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Vous êtes en pénurie de compétences ? Et si vous recrutiez une personne dite « vulnérable » ?

Idées | Recherche | publié le : 01.06.2022 |

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Vous êtes en pénurie de compétences ? Et si vous recrutiez une personne dite « vulnérable » ?

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Les difficultés de recrutement : un frein au développement des entreprises

Turnover, absentéisme, difficultés de recrutement, le monde de l’emploi fait face à de nouvelles problématiques. Malgré la reprise économique, les entreprises peinent à recruter. La Banque de France s’inquiète. Dans un point de conjoncture, elle estimait que 44 % des entreprises françaises rencontraient des difficultés à recruter, en 2021. Il y aurait ainsi 280 000 emplois vacants sur le territoire, selon une étude menée par la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares). L’économie française est menacée. À une échelle entrepreneuriale, ces difficultés de recrutement impactent le bon fonctionnement des entreprises et sont devenues un frein à leur développement.

Enjeu majeur pour les services RH, cette pénurie de compétences ne serait-elle pas une opportunité, pour les entreprises, de s’ouvrir à de nouveaux publics en recherche d’emploi ?

En élargissant leur stratégie de recrutement à de nouveaux viviers de candidats, parmi lesquels les personnes dites « vulnérables », les entreprises ne développeraient-elles pas leur politique RSE, ne répondraient-elles pas à l’injonction au social promue par la loi Pacte tout en répondant à leur besoin de développement économique ?

Certains diront que l’embauche d’une personne dite « vulnérable » nécessite un investissement humain et financier, ce qui est parfois une réalité. Mais les bénéfices de ce recrutement sont tout aussi nombreux : fidélité, motivation et surtout réponse à un besoin de compétences.

Le recrutement d’une personne dite « vulnérable » : en premier lieu la nécessité d’une identification

Jusqu’à récemment, l’élargissement du recrutement aux personnes dites « vulnérables » se limitait principalement à l’injonction des pouvoirs publics. Par exemple, le « CDD senior » ou l’obligation d’emploi d’un travailleur handicapé (OETH), illustre que l’embauche de personnes dites « vulnérables » résultait de mesures incitatives voire coercitives. Mais depuis la crise du Covid-19, qui a provoqué ou accéléré la désertion de certains secteurs d’activité par les salariés, les entreprises peuvent avoir intérêt à se rapprocher de nouveaux profils y compris dits « vulnérables » pour répondre à la pénurie de compétences à laquelle elles font face. La première étape devient alors celle de l’identification des populations « vulnérables » susceptibles d’être recrutées. C’est précisément ce que nous avons cherché à faire dans de récents travaux dont les résultats sont rapportés ici, à travers la construction d’une cartographie des déterminants de la vulnérabilité.

Divers acteurs identifient ces populations et les déterminants de leur vulnérabilité. Qu’il s’agisse des instances supranationales et internationales, des ministères, des acteurs de la santé et de la solidarité, de ceux de l’emploi, ou des syndicats, tous partagent une mission d’identification et d’accompagnement des citoyens les plus fragiles. Nous les avons tous recensés et avons ainsi pu proposer diverses catégories de déterminants. Malgré la grande diversité des situations de vulnérabilité, notre travail permet de présenter la cartographie ci-dessus et de faire émerger des caractéristiques démographiques, socio-économiques et socioculturelles, géographiques et politiques, ainsi que des caractéristiques de santé comme sources de vulnérabilité.

Cette cartographie met en avant que le concept de vulnérabilité recouvre un éventail de situations très large. Au-delà du cliché du handicap, le travail réalisé montre qu’être père célibataire, habiter à la campagne, avoir une langue maternelle autre que le français etc., sont autant de caractéristiques « banales », pourtant identifiées comme sources de vulnérabilité.

Le recrutement d’une personne dite « vulnérable » : en deuxième lieu une lutte contre les stéréotypes

Ainsi, grâce à ce travail d’identification des déterminants de la vulnérabilité, les représentations liées à ce concept sont mises en cause. L’enjeu de cette évolution des représentations est majeur dans la sphère managériale, au sein de laquelle les stéréotypes peinent à disparaître. Par exemple, nul ne doute que des fragilités physique et psychologique (estimées comme telles), ou encore des difficultés liées à la langue, des situations personnelles en dehors des normes sociales « classiques », sont autant de caractéristiques qui peuvent éloigner les personnes de l’emploi. Autant de freins à l’emploi pour autant de vulnérabilités. Pourtant, beaucoup de ces singularités trouveraient leur place dans les entreprises, à condition de sortir des clichés, des routines et des attentes de conformité à la norme et aux usages.

Le recrutement d’une personne dite « vulnérable » : en troisième lieu des modes d’accompagnement à imaginer

La conjoncture actuelle impose de s’éloigner de ces stéréotypes et d’ouvrir le « champ des possibles » en matière de recrutement. Certaines entreprises ont conduit cette transformation : ainsi par exemple Novandie, filiale du groupe Andros, permet à de jeunes autistes de s’insérer professionnellement. Chez Triballat Noyal, des personnes financièrement précaires sont embauchées. Quant à La Feuille d’érable, elle fait de l’accueil de personnes dites « vulnérables » sa raison d’être. Mais encore, des entreprises proposent des places de crèches à horaires décalées pour faciliter l’emploi des parents célibataires dans le secteur secondaire. En zone périurbaine, certaines font l’acquisition de vélos pour permettre à des personnes sans permis de conduire de se rendre au travail. Dans le tertiaire, la pénurie de secrétaires a incité des entreprises à développer le télétravail, rendant l’emploi accessible aux personnes habitants loin des bassins d’emploi. D’autres embauchent des personnes « sortant de détention » avec un premier contrat à temps partiel pour leur laisser le temps de stabiliser leur situation administrative.

Certes, une gestion des ressources humaines individualisée et le développement de pratiques d’aménagement de poste, d’accompagnement et de formation personnalisée sont nécessaires à cette inclusion, mais a-t-on réellement d’autres choix que d’aller dans ce sens ?

Au vu des déterminants recensés, cette cartographie permet de déconstruire les stéréotypes sur la vulnérabilité et fait de chacune et de chacun une personne vulnérable à un instant de sa vie. La vulnérabilité apparait ainsi comme une singularité et prend dès lors un caractère de normalité, de banalisation et finalement, d’universalité.

Hélène Fayet

Doctorante en sciences de gestion à Univ Rennes, CNRS, CREM (UMR 6211), hébergée à l’IGR-IAE Rennes. Sous la direction de Gwénaëlle Poilpot-Rocaboy (PR) et Anne Joyeau (MCF), sa thèse porte sur l’accès à l’emploi des personnes en situation de vulnérabilité, notamment sur l’identification de leviers d’actions RH inclusifs et responsables.

Anne Joyeau

Maître de conférences en sciences de gestion à l’IGR– IAE de Rennes, membre du CREM (UMR CNRS 6211) – université de Rennes 1. Elle est responsable du master RH, parcours stratégie et développement RH de l’IGR IAE Rennes. Ses travaux portent sur l’analyse des pratiques de GRH, notamment celles liées à la RSE et en matière de gestion de l’emploi.

Gwénaëlle Poilpot-Rocaboy

est Professeure des Universités en Sciences de Gestion à l’IGR – IAE de Rennes, membre du CREM (UMR CNRS 6211), université de Rennes 1. Elle est membre du conseil d’administration de l’AGRH (Association francophone de gestion des ressources humaines), et du bureau du réseau Référence-RH (Association des formations de troisième cycle universitaire et grandes écoles en gestion des ressources humaines). Elle est directrice générale de l’IGR-IAE Rennes.