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Face à l’inflation, les travailleurs britanniques haussent le ton

Décodages | Rémunération | publié le : 01.09.2022 | Lou-Eve Popper

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Face à l’inflation, les travailleurs britanniques haussent le ton

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Cet été, des grèves massives ont éclaté dans de multiples secteurs outre-Manche afin de réclamer des hausses de salaires. Le phénomène, qui n’est pas sans rappeler les mouvements sociaux de la fin des années 1970, promet de se poursuivre en cette rentrée.

Au Royaume-Uni, pays pourtant peu habitué aux démonstrations de force, l’heure est désormais à la contestation. Ces dernières semaines, des centaines de milliers de travailleurs se sont mis en grève ou ont menacé de le faire s’ils n’obtenaient pas de revalorisation salariale significative, dans une période d’inflation galopante. En juin dernier, 40 000 travailleurs du rail ont ainsi mis le feu aux poudres en débrayant pendant plusieurs jours, provoquant de sévères perturbations dans le pays. Cette première éruption de colère, globalement soutenue par les Britanniques a agi comme un détonateur : depuis, le monde du travail outre-Manche n’en finit plus de clamer son mécontentement.

« L’été du mécontentement ».

Quelques semaines après leurs collègues agents de signalisation, de maintenance et de sûreté ferroviaire, les conducteurs de train entamaient à leur tour un mouvement de grève le 30 juillet, au beau milieu d’événements sportifs très suivis au Royaume-Uni. Du côté du transport aérien, les appels à la mobilisation pendant l’été se sont également multipliés au sein du personnel au sol de British Airways, à l’aéroport londonien d’Heathrow. Les syndicats GMB et Unite, à l’initiative du mouvement, ont finalement baissé les armes après que la direction a accepté d’augmenter les salaires de 8 % (ces derniers avaient subi une baisse de 10 % durant la pandémie de Covid-19). Dans le secteur de la communication en revanche, le feu estival ne semble pas près de s’éteindre. Le puissant syndicat Communications Workers Union (CWU), fort de ses 190 000 membres, mène actuellement la fronde chez BT, le géant des télécoms. Plus de 40 000 employés de l’opérateur ont choisi de se mettre en grève le 29 juillet et le 1er août. Chez Royal Mail, la poste britannique, les salariés se sont également mis en ordre de bataille. Situation inédite, les managers de l’entreprise ont ainsi décidé de limiter leur temps de travail plusieurs jours durant. Le 20 juillet, près de 115 000 postiers ont, de leur côté, voté massivement en faveur d’un mouvement de grève en août si la direction n’acceptait pas de revaloriser significativement leurs émoluments.

La rentrée britannique promet, elle aussi, d’être explosive. Le plus grand syndicat d’enseignants, le National Education Union (NEU), réclame une hausse des salaires d’environ 12 % et a fortement encouragé ses membres à faire grève à l’automne si les négociations avec le Gouvernement se révélaient improductives. Outre l’éducation, le monde de la santé semble lui aussi en ébullition. Le syndicat Unison, qui regroupe près d’un demi-million de salariés au sein du NHS, le service de santé public britannique, a cessé le travail en juillet dans le sud-ouest du pays. Au sein de la British Medical Association (BMA), les médecins et les infirmières réclament respectivement une hausse de 30 % de leur rémunération au cours des cinq prochaines années. Aucun appel à la grève n’a été lancé, mais des mouvements sociaux sont cependant à prévoir dans leurs rangs. Fait plus surprenant, les avocats commis d’office ont, eux aussi, choisi d’exprimer leur exaspération face à des honoraires étatiques jugés trop bas. En perruques et robes, ces derniers ont ainsi défilé devant les cours de justice de Birmingham, Londres et Liverpool. Le mouvement, lancé en juillet, devrait se prolonger pendant une période indéterminée.

Cette série de grèves historiques a été renommée par la presse britannique « l’été du mécontentement », en référence à « l’hiver du mécontentement » de 1979. À l’époque, d’immenses mouvements sociaux avaient éclaté dans tout le pays pour protester contre la hausse des prix et le refus du Gouvernement travailliste d’augmenter les salaires au-delà de 5 %. Aujourd’hui, la situation est quelque peu similaire. Certes, l’inflation n’atteint pas les niveaux d’antan (+ 15 %) mais le Royaume-Uni fait néanmoins face à une explosion des prix inquiétante pour des millions de Britanniques, qui craignent d’être étranglés financièrement. D’après l’Office national des statistiques (équivalent de l’Insee), les prix à la consommation ont en effet bondi de près de 9,4 % en juin 2022 (contre 5,8 % en France), soit la plus forte hausse depuis le début des années 1980. Pire, la banque d’Angleterre prévoit que l’inflation atteigne jusqu’à 11 % en octobre prochain.

Augmentations de salaires.

Comme partout ailleurs dans le monde, la reprise brutale de l’économie post-Covid, combinée à la guerre en Ukraine, explique en partie la grave crise sociale et énergétique que traverse le pays. Les foyers britanniques vont ainsi devoir payer en moyenne 700 livres de plus par an (830 euros) en facture d’électricité et de gaz, soit une augmentation de 54 % par rapport à 2021. Las, ce plafond devrait augmenter encore en octobre. Outre l’énergie domestique, le prix du carburant au Royaume-Uni s’envole lui aussi. Dans les stations essence britanniques, le prix de l’essence et du gazole à la pompe tutoie désormais les deux livres par litre (environ 2,20 euros). Quant à l’alimentation, elle est de plus en plus coûteuse. Dans les supermarchés, le prix des produits a augmenté d’environ 8 %, soit la plus forte hausse en treize ans, affirme une étude du cabinet Kantar. Outre la situation géopolitique mondiale, le Royaume-Uni paie de surcroît le coût économique du Brexit. Depuis la sortie du pays de l’Union européenne, les chaînes d’approvisionnement sont en tension à cause des nouvelles frictions à la frontière. Par ailleurs, les difficultés de recrutement ont poussé les employeurs britanniques à augmenter les salaires et donc à répercuter ce manque à gagner sur les consommateurs.

Face à cet état de fait, le Gouvernement britannique conservateur a tenté d’éteindre l’incendie en déboursant près de 37 milliards de livres (44 milliards d’euros) via des ristournes sur les prix à la pompe, des remises sur la facture énergétique et la taxe d’habitation ainsi que des aides supplémentaires pour les retraités et les personnes bénéficiant de prestations sociales. Pourtant, cette enveloppe budgétaire ne convainc pas les organisations non gouvernementales. « Ce qu’il faudrait, surtout, c’est un contrôle des prix de l’énergie, avec potentiellement des renationalisations d’entreprises. Il faudrait également un encadrement plus strict du prix des produits de première nécessité et des loyers », suggère Simon Hannah, de l’association Cost of living crisis. De leur côté, les syndicats britanniques réclament une hausse des salaires qui permettrait de tenir le choc face à l’inflation. D’après une étude de l’ONG Resolution Foundation, les salaires réels (qui tiennent compte de la hausse des prix) vont chuter de 4 % en 2022.

Et cela vient se conjuguer à une tendance de fond. Car les salaires stagnent au Royaume-Uni depuis une dizaine d’années. Selon le Trade Union Congress (TUC), qui réunit plus de 48 syndicats britanniques, les travailleurs auraient perdu près de 20 000 livres depuis 2008. D’après la Resolution Foundation, les foyers les plus pauvres sont ceux qui ont été le plus durement touchés par cette perte de pouvoir d’achat. « C’est que l’on paie près de 30 ans de politique néolibérale selon laquelle le marché va naturellement tout régler. Résultat, ce sont avant tout les actionnaires qui ont bénéficié de cette politique et non pas les salariés », estime Simon Hannah. Aujourd’hui, les syndicats dénoncent un creusement des inégalités. Au sein de Royal Mail, « la direction ainsi que les actionnaires perçoivent de très larges émoluments. Le PDG a ainsi reçu 140 000 livres rien qu’en bonus », enrage Terry Pullinger, deputy general secretary (secrétaire général adjoint) du syndicat CWU. A contrario, un postier touche en moyenne 2 000 livres brut par mois (2 400 euros brut). Un montant insuffisant pour Terry Pullinger, selon lequel « les travailleurs clés ont pris conscience de leur valeur pendant la crise de la Covid-19 ». La direction de Royal Mail a cependant rappelé qu’elle avait proposé une augmentation de salaire de 5,5 %.

Limiter l’action syndicale ?

Du côté du patronat, on tente en effet de calmer jeu. « Les temps sont durs pour tout le monde. Avec une explosion inédite du coût de la vie depuis des décennies, les travailleurs sont légitimement inquiets. Mais les entreprises sont, elles aussi, touchées par la hausse de la facture énergétique et des matières premières. Il n’est pas simple pour les employeurs de maintenir des prix bas pour les consommateurs tout en augmentant les rémunérations », a estimé la Confederation of British Industry (CBI). Le Gouvernement, lui, se refuse à revaloriser les salaires, arguant du risque de spirale inflationniste. Avant qu’il ne démissionne de son poste de Premier ministre, Boris Johnson avait ainsi tranché : « Accorder une augmentation de salaires aux employés du secteur public n’aurait aucun sens puisque cela ne ferait qu’enfler les prix. » Un argument que réfute Simon Hannah : « On nous a demandé de faire des sacrifices pendant une décennie d’austérité et maintenant on nous explique qu’il faut nous serrer la ceinture parce que les entreprises énergétiques et agroalimentaires ont augmenté leurs prix. Ce n’est pas juste. »

Loin de s’apaiser, la lutte entre les syndicats et l’exécutif conservateur risque au contraire de se durcir dans les mois à venir. Les deux successeurs potentiels de Boris Johnson, Liz Truss et Rishi Sunak (encore en campagne à l’heure où nous écrivons ces lignes), promettent tous deux de mener une politique dure à l’égard des mouvements sociaux. Empruntant des airs « thatchériens », Liz Truss, l’actuelle ministre des Affaires étrangères, s’est engagée, en cas de victoire, à faire voter une série de mesures pour limiter les actions syndicales. Au programme notamment : le contrôle plus strict des débrayages dans les secteurs clés comme l’énergie ou le transport ou encore l’allongement de la durée du préavis de grève. Mick Lynch, secrétaire général du puissant syndicat des transports RMT, a résumé ces propositions comme étant « la plus grande attaque sur les droits humains depuis que les syndicats ont été légalisés en 1871 ». Devenu récemment très populaire au Royaume-Uni, ce dernier a déjà prévenu qu’il ferait campagne en faveur d’une grève générale si Liz Truss était élue Première ministre en septembre prochain. Ambiance…

Les cheminots britanniques remettent le couvert

Grève des trains : Acte II. Mercredi 27 juillet, des dizaines de milliers de travailleurs du rail, sous l’égide du syndicat RMT, se sont à nouveau mis en grève. Comme en juin, ces derniers réclament une hausse des salaires à hauteur de 7 % pour compenser l’inflation. Une demande balayée par la direction de Network Rail, l’entreprise étatique en charge du réseau ferré. À cause de la pandémie de Covid-19, les recettes du secteur ferroviaire ont en effet chuté, conduisant à un déficit de près de 2 millions de livres. La direction de Network Rail a ainsi proposé une augmentation de salaire de seulement 5 %. Cette dernière serait par ailleurs conditionnée à la suppression de près de 2 000 emplois, notamment par le biais de la fermeture de tous les guichets en gare. Une mesure inacceptable pour le RMT, qui estime que cela va mettre en difficulté toutes les personnes éloignées de la numérisation, comme les personnes âgées. Mick Lynch, le secrétaire général du syndicat, a menacé le Gouvernement de poursuivre le mouvement social jusqu’à la fin de l’année 2022.

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  • Lou-Eve Popper