logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Comment les entreprises réinventent la formation

À la une | publié le : 01.09.2022 | Benjamin d’Alguerre

Image

Comment les entreprises réinventent la formation

Crédit photo

 

{DOSSIER] Frappée coup sur coup par une réforme qui a asséché les ressources financières de leurs plans de développement des compétences et par une pandémie qui les a forcés à repenser le distanciel, la fonction de responsable formation dans les entreprises a été contrainte en moins de cinq ans de se réinventer à vitesse grand V. Avec un challenge à remporter : former comme avant… mais différemment.

Les directeurs formation ont-ils le blues ? Rares sont les professionnels de la sphère RH qui ont vu leur environnement autant changer en profondeur ces dernières années. En moins de cinq ans, ceux qui s’occupaient de concevoir et défendre les plans de formation – aujourd’hui plans de développement des compétences – face aux DRH, directions financières et élus du personnel ont vu leurs fonctions profondément transformées. Par la voie légale en premier lieu. La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en réduisant significativement la contribution obligatoire des entreprises – le fameux 0,9 % formation calculé sur la masse salariale – et en réservant les fonds mutualisés aux seules entreprises de moins de 50 salariés, a profondément asséché les ressources. Si les grandes boîtes ont pu puiser sur leurs fonds propres pour maintenir les budgets à niveau – quoique la crainte de difficultés économiques à venir pousse certaines d’entre elles à jouer les écureuils – celles de moyenne envergure, comprenant de 51 à 300 salariés, ont vu leurs investissements formation s’écrouler. Trop grandes pour accéder aux financements mutualisés désormais ventilés par France Compétences, le nouvel organisme quadripartite en charge de la gestion de cet argent, par opérateurs de compétences (Opco) interposés ; trop petites pour pouvoir sanctuariser un budget sur la trésorerie de l’entreprise.

L’argent plus rare… et plus cher

Ainsi, chez le fabricant de compteurs d’eau et d’énergie Diehl Metering (Sappel) qui compte un peu moins de 400 salariés en France, l’application de la réforme de Muriel Pénicaud s’est traduite par un resserrage de boulons financiers. « Le nouveau système nous a obligés à réduire nos actions de formation de 20 % », confie Pascal Billaudel, responsable du développement RH de cette grosse PME alsacienne. Au sein du cabinet de conseil et d’audit RH Baker Tilly, c’est environ 10 % de la ressource Opca annuelle, soit 40 000 euros sur 400 000 qu’il a bien fallu compenser. « Avec un certain nombre de formations obligatoires à assurer tous les trois ans sur des contenus techniques de très haut niveau, l’obligation de dépense subsiste quoi qu’il arrive », résume Lucas Praud, RRH Business Partner au sein du cabinet. Pour Thierry Vaudelin, directeur de la formation et de l’apprentissage à la Manpower Academy, l’organisme de formation interne du géant de l’intérim, la réforme Pénicaud et celles qui l’ont précédée ont notablement complexifié la tâche des responsables formation. « La gestion de la formation est devenue d’une complexité inouïe », juge celui qui fut président, une quinzaine d’années durant, de la section francilienne du Groupement des acteurs et responsables de formation (Garf). « On nous parle de réforme simplificatrice, mais dans les faits, à part le changement de tuyauterie financière et la disparition de la “24-83” (le formulaire Cerfa que les entreprises devaient adresser chaque année à l’administration fiscale pour justifier leurs dépenses de formation), le système n’a pas changé en profondeur. Il s’appuie toujours sur une contribution obligatoire des entreprises qui conservent l’obligation de négocier leur plan de développement des compétences annuel avec les partenaires sociaux. » Pas de changement de nature, mais de degré, donc, pour les responsables formation. « Avant, nous gérions des budgets. Aujourd’hui, les compétences de ma direction se sont étendues au sourcing, au recrutement, à l’évaluation, au développement de l’apprentissage et à la fidélisation des talents, aux entretiens professionnels ainsi qu’aux interactions avec Pôle emploi et les régions pour identifier les candidats aux métiers qui recrutent », poursuit Thierry Vaudelin. Et que dire des nombreuses possibilités de cofinancements des plans de formation par le biais du Plan d’investissement dans les compétences (PIC), du FNE-Formation, du Fonds social européen ou même du CPF des salariés qui ont multiplié le nombre d’interlocuteurs avec lesquels les directions formation doivent désormais composer ? « Le métier n’est plus le même, c’est vrai », reconnaît Isabelle Boisard, directrice de l’Académie Intersport France, « hier, nous étions chargés de projets, pédagogues et formateurs. Aujourd’hui, il est impossible de tout faire, donc on se concentre surtout sur la production des contenus de formation et l’accompagnement du changement. »

Transformation digitale

La seconde cause de cette révolution de l’écosystème de la formation, personne ne l’a vue venir. En 2020 et 2021, la pandémie de Covid-19, les confinements et la généralisation du télétravail ont vidé bureaux et salles de formation. Prière fut faite aux directions RH de s’adapter à la réalité sanitaire en quatrième vitesse. La transformation digitale s’est naturellement imposée comme solution de remplacement. Même dans les structures réfractaires. Laurent Berthier, directeur de la formation d’Action Logement, l’avoue : « En 2019, le présentiel était la norme. Culturellement, nous n’étions pas prêts pour le tout-numérique, mais à l’issue d’un premier mois de confinement en avril 2020, nous avions totalement remanié notre catalogue pour passer au 100 % distanciel. » Tant pis pour les récalcitrants, nécessité a fait loi. Contexte pandémique oblige, c’est souvent la formation aux gestes barrière et au respect des règles sanitaires qui a fait passer la pilule de ce passage au digital. « Ce fut l’occasion de mettre en chantier notre tout premier module e-learning “fait maison”. Sa conception a débuté au lendemain de l’annonce du confinement et son déploiement a eu lieu dès mai 2020 », se remémore Maryline Le Corre, responsable formation au sein d’Alliade Habitat. Ailleurs, cette séquence de travail à domicile aussi forcée qu’inattendue fut l’occasion de mettre en pratique des projets e-learning qui trottaient dans la tête des responsables formation depuis un certain temps. Parfois avec un intérêt financier bien compris. « Ce redéploiement de l’offre de formation vers le digital à compter du premier confinement nous a permis de former davantage nos collaborateurs qu’avant… sans augmenter les coûts ! » indique Laurence Breton-Kueny, DRH de l’Afnor.

Les limites du distanciel

Dans ce nouveau monde où l’argent mutualisé est devenu plus rare et les cofinancements plus incertains – comme le démontre le faible nombre d’accords CPF négociés dans les entreprises ou la difficulté récurrente de mobiliser le dispositif de promotion ou reconversion par l’alternance Pro-A là où l’ancienne période de professionnalisation rendait bien des services – le numérique fait-il office de panacée permettant aux employeurs de déployer des plans de développement des compétences aussi solides qu’à l’époque du présentiel, mais à coûts modérés ? Attention au miroir aux alouettes, prévient cependant la directrice des ressources humaines de l’Afnor : « Il est difficile de conserver l’attention des apprenants longtemps en distanciel. » Même constat chez Action Logement où le taux de désistement des salariés inscrits dans les sessions de formation de l’entreprise a explosé, contraignant l’employeur à appliquer des méthodes de surbooking pour être certain de remplir ses salles de classe virtuelles. Aujourd’hui, cette stratégie du tout-distanciel semble avoir atteint ses limites. « Après avoir été privés du contact avec leurs collègues pendant des mois, les salariés réclament le retour du présentiel. On ne peut pas le leur reprocher », admet Laurent Berthier. Forcément, tenir compte à la fois de ces besoins de contacts humains tout en développant des solutions e-learning susceptibles de réduire les coûts d’un investissement formation devenu plus onéreux oblige les directions RH et formation à se creuser les méninges pour imaginer la bonne formule présentiel-distanciel. En creux, une tendance à privilégier la formation entre pairs – c’est-à-dire de former certains salariés à devenir eux-mêmes formateurs sur certaines compétences métiers, pour qu’à leur tour ils puissent prendre en charge la création de contenus pédagogiques en direction de leurs collègues – fait petit à petit son chemin dans les esprits. Chez Intersport ou Baker Tilly, on réfléchit sérieusement à ce type d’initiatives pour compenser l’absence de modules correspondant aux besoins de l’entreprise dans les catalogues des prestataires de formation extérieurs ou pour diffuser la culture maison au sein des équipes. Le tout en maintenant, idéalement, des budgets équilibrés. Une équation pas forcément simple à résoudre.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre