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Quel bilan pour les CFA d’entreprise ?

À la une | publié le : 01.09.2022 | Catherine Abou El Khair

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Quel bilan pour les CFA d’entreprise ?

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[DOSSIER] La loi avenir professionnel permet aux entreprises de créer leur propre centre de formation d’apprentis. 80 d’entre elles se sont lancées dans ce chantier complexe, afin de répondre à leurs besoins en compétences. Reste, désormais, à trouver l’équilibre économique.

« Voir une branche d’arbre sur une photo, ce n’est pas pareil que de la voir sur le terrain. » Responsable de Serpe Formation, Thierry Bourdy vante les vertus de son centre de formation d’apprentis (CFA) 100 % maison. À Nîmes (Gard) et Latresne (Gironde), vingt alternants vont préparer, à partir de septembre prochain, la certification d’arboriste-élagueur. Un sésame indispensable pour travailler au sein de ce groupe de 1 000 salariés et 37 agences, spécialisé dans l’entretien de la végétation, qui a de gros besoins de recrutement. Fini, les sessions de formation classiques en école ! La formule a aussi l’avantage d’accélérer la montée en productivité des apprentis, en abolissant les frontières entre travail et formation. « L’avantage d’un CFA d’entreprise, c’est qu’on bénéficie des chantiers du groupe, de tout le matériel et des compétences internes. Et le Caces* nacelle est passé dès la première semaine », avance le responsable. Serpe n’a pas fait les choses à moitié : son CFA d’entreprise a même obtenu l’autorisation de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) pour délivrer lui-même cette certification. Une rareté, pour une entreprise de cette taille.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Avenir professionnel, 80 CFA d’entreprise ont été créés, selon les chiffres de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Les boîtes qui se sont jetées à l’eau visent plusieurs objectifs : booster leur marque employeur, vendre une image d’entreprise responsable, mais aussi et surtout réduire leurs tensions de recrutement… Des métiers manuels aux prestations intellectuelles, tout le monde s’y met. Spécialisé dans l’expertise comptable et la gestion de la paie, le groupe Orcom a ainsi voulu marquer les esprits en étant le premier, dans son secteur, à créer son centre de formation d’apprentis. Son objectif ? Au-delà de la valorisation de sa propre marque employeur, il s’agit de promouvoir un métier négligé par les étudiants, qui ont tendance à s’orienter vers la finance ou la gestion après avoir décroché leur BTS. « Des jeunes viennent nous voir grâce à la solution qu’on leur propose », fait valoir le responsable du pôle formation et apprentissage d’Orcom, Xavier Boutard. Alors que l’entreprise recrute habituellement des jeunes diplômés d’un niveau 6 ou 7 (bac + 4, bac + 5), elle expérimente même des parcours d’apprentissage post-bac avec des établissements partenaires.

En créant leurs CFA maison, les entreprises peuvent maîtriser l’ensemble du processus d’intégration des apprentis, de la sélection jusqu’à l’embauche post-contrat en passant par la formation. Elles peuvent ainsi s’adresser à de nouveaux candidats. Jusqu’à la création de son CFA Campus Mobilités en 2021, Keolis « ciblait peu les publics jeunes car ils n’avaient pas le permis de conduire », explique Clara Jakubik, sa directrice formation et développement. L’opérateur de transports collectifs, qui a recruté 130 apprentis en 2021 et vise les 250 d’ici 2022, veille désormais à la sélection rigoureuse des candidats. En dictant le tempo du cursus, elle peut « kéoliser » ses apprentis positionnés sur des métiers sensibles, comme conducteur de bus scolaire. À l’issue des trois mois de formation au permis D, dispensée par des organismes partenaires, ils retournent chez Keolis pendant un mois pour intégrer diverses notions autour de la sécurité, la relation client ou encore la gestion des personnes à mobilité réduite. C’est l’occasion, aussi, de découvrir certaines lignes de bus, voire tester de la conduite sur simulateur. Le parcours s’achève par deux mois de pratique. Du début à la fin, les services RH de Keolis ne les lâchent pas, dans l’objectif de maximiser le taux de rétention des apprentis à l’issue de leurs six mois de contrat.

Des formateurs maison

Autre ambition des entreprises : personnaliser les formations. Le CFA d’Hermès assure environ 80 % de la formation au métier de sellier-maroquinier, hors cours généraux (français, maths, EPS…) et matières enseignées pour le piquage industriel, qui sont déléguées à ses écoles partenaires. L’habilitation obtenue par la maison de luxe pour délivrer elle-même le CAP maroquinerie est inédite. « Désormais, nous portons le parcours pédagogique. L’ensemble de l’équipe, y compris les enseignants de nos partenaires, coopère au succès de notre formation diplômante, sous la responsabilité de notre CFA d’entreprise », explique Carine Thiollay, directrice de l’École Hermès des savoir-faire.

Créé d’une page blanche, le centre de formation d’apprentis de Nexity a aussi décidé de s’impliquer directement dans les enseignements qui sont entièrement dispensés dans ses propres locaux, fournis par sa filiale Morning Coworking. La formation menant au titre de responsable de programmes immobiliers est assurée pour un tiers par les collaborateurs du groupe afin de l’adapter au poste de développeur foncier, visé par le contrat d’apprentissage chez Nexity. La directrice du CFA, Sandrine Roy, a été recrutée pour orchestrer ce projet pédagogique. « Il a fallu embarquer les experts métier dans la conception des modules comme dans l’animation des formations », souligne cette fine connaisseuse de la formation initiale et continue, qui a également conçu deux autres parcours : conseiller commercial immobilier et gestionnaire de copropriété.

Ces démarches sont loin d’être un long fleuve tranquille. Courageux, le groupe Nicollin (10 000 salariés) n’a pas craint de se saisir, dès 2019, d’un diplôme d’État, plus contraignant qu’un titre professionnel : le BTS métiers des services à l’environnement. Des cadres en interne assurent la partie technique de la formation tandis que des enseignants – issus du club de football que possède l’entreprise – ont été mobilisés sur les matières générales. Cette dernière partie a finalement été confiée à un lycée pour la promotion 2021 2023. « On s’est rendu compte que c’était difficile de gérer les professeurs, ce n’était pas notre vocation », raconte son DRH Philippe Mencarini.

CFA « hors les murs »

Pragmatiques, les CFA d’entreprises ont ainsi besoin de s’appuyer sur des organismes de formation, déjà rompus à toutes les dimensions du métier. Mais un nouveau rapport s’est établi entre les deux partenaires. « Être prestataire est devenu une nouvelle facette de notre métier”, reconnaît Roselyne Hubert, directrice du pôle alternance et apprentissage du groupe IGS à Lyon. S’engagent alors des négociations sur la répartition des rôles. Celle-ci relève désormais du cas par cas, en fonction des besoins de l’entreprise en locaux, en classes dédiées ou en effort de sourcing, facturées à l’avenant. Moins dépendantes de leurs partenaires, des entreprises autrefois snobées par les établissements structurent leur stratégie en matière d’apprentissage, voulant promettre à leurs CFA partenaires de gros effectifs susceptibles d’équilibrer leur propre modèle économique. C’est le cas des enseignes Intermarché et Netto, qui se sont ainsi rapprochées de 47 CFA. Elles disposent de 360 places d’apprentissage réservées. « Des organisations comme les chambres des métiers et de l’artisanat avaient tendance à privilégier le placement des apprentis chez les artisans. Aujourd’hui, elles nous ouvrent leurs portes », constate Fathallah Charef, le DRH d’Intermarché-Netto. Tablant sur leur maillage national, les deux enseignes du groupement des Mousquetaires, qui recrute mille apprentis par an sur les métiers du frais, espèrent même influencer la carte des formations. Elles veulent convaincre les CFA partenaires d’ouvrir des classes de CAP poissonnerie, dont certains territoires sont aujourd’hui totalement dépourvus.

Des partenariats globaux se mettent en place pour agir à grande échelle. McDonald’s s’est ainsi tourné vers le vaste réseau des CCI France, pour former 3 500 apprentis par an d’ici 2024 aux titres professionnels d’agent de la restauration, d’assistant manager d’unité marchande et de manager d’unité marchande. Une première. « La phase de sourcing se fait avec le CFA qui accueille le jeune dans ses murs », précise Astrid Destombes, responsable du pôle formation chez CCI France, qui mobilise déjà 90 de ses 245 sites sur ce projet. Le géant du fast-food assure environ 10 % du temps d’enseignement, à distance depuis son propre organisme de formation à Guyancourt (Yvelines), afin d’acculturer les apprentis à ses pratiques.

Problèmes de sourcing

L’apparente simplicité du système « au coût-contrat », qui finance les CFA en fonction du nombre d’apprentis formés, suscite bien sûr la convoitise des employeurs. Mais la création d’un CFA occasionne aussi des coûts d’ingénierie, de gestion administrative ainsi que des frais de formation qui peuvent être lourds pour certaines entreprises. « Il faut se projeter sur un minimum de trois ans, car ce type de projet est déficitaire lors des premières années », souligne Frank Savann, directeur de Qualif.fr, un cabinet spécialisé dans le développement des compétences. Dans le cas de Serpe, qui compte un millier de salariés, le simple coût de la mise en place de la structure, en temps de travail, a représenté quelque 100 000 euros d’investissement, sans compter l’achat des divers équipements (nacelles, camions…) nécessaires pour l’élagage… « Il est sûr que le point d’équilibre ne sera pas atteint avant plusieurs années », admet Thierry Bourdy, qui veut, par ailleurs, conserver des petites tailles de classes pour garantir un apprentissage de qualité.

Pourtant, seul le passage à l’échelle des CFA d’entreprise donne une chance de rentabiliser leur investissement. « Le problème, c’est que les entreprises ont du mal à recruter des apprentis. Les entreprises qui me sollicitent ont à chaque fois des problèmes de flux », souligne Jean-Christophe Chamayou, de Lafayette Associés. À cela s’ajoute une baisse d’environ 5 % des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage, mise en place par France compétences dès ce mois de septembre, qui peut atténuer les effets d’aubaine. Nexity, qui visait l’embauche de 40 apprentis en 2021, n’en forme « que » 29 car une poignée est partie en cours de route. Pour monter en charge, le groupe immobilier devra intégrer de nouveaux métiers ou bien se fédérer avec d’autres entreprises. Avec 130 apprentis en 2021, Keolis confie, de son côté, « être juste à l’équilibre ».

(1) Caces : Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair