler posément ? L’interlocuteur ne va pas se fermer tout de suite. Taper sur la table ? C’est pour les médias ! »

« À part Laurent Berger qui truste toute la place dans les médias, les autres dirigeants syndicaux ont du mal à exister, analyse Rémi Bourguignon, professeur des universités à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) Gustave Eiffel à Paris. On est sorti de ces grands leaders. » Évidemment, Michèle Biaggi, actuelle représentante des unions départementales CGT-FO de la Corse du Sud et de la Haute-Corse, ancienne secrétaire confédérale, nuance le propos : « Il est capable de taper du poing sur la table. Il n’a pas peur du patronat. » La fédération de la métallurgie dont est issu Frédéric Souillot n’est pas braquée par rapport au patronat, à la différence des trotskistes. Elle est même considérée en interne de la centrale comme le terreau du réformisme. « Des réformistes, grince un syndicaliste qui a pris un peu de distance. Autant dire qu’ils sont très à droite… À l’image de la CFDT… »

« FO a cette particularité d’avoir des courants internes très forts, commente Rémi Bourguignon. Un syndicat très déconcentré, à la différence de la CFDT, par exemple. Depuis plusieurs années, c’est toujours un leader réformiste compatible avec le courant trotskiste qui est élu. Mais, chaque DRH n’a pas le même visage de FO en entreprise. » Et c’est sans compter « les anarcho-syndicalistes et les « ni-ni », corrige un militant dans la police. Frédéric Souillot devra développer un art de la synthèse à même de satisfaire toutes les tendances.

Apparatchik ou homme de terrain ? On lit les deux à propos de celui qui pilote un syndicat qui revendique encore 300 000 adhérents. Syndicat d’entreprise, union départementale, fédération, bureau confédéral en 2015… Frédéric Souillot a gravi tous les échelons de l’appareil. Le circuit complet a duré 28 ans, depuis la création de son syndicat chez Schlumberger à Dijon.

Et s’il est amateur de moto, il n’a pas boudé son plaisir à passer des journées dans la caravane du Tour de France, dans une voiture floquée aux couleurs de son syndicat. Deux véhicules pour la CGT, deux pour FO. C’est la règle. « Il y a des salariés tout le long du parcours et les coureurs sont des salariés. » Il était là encore, pour l’édition 2022, le 9 juillet dernier, entre Dole et Lausanne. Et il s’apprête à prendre à la route à la rentrée en vue des élections professionnelles dans la fonction publique. Lille, Nantes, Grenoble, Strasbourg et Toulouse seront les villes étapes, avant le meeting de clôture le 29 novembre prochain.

Un score fragile ?

Bien ou mal élu, Frédéric Souillot ? Son score au 25e congrès national – 87,67 % – a de quoi faire pâlir d’envie plus d’un responsable politique. Mais, le jeu était quelque peu faussé, son concurrent ayant jeté l’éponge. Comme dans toute élection à la direction d’un syndicat, l’essentiel s’est joué en coulisses. Et cette fois, « plus tardivement que d’ordinaire », commente Rémi Bourguignon. Signe probablement d’une candidature qui ne faisait pas l’unanimité – même si son nom avait commencé à circuler dès 2017. « On est allé le chercher – et c’est étonnant – car il n’est pas du tout connu, lâche un patron d’une unité départementale. Pas ou très peu de circulaires en interne rédigées par lui, pas même un contact, alors qu’il a été en charge de la formation des militants, et avant cela de l’organisation… Les 87,67 % ne sont pas le seul chiffre à avoir en tête. Seules 77 % des structures ont voté pour la candidature Souillot. En creux, c’est près d’un quart de la structure de FO qui n’a pas participé à son adoubement rouennais… L’heure n’est pas à la bronca, mais beaucoup s’interrogent. Qui est donc Frédéric Souillot ? Et le discours prononcé par son prédécesseur, Yves Veyrier, fait cogiter aussi. Le secrétaire général peut être démis à n’importe quel moment, a-t-il dit. On a connu meilleure intronisation ! À cette 25e édition du congrès, des messages peu habituels ont été entendus ! » « Il a fallu faire comprendre à Christian Grolier la nécessité de son retrait, confie un autre. Cela n’a pas été facile. » De quelle manière ? Parfois, les tractations en interne peuvent se révéler très dures, dans les mots et les faits aussi. « Ce monde attise la soif de pouvoir, mais ce qui se passe dans le vestiaire, reste dans le vestiaire, résume un cadre du syndicat.

L’ombre de Jean-Claude Mailly ?

Les éléments de langage sont bien en bouche. Lors de ses premières interventions, l’expression « la mère des batailles » est revenue en boucle pour parler de la réforme des retraites, et ce sur tous les supports. « Pour l’heure, il ne prend pas de risque, dit-on en interne. Il effectue un tour de chauffe. »

Une prise de position à laquelle Frédéric Souillot n’adhère pas. « Je ne prends pas la température avant de lancer mes revendications, détaille-t-il. On les connaît déjà. Il n’y a qu’à se reporter à nos résolutions générales issues du congrès national : mettre en place une intersyndicale la plus large possible. » Aussi, le communiqué de presse commun – publié le 12 juillet dernier – à onze organisations syndicales et de jeunesse, à propos du pouvoir d’achat, est vécu comme la première victoire de la méthode Souillot. La négociation collective est au cœur du discours du nouveau patron de la troisième organisation syndicale de France. « Qu’il n’y ait pas de majorité à l’Assemblée nationale ne nous regarde pas, mais cette absence permet de redonner toute leur place aux interlocuteurs sociaux. C’est le moment ou jamais de prôner la négociation collective. Si on signe un accord national interprofessionnel (ANI) et qu’on en demande la transcription dans la loi, ce sera voté ! »

Aux critiques internes d’un manque d’expérience, Frédéric Souillot oppose volontiers la Charte sociale pour les Jeux Olympiques. Avec Bernard Thibault, ex-patron de la CGT et Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, il a contribué à son élaboration. « Comment donner une qualification aux bénévoles investis pendant ce rendez-vous mondial, détaille-t-il. Comment on doit se comporter avec les salariés ? Comment réutilise-t-on les piscines ? Comment transformer le village olympique en logements sociaux ? » De son côté, Yves Lefebvre, secrétaire général de la fédération des syndicats du ministère de l’Intérieur, rappelle les différents faits d’armes à mettre au crédit de Frédéric Souillot : la gestion aux Antilles du conflit des sapeurs-pompiers et des soignants ou le ralliement de l’UNSA-RATP à FO. « Il parle simple, avec des mots que tout un chacun peut comprendre. Fred n’est ni Jean-Claude Mailly, plus technocrate, ni Pascal Pavageau, plus politique, ni Yves Veyrier, plus technique. »

Jean-Claude Mailly, un nom qui revient souvent. « C’est une marionnette, tempête un ancien syndicaliste. Du Mailly pur jus ! Seul, Frédéric ne l’aurait d’ailleurs jamais emporté. » Frédéric Souillot s’en défend. « J’ai beaucoup de respect pour le bonhomme, détaille-t-il, mais quand il se fourvoie entre les deux tours de la présidentielle sur la retraite à 65 ans, ce n’est pas admissible du tout. » Un rappel à l’ordre qui s’est effectué au téléphone.

Un contexte complexe.

D’après les dernières mesures d’audience communiquées par le ministère du Travail, il apparaît que la maison de Marc Blondel, ou avant lui d’André Bergeron, a bien peu de poids. D’après l’agrégation des scores enregistrés par les organisations syndicales sur le cycle 2017-2020 lors des différentes élections professionnelles, FO arrive sur la troisième marche du podium avec 14,24 %, derrière la CGT (22,96 %) et la CFDT (26,77 %), mais devant la CFE-CGC (11,92 %). Et avec une perte de 1,36 % par rapport à la mesure de 2017. Une érosion, plus qu’un net recul. « Des grandes centrales syndicales, FO est la plus fragile, souligne Jean-Dominique Simonpoli, fondateur de l’association Dialogues, créée il y a bientôt vingt ans. Initier une dynamique qui sollicite sa capacité à rassembler, c’est un sujet important pour Frédéric Souillot. Un sujet pas facile car le syndicalisme – en général – n’a pas remporté de batailles depuis longtemps. »

« L’émiettement du syndicalisme est palpable, commente Caroline Diard, enseignant-chercheur à l’école supérieure de commerce (ESC) d’Amiens, avec une industrie en perte de vitesse, un secteur des services peu syndiqué, et surtout une explosion des contrats précaires. Avec un contrat à durée déterminée en poche (CDD), les collaborateurs ne cherchent pas à se syndiquer. Ils visent un contrat à dure indéterminée (CDI). La tendance à l’abandon du salariat vient aussi alimenter ce recul. » Et c’est sans compter le mouvement des « gilets jaunes » que les syndicats n’ont pas réussi à capter. Aussi, ce qui semble être, pour l’heure, le mot d’ordre du tout nouveau patron de FO, la réforme des retraites, n’est peut-être pas le combat le plus compliqué qu’il aura à mener… La menace de la suppression du monopole des syndicats dits représentatifs pour la présentation des candidatures aux élections professionnelles plane… « Une recomposition du panorama social est possible », analyse Rémi Bourguignon.

Pas de portrait capillaire.

À la tête de l’association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) entre 2018 et 2021, Frédéric Souillot connaît tout l’intérêt des quelques points d’audience grappillés. Pour rappel, quelque 120 millions d’euros ont été distribués en 2020 (derniers chiffres fournis) aux organisations syndicales et patronales. Et tout dépend de leur audience ! Les cotisations ne représentent que 20 % des ressources syndicales.

La moustache en forme de fer à cheval, la boucle d’oreille… À son grand dam d’ailleurs, voilà ce à quoi il a été résumé depuis son élection. « Bien sûr que cela revienne systématiquement m’agace, commente-il. Cela témoigne du conformisme de la société. »

« Il a été critiqué pour son look, déplore l’un de ses prédécesseurs. Il est comme ça. On n’est pas dans l’effet de mode. Au moins, on le repère ! Finalement, cela peut être un bon point, même si ce n’est pas calculé comme ça. » En réalité, adoptés à la fin de l’adolescence, ces signes extérieurs avaient pour objectif de le vieillir un peu. Son goût pour la visibilité atteint vite ses limites. Hors de question pour Frédéric Souillot de s’afficher avec la famille, ses cinq enfants… même s’il est heureux de glisser la réussite de son petit dernier au bac pro plâtrier-peintre, il y a quelques semaines.

Auteur

  • Murielle Wolski